Le paradis différé de Benno Barnard
Fils du poète et pasteur Willem Barnard (plus connu sous le pseudonyme de Guillaume van der Graft), Benno Barnard naquit à Amsterdam en 1954. En 1961, la famille déménagea à Rozendaal (en Gueldre) et en 1976, Benno s'établit à Bruxelles où il résida jusqu'en 1984. Il se fixa ensuite à Anvers et devint entre autres rédacteur de la Nieuw Wereldtijdschrift (Nouvelle revue mondiale). Ces données ne sont pas sans intérêt pour aborder une oeuvre à substrat manifestement autobiographique. Barnard fit ses débuts en 1981 avec Een engel van Rossetti (Un ange de Rossetti), recueil de poèmes débordant d'idéaux romantiques, où la Bruxelles d'avant-guerre et les années d'enfance jouent un rôle prépondérant. En 1983 paraissait Klein Rozendaal (Petit Rozendaal), consacré aux souvenirs de la maison paternelle et aux premiers poèmes d'amour. Ce recueil remporta aux Pays-Bas le Prix Van der Hoogt, distinction prestigieuse s'il en fut. Avec Het meer in mij (Mon lac intérieur, 1986), Barnard atteignit un sommet. C'est un recueil d'une construction sophistiquée, féconde en jeux de miroir, qui témoigne d'un élargissement et d'un enrichissement tant de sa thématique que de sa technique. Le sujet en est une passion passée et impossible, à trois protagonistes: le poète, les Alpes et l'ex-aimée, qui habite dans une Suisse où la nature offre quantité de motifs transmutés en symboles. Mais entre-temps Barnard s'était également mis à la prose créative dans la revue néerlandaise Maatstaf (Critère/Norme) et à la critique littéraire dans la
Nieuw Wereldtijdschrift. En 1987, il rassembla en un recueil, Tijdverdrijf voor enkele fijne luiden (Passe-temps pour quelques délicats), ses critiques, où il éprouve les oeuvres d'autres poètes à la pierre de touche de sa propre poétique. Les articles narratifs et spéculatifs publiés précédemment, il les incorpora dans son roman Uitgesteld paradijs (Paradis différé, 1987) qui lui valut à Amsterdam le Prix Geert Jan Lubberhuizen.
Dans Uitgesteld paradijs, l'auteur évoque l'itinéraire d'un jeune moi jusqu'à l'âge adulte vers la trentaine: d'un pays à l'autre (des Pays-Bas en Belgique, d'Europe en Amérique), d'une ville à l'autre, d'une demeure à une autre. La narration révèle une évolution: la croissance personnelle du protagoniste est étroitement liée à son environnement géographique et historique. Aussi peut-on considérer qu'il s'agit d'un véritable Bildungsroman (terme qui équivaut à peu près aux Enfances médiévales). Le fait que ce protagoniste soit manifestement un sosie de l'auteur en fait un Bildungsroman autobiographique. L'ouvrage se présente comme un triptyque. Le grand panneau central retrace la période du séjour de Barnard à Bruxelles. Le premier panneau brosse les années de jeunesse et l'ouvrage s'achève sur un chapitre consacré à l'Amérique, pays d'où la demoiselle qui deviendra sa femme s'avère ‘provenir’ (herkomst) et tout ensemble pays de ‘l'avenir’ (toekomst). La première partie, baignée de romantisme et de nostalgie, évoque un paradis perdu; la seconde décrit un dégrisement qui tient à bien des égards de la désillusion: confrontation avec la vie, où passé et présent, rêve et réalité se heurtent violemment; dans le troisième volet, le paradis perdu s'est mué en paradis différé, que la magie et la splendeur de l'écriture réussissent bien à camper mais qui, possible insaisissable dans le monde de la réalité, glissera toujours plus avant dans
l'inaccessibilité de l'avenir. L'Amérique, image du futur évoquée par le