Septentrion. Jaargang 18
(1989)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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La puissance de l'irrationnel
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La quête de l'imageLes dessins réalisés en extérieur sont dès le processus créatif sollicités vers l'abstraction. Quand il les apporte dans son atelier, ils peuvent être accompagnés de petites trouvailles: une branchette, un fragment de barbelé, une petite plume, objets trouvés au caractère éminemment graphique. Certains de ces trophées, il les suspend au blanc plafond de son atelier, leur conférant ainsi une informelle canonisation. Ainsi, dépouilles brinquebalantes, ils servent à l'artiste d'aérienne inspiration. Vient maintenant dans l'atelier la démarche vers l'ébauche tridimensionnelle, éventuellement constituée d'un morceau de carton, de bois ou de zinc et de fil de fer mince. Combinaisons et rejets, combinaisons et sélections, toujours réitérés, dans la fidélité à l'image qu'il pense appréhender avec l'esprit, lui livrent enfin, parfois après bien des mois, la forme définitive. Pour lui, rien ne peut plus alors être ajouté ni retranché ni déplacé. Puis commence la quête de la taille idéale. Car chaque sculpture ne possède qu'une seule taille qui lui garantisse l'expressivité maximale. Progressivement, le sculpteur intègre ensuite au modèle des morceaux de fer de taille réelle. Le fer constitue toujours son matériau définitif. Il doit être neuf et brillant: de l'acier plat de diverses épaisseurs, de l'acier en barres ou en tubes. Le matériau est culturel tout comme le point de départ des sculptures s'ancre dans la culture. L'acier, qui peut être commandé aux formats et épaisseurs souhaités dans une entreprise de construction, est à la fois neutre et rebelle, dur et pourtant souple. Quand on le plie à une certaine forme, il la garde. Enfin la quête de la sculpture se continue par le choix de la couleur. | |
La sculpture pour la Meuse à RotterdamLa Maasbeeld (sculpture pour la Meuse) de Rotterdam nous fait comprendre pourquoi Auke de Vries trouve tant d'objets d'allure graphique. Pour scruter ‘ce qui s'y trouve réellement’, son regard n'en est pas moins sélectif, commandé par une imagination axée sur le graphisme. En 1979, il accepta de la municipalité de Rotterdam la mission d'ériger une sculpture sur les bords de la Meuse; la Maasbeeld, qui, | |
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après maintes discussions avec des autorités, des constructeurs et des ingénieurs, après l'achèvement de centaines d'esquisses, la construction de maquettes et l'exécution d'essais en soufflerie, finit par être réalisée, apparaissait bien plus minimaliste et informelle que ne l'avaient imaginé les édiles de la première ville portuaire d'Europe. Auke de Vries travailla
Auke de Vries, ‘Maasbeeld’ (Sculpture pour la Meuse), fer, aluminium, polyester, peints, longue de 200 mètres, 1979-1982, Rotterdam, le long de la Meuse (Photo Jannes Linders).
trois ans à une sculpture qui semble n'avoir demandé qu'une fin d'après-midi pour naître. L'environnement, fortement marqué par la verticalité, réclamait une sculpture horizontale, estimait l'artiste. Il la conçut longue de deux cents mètres, tendue entre deux ponts. Elle lui fut inspirée par l'aérien gréement et les panneaux de bateaux: aussi son emplacement et son horizontalité en font-ils une sculpture pour mariniers. Elle comporte un certain nombre d'éléments graphiques: un anneau, des barres, une volute, une plaque, une balle, qui sollicitent l'un après l'autre l'oeil du lecteur. Le vent et l'eau font frémir la sculpture. A marée basse, la balle de polyester surplombe l'eau de près de deux mètres, à marée haute l'eau soulève la balle, qui transmet ses oscillations à la sculpture. Dotée d'un diamètre de plus d'un mètre, elle est très exactement suspendue au point de marnage maximal; ondulante comme un bouchon, étant la chose de l'eau, elle donne deux fois par jour à la Maasbeeld une période de particulière mobilité. Dans un environnement où tout respire une efficience, une délibération typiquement hollandaises, ce collier se balance, mutin et irrationnel. | |
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Auke de Vries, ‘Vloerbeeld’ (Sculpture de sol), fer, 97 × 458 × 394 cm, 1984, Musée Kröller-Müller, Otterlo (Photo Victor E. Nieuwenhuijs).
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L'intégration de l'espaceVers le milieu des années quatre-vingt, Auke de Vries réalisa trois sculptures de sol monumentales: celle qui date de 1984 et se trouve maintenant au musée Kröller-Müller d'Otterlo (Vloerbeeld - Sculpture de sol), en est la plus classique. La composition centrale, une sorte d'île, comporte une partie relevée essentiellement fermée mais pourtant partiellement ouverte. La plaque-embase épouse le sol, mais certaines parties s'en soulèvent. Les ombres qui naissent de ce mouvement participent à la vie de la sculpture. Cette remarque vaut pour toutes les formes qui se soulèvent graduellement; plus elles s'élèvent haut, plus les ombres qu'elles jettent se raréfient. Les deux formes centrifuges, la ‘boîte’ et le cylindre, une mince barre les relie à la sculpture-mère, ce qui appelle l'attention sur la relation hiérarchique. Des plaques se risquent, tous coins aigus, dans l'espace, liens et barres le pénètrent et l'attirent dans la sculpture. Vloerbeeld (sculpture de sol) oppose en un combat muet formes rondes et rectilignes, larges et étroites, ouvertes et fermées, horizontales, verticales et diagonales, donc formes statiques et dynamiques. Lumière et ombre disputent entre elles, tout comme humour et sérieux. Vloerbeeld est une monumentale collection de paradoxes. | |
La puissance de l'irrationnelQui compare la sculpture d'Otterlo à une oeuvre de 1986, remarque à quel point la manière de De Vries a évolué en deux ans. Dans l'oeuvre de 1986, achetée par le musée | |
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Auke de Vries, Sans titre, fer, 118 × 200 × 110 cm, 1986, Musée Frans Hals, Haarlem (Photo Koldeweij, La Haye).
Auke de Vries, Sans titre, 350 × 550 × 120 cm, 1986, Musée d'Art Contemporain, Gand (Photo Victor E. Nieuwenhuijs).
Frans Hals d'Haarlem, c'est à peine si l'on découvre verticales et horizontales. C'est la diagonale qui domine et avec elle l'impression de mouvement et d'essor. Les trois ‘silhouettes’ se renversent en arrière, celle de droite semble même tomber. Mais ce n'est là qu'une saine coquetterie; cette ‘menace’ participe à la qualité plastique, elle s'inscrit dans l'intrigue de la sculpture. - Une sculpture qui se cabre et penche mais reste debout. Qui montre les plus capricieux contours, mais se révèle solidement soudée -, de tels paradoxes nous renvoient à la puissance de l'irrationnel. C'est aussi de 1986 que date une oeuvre qu'on peut voir au musée de Gand; selon l'habitude, De Vries ne l'a pas gratifiée d'un titre. Tout comme la sculpture de Haarlem, celle-ci concentre en trois points l'attention, mais à Gand, ceux-ci ne sont pas situés ‘sur les planches du théâtre’; l'un d'entre eux défie la pesanteur. La construction diagonale suggère un dynamisme encore accentué par trois lignes, une flexueuse, une à zigzags et une ondulante. Comme la sculpture incorpore beaucoup d'espace et que les coins, liens, volutes et bandes y sont plus nombreux que précédemment à y pointer sans entraves vers l'espace libre, il y règne une plus grande ouverture que dans les sculptures précédentes. L'oeuvre apporte aussi avec beaucoup de conviction une réponse à la question: quel degré d'aplatissement peut donc bien atteindre en réalité l'art monumental isolé? La grande forme qui est brandie avec un effort si réduit est d'un caractère différent de ses deux vis-à-vis géométriques établis au sol; elle fait penser à certaines formes associatives libres d'Arp et de Miro. On décèle aussi quelque affinité avec Alexander Calder et Anthony Caro. Tout comme Calder, Auke de Vries réalise des sculptures suspendues. Cette multiplicité de parentés interdit à l'évidence de classer notre sculpteur dans un courant particulier, mais si l'on veut à toute force repérer chez lui une orientation, c'est le surréalisme, également à cause de sa prédilection pour l'irrationnel, qui est le mieux placé pour la revendiquer.
JOSE BOYENS Historienne d'art. Adresse: Hogewaldseweg 33, NL-6562 KR Groesbeek.
Traduit du néerlandais par Jacques Fermaut. |
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