Milieu
L'aquatique Néerlande menacée de pénurie d'eau potable?
Les informations inquiétantes, les cris d'alarme et les incidents se succèdent ces dernières années à un rythme accéléré. En 1988, douze compagnies des eaux des Pays-Bas et de Belgique tiraient la sonnette d'alarme: l'eau de la Meuse qui assure l'approvisionnement de quelque cinq millions d'habitants est certes encore utilisable pour le moment, mais elle est de plus en plus polluée par des composés chlorés, des métaux, du sel et des déchets radioactifs. Responsables de cette pollution croissante: l'industrie du bassin de la Sambre et de la région de Liège d'une part, les centrales nucléaires française (Chooz) et belge (Tihange) riveraines de la Meuse d'autre part. En même temps, on apprenait qu'en Zélande l'eau potable tirée des polders contenait trop de nitrates du fait d'épandages excessifs de lisier par les fermiers belges. La compagnie locale se déclarait même prête à donner une subvention aux fermiers s'ils acceptaient d'évacuer leur lisier vers d'autres destinations...
En 1988 encore, un autre incident fit grand bruit: des compagnies de Hollande Septentrionale (Amsterdam et environs) annoncèrent que l'eau potable qu'elles tiraient du Rhin contenait du bentazon. Le bentazon est un pesticide fabriqué par BASF à Ludwigshafen à raison de 6000 tonnes par an. L'enquête révéla certes que les effluents venaient effectivement de là, mais surtout qu'il ne s'agissait pas d'un incident mais de déversements de ‘routine’ portant sur quelques dizaines de kilos par jour et parfaitement connus de l'entreprise... En 1988 enfin, on constata que l'eau du Rhin contenait en outre de l'isophoron, un solvant qui provient également de la production de pesticides. Ici, c'est une usine des environs de Duisburg qui s'avérait responsable: le produit gagnait le Rhin via l'Emscher et la Ruhr...
Quatre incidents coup sur coup qui, à des degrés divers, ont ému l'opinion publique néerlandaise. L'annonce de la présence de bentazon dans les canalisations de Hollande Septentrionale par exemple, a déclenché un véritable rush sur l'eau de table en bouteille... Mais comme il arrive la plupart du temps, cette fois aussi l'intérêt et l'inquiétude furent bien vite dissipés. Pourtant, des spécialistes de l'environnement sont convaincus que ces incidents ne constituent que la partie émergée de l'iceberg et que l'eau potable est effectivement séricusement menacée.
Aux Pays-Bas comme ailleurs, l'eau potable a une double origine: elle provient de pompages de toutes sortes de nappes plus ou moins profondes d'une part et d'eaux de surface d'autre part. Ces dernières requièrent depuis belle lurette pour être consommables qu'on les filtre et qu'on les purifie. Mais à mesure que la pollution augmente, ce filtrage devient de plus en plus difficile et coûteux. Quantitativement d'abord, parce que le procédé génère d'énormes masses de boues d'épuration qui ne peuvent être traitées et doivent donc obligatoirement être stockées quelque part dans un endroit sûr. Mais à mesure que la pollution change simultanément de nature, apparaissent également des problèmes qualitatifs: le bentazon par exemple, mais aussi des dizaines voire des centaines d'autres produits de l'industrie agro-chimique ne peuvent être éliminés par les procédés classiques de filtration et d'épuration. Or les nouveaux procédés exigent des millions de florins d'investissement. Un responsable d'une compagnie des eaux amstellodamoise faisait remarquer à juste titre que nous vivons dans un monde bien étrange si d'une part une usine peut consciemment procéder à des rejets de routine d'une certaine substance dans les eaux de surface, tandis que d'autre part une compagnie des eaux doit se ruiner en investissements pour éliminer en permanence cette même substance. En outre, tout cela n'a pas grand-chose à voir avec le principe selon lequel le pollueur doit être le payeur. Encore faut-il faire remarquer qu'à côté du bentazon, il s'agit peut-être de dizaines, voire de milliers de substances dont une bonne partie sont difficiles voire impossibles à détecter avec les actuelles méthodes
d'analyse. Cet incident ‘unique’ est donc sans aucun doute annonciateur d'une longue série.
Toutefois, une bonne partie de l'eau potable provient des nappes, là où elles ne sont ni trop salines ni trop saumâtres. Du reste, ces eaux exigeaient traditionnellement beaucoup moins d'épuration. Mais la pollution progresse là aussi de plus en plus vite. Les épandages agricoles excessifs - dans certaines régions, on jette quatre fois plus qu'il n'est nécessaire et utile aux plantes - en sont la cause la plus connue: ce sont surtout les nitrates qui s'infiltrent lentement jusqu'aux nappes. L'idée de subventionner les fermiers pour qu'ils ne répandent plus leurs lisiers à l'intérieur du périmètre des bassins de captage s'oppose du reste tout autant au principe selon lequel le pollueur doit être le payeur. Mais outre cette pollution agricole par les nitrates, on note dans un nombre de plus en plus important de nappes une autre pollution: les pesticides entre autres - parce qu'ils sont souvent indégradables - finissent par aboutir dans les nappes. L'acidité croissante des sols favorise par ailleurs leur lixiviation, responsable de la migration de toutes sortes de métaux vers les nappes. Vu la lenteur de ces processus, la pollution que l'on note actuellement n'est du reste encore