Septentrion. Jaargang 18

Philosophie

Prix de l'Arche de la libre parole: Leo Apostel

Quand, il y a plus de trente ans, le romancier flamand Marnix Gijsen se vit attribuer par un jury le prix de littérature de la province d'Anvers, l'administration provinciale, composée en majeure partie de catholiques, formula des objections contre le choix du jury, et Gijsen ne reçut pas le prix. Herman Teirlinck, un autre homme de lettres flamand éminent, offusqué par cette intolérance catholique, décida de créer un nouveau prix littéraire, le Arkprijs van het Vrije Woord (Prix de l'Arche de la libre parole). Depuis lors, ce prix, qui n'est agrémenté d'aucune somme d'argent - le nom du lauréat est gravé sur la coque d'une arche symbolique -, fut décerné en premier lieu à des auteurs libres penseurs qui, de la sorte, ne devaient plus voir les prix leur échapper systématiquement. Par ailleurs, ces dernières années, il ne s'agit plus d'un prix exclusivement littéraire ni à caractère exclusivement libre penseur par principe. Il tend plutôt à soutenir et à encourager toute forme d'expression progressiste de la liberté et de l'indépendance spirituelle dans les domaines artistique, intellectuel, social et politique.

En 1988, le lauréat du prix fut Leo Apostel, né en 1925. Au nom du comité du prix de l'Arche, Jan Mestdagh l'a félicité pour son combat permanent contre l'émiettement de la science en de nombreux spécialismes de plus en plus étrangers l'un à l'autre et contre la ségrégation entre réalités philosophique, scientifique et sociale.

Au cours des trente dernières années, Leo Apostel est en effet devenu une personnalité tout à fait originale en Flandre. Après des études à Bruxelles, où il fut le disciple de Chaïm Perelman, il s'est perfectionné aux Etats-Unis, notamment auprès de Rudolf Carnap. Par la suite, il fut membre de la célèbre équipe du philosophe

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Leo Apostel (^o1925).

et psychologue suisse Jean Piaget au Centre d'épistémologie génétique de Genève. Dans sa carrière scientifique, il a fait oeuvre particulièrement méritoire dans les domaines de la logique et de l'épistémologie, disciplines qu'il enseigna pendant de longues années aux universités de Bruxelles et de Gand.

En 1979, Apostel a pris une retraite anticipée. Sa situation de professeur émérite lui a permis pendant toutes ces années de s'adonner totalement à ses travaux intellectuels. Ces derniers temps, il se consacre avec acharnement à l'élaboration d'une ontologie scientifique, c'est-à-dire d'une philosophie naturelle où le philosophe aspire pour ainsi dire à mettre en carte tout ce qui existe à tous les niveaux de la réalité. Après avoir pendant tant d'années axé toute son activité intellectuelle sur la manière dont nous pouvons connaître et dont nous pratiquons la science, Apostel s'interroge actuellement sur tout ce que nous devons connaître pour dire quelque chose de sensé sur l'être humain et sur le monde.

Que, dans cette réflexion, Apostel ne veuille pas perdre de vue la dimension sociale ne doit étonner personne. Il n'a jamais cessé de souligner l'importance de structures sociales qui nécessitent une prise de position aussi bien de la part des individus que des organismes sociaux pour que les chances de développement pour tous puissent être garanties dans le respect de l'identité propre et moyennant la participation de tout un chacun. Il se déclare partisan du socialisme, en ne cachant pas sa sympathie pour l'anarchisme. A ce propos, il a toujours préconisé le pluralisme et la tolérance. Aussi ses initiatives et suggestions ont-elles considérablement contribué au dialogue entre croyants et athées en Flandre. Ses discussions avec le théologien Edward Schillebeeckx ont suscité un grand intérêt.

Fort de sa pensée athéiste, il sollicite l'attention pour la dimension religieuse, qui ne lui est pas étrangère mais n' implique pas, à ses yeux, l'existence de Dieu. Nombre de personnes sans appartenance religieuse déterminée se reconnaissent dans la position adoptée par Apostel, et nombre de fidèles se sont posé des questions sur leur propre foi en s'inspirant de ses témoignages. Or, la formulation d'interrogations et l'incitation à la recherche sont incontestablement du ressort du philosophe soucieux d'aider l'homme qui ne veut pas vivre de manière irréfléchie à ne pas perdre de vue un certain nombre de réalités fondamentales.

Compte tenu de tous ces éléments, il est parfaitement compréhensible que le nom de Leo Apostel ait été jugé digne de figurer parmi les autres noms déjà inscrits sur l'Arche de la libre parole.

Signalons encore, à titre d'information, qu'au cours de 1989 paraîtra le premier tome de The Philosophy of Leo Apostel⁽¹⁾, dans lequel vingt-cinq philosophes belges et étrangers entrent en discussion avec le lauréat. Par la suite, dans un deuxième tome, Apostel réagira aux exposés de ses collègues. Ces volumes donneront indiscutablement un excellent aperçu de la réflexion éclectique de Leo Apostel.

Jacques de Visscher

(Tr. W. Devos)

(1) Dans la série ‘Communicatie en Cognitie’, Blandijnberg 2, B-9000 Gent.