Septentrion. Jaargang 17
(1988)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
[pagina 31]
| |
L'influence du catholicisme français aux Pays-Bas. 2Invasion cléricale françaiseDans le courant du xixe siècle, la France exerça une grande influence sur le catholicisme néerlandais. Le triomphe de l'esprit des Lumières conduisit à la dissolution des ordres et congrégations. La vague anticléricale - ‘le cléricalisme, voilà l'ennemi’ -, après avoir déferlé sur la France, s'en allait mourir aux Pays-BasGa naar eind(1), y déposant ses nombreux fugitifs. C'est que les Pays-Bas - paradoxal effet de cette même révolution! - étaient accueillants aux rédemptoristes, Frères des écoles chrétiennes, lazaristes et autres Soeurs augustines. Les lois laïques du petit père Combes ne jetteraient pas moins de 25 ordres et congrégations de France sur des chemins de l'exil qui ne feraient que traverser la catholique ‘Belgique’. Les plus illustres étaient les bénédictins de Solesmes, qui allèrent se fixer à OosterhoutGa naar eind(2), renouant ainsi de façon tout à fait inattendue avec la grande tradition bénédictine médiévale, célèbre entre autres par ses constructeurs de digues. Il est piquant de noter la méfiance de ces ordres et congrégations à l'égard des Pays-Bas protestants: ils s'établirent dans les provinces du Brabant et du Limbourg, à peine au-dessus de la frontière belgo-néerlandaise. Certaines congrégations emménagèrent dans des manoirs qui leur avaient souvent été signalés par des moines français d'origine néerlandaiseGa naar eind(3). Le pignon de Richolt (Limbourg méridional) porte une bien curieuse et bien significative inscription: on peut y lire une citation du Salve Regina où le mot ‘Evae’ a été remplacé par ‘Galliae’ (Exsules filii Galliae) ce qui transforme les enfants ‘d'Eve exilés’ en ‘enfants de la Gaule exilés’. Il s'agissait en l'occurence de Dominicains originaires de Lyon. L'importance de cette invasion cléricale française - en même temps fuite des cerveaux - ne peut être sous-estimée; ses effets se sont fait sentir jusqu'au concile Vatican II. La plupart de ces implantations se firent dans des contrées - Brabant et Limbourg - qui ne comptaient guère d'établissements d'enseignement secondaire. Les bonnes têtes de ces pauvres terroirs agricoles étaient bien vite dirigées vers le séminaire ‘français’ ou vers l'école congréganiste. Ce qui eut pour conséquence d'inonder ces congrégations, françaises d'origine, d'un tel flot de religieux néerlandais que, vers 1930, les Pays-Bas catholiques, qui ne constituaient même pas 1% des catholiques du monde ne fournissaient pas moins de 10 à 12% du personnel international missionnaire. En outre, cela donna aux missionnaires néerlandais un champ d'action mondial qui débordait largement les colonies néerlandaises: aussi comptait-on plus de 75 Néerlandais parmi les évêques et Supérieurs généraux d'ordres et de congrégations invités au concile Vatican II. Du reste, les religieux réfugiés aux Pays-Bas n'y étaient point dépaysés par les pratiques pieuses. L'éloquence sacrée enseignée dans les séminaires néerlandais ne s'inspirait-elle pas des Sermons et Oraisons funèbres de BossuetGa naar eind(4)? Parallèlement, on utilisait des ouvrages de dévotion français, traduits ou non, car, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, le français était la deuxième langue aux Pays-Bas, surtout pour les catholiques romains. Il s'agissait souvent de mièvres livres de prières et non d'oeuvres strictement liturgiques. Dans les pensionnats catholiques, le français était souvent la langue véhiculaire, à moins qu'on n'émaillât son langage d'emprunts à la langue de Molière. | |
Viollet-le-Duc aux Pays-BasIndépendamment de cette invasion française | |
[pagina 32]
| |
Consécration du Palais épiscopal en 1885. De gauche à droite: V. de Stuers, J. Alberdingk Thijm et l'architecte Pierre Cuijpers.
| |
[pagina 33]
| |
dans la partie catholique des Pays-Bas, le néo-gothique y rencontra aussi un écho particulier. N'ayons garde d'oublier qu'entre ± 1580 et ± 1780, les catholiques néerlandais ne construisirent rien d'autre que des églises clandestines déguisées en maisons d'habitation. Quand la liberté de culte fut finalement stipulée dans la constitution de 1848, il fallut se mettre à édifier de vraies églises. Le catholicisme néerlandais s'inspira pour ce faire de Viollet-le-DucGa naar eind(5). C'est auprès de cet architecte français, redécouvreur du gothique, que le Néerlandais Pierre CuijpersGa naar eind(6) (1827-1921) prit ses leçons. Ce catholique ne se contenta pas de restaurer, à l'instar de son maître, des églises gothiques en ruine ou défigurées au cours des siècles, il conçut église néo-gothique sur église néo-gothique, avec une ardeur au travail qui laisse pantois. Cette frénésie comportait un soupçon de triomphalisme: les catholiques néerlandais feraient bien voir, quel sens de la culture ils avaient dans leur confession! Cette explosion du néogothique s'inscrivait aussi dans le mouvement de réenracinement dans le passé médiéval. Vindicamus hereditatem patrum nostrorum, tel était le slogan par excellence des milieux catholiques romains du milieu du xixe siècle... A l'initiative personnelle de Viollet-le-Duc, Cuijpers quitta la petite ville provinciale de Roermond pour s'établir à Amsterdam. ‘La verve d'une grande ville est nécessaire à un artiste’, écrivait Viollet-le-Duc à Cuijpers en 1865. Cuijpers était tellement fasciné par le gothique français qu'il construisit également ses édifices civils dans ce style. Cuijpers ayant livré en 1885 le Rijksmuseum, le roi Guillaume III refusa d'y entrer, déclarant littéralement en français, langue usuelle de la Cour: ‘Je ne mettrai jamais les pieds dans un monastère.’ La caricature d'époque reprise ci-dessus représente notre architecte (à droite), l'émancipateur catholique Jos Alberdingk Thijm et le responsable des monuments historiques Victor de Stuers (à gauche), à genoux et en prières, lors de la cérémonie d'inauguration. Les catholiques néerlandais puisèrent également leur inspiration chez un contemporain de Viollet-le-Duc, MontalembertGa naar eind(7). La devise de ce politicien et journaliste de combat figure toujours en exergue du premier quotidien catholique néerlandais De Tijd (1846): ‘Dieu et mon Droit’. | |
Léon Bloy, le pèlerin de l'AbsoluUn autre Français influença lui aussi - fût-ce à un stade plus tardif - l'émancipation des catholiques néerlandais: Léon Bloy. Pendant l'entre-deux-guerresGa naar eind(8), on lança au Pays-Bas un Mouvement de Jeunes (Jongerenbeweging) catholique où l'on retrouve une bonne part de la révolte littéraire de Rimbaud, de Montherlant et de celui qui aimait se définir comme ‘le pèlerin de l'absolu’, Léon Bloy. Le catholicisme intransigeant de Léon Bloy plaisait à la jeunesse catholique néerlandaise. Ce fut le jonkheer Pieter van der Meer de WalcherenGa naar eind(9), aristocrate indifférent et anarchisant, qui introduisit Bloy aux Pays-Bas: il serait plus juste de dire ‘propagea’. Bloy fut son parrain - comme il fut celui de Jacques Maritain - quand Van der Meer de Walcheren se convertit en 1911 au catholicisme romain. Lorsqu'après avoir sillonné la France, ce dernier se fixa aux Pays-Bas, il
Pieter van der Meer de Walcheren (1880-1970).
| |
[pagina 34]
| |
devint le mentor et l'inspirateur d'une élite de jeunes catholiques, rassemblés dans le mouvement De Gemeenschap (La Communauté)Ga naar eind(10). C'était l'époque où de jeunes artistes catholiques se mettaient à s'insurger contre la bourgeoise autosatisfaction politique et sociale qui commençait à marquer l'émancipation des catholiques. A cet égard, Bloy représentait pour eux l'exemple-type d'un christianisme plus vécu et plus radical. Naturellement leur non-conformisme suscita des résistances chez les politiciens et leaders sociaux catholiques réunis dans le R.K.S.P. (Rooms Katholieke Staatspartij - Parti d'Etat Catholique Romain) et chez un clergé en majeure partie bourgeois. Les jeunes admiraient Bloy comme ‘le prophète qui a pour tâche de réveiller chacun de sa béate indolence.’ Les supporters de Bloy trouvaient à s'exprimer dans toutes sortes de publications, comme Aristo, Roeping (littéraire celle-là) où les frères Gérard et Henri Bruning se seraient jetés au feu pour le ‘catholicisme intégral’ de Bloy. Dans l'entre-deux-guerres, tout salut devait nécessairement venir de France ‘tout simplement parce que la France est la France et que la France (est) l'âme vivante de tous les peuples’! Cette tendance à l'intégrisme catholique devait fatalement mener à un rejet élitaire des institutions démocratiques (‘cette stupide puissance du nombre’ écrivait l'Abbé Wouter Lutkie). Quelques jeunes catholiques finiraient par s'égarer dans les mouvances fascistoïdes et antisémites, où l'on flirtait avec Mussolini, voire, pour une minorité, avec Hitler. Les canaux politiques qui les menèrent dans ces eaux troubles étaient le Zwart Front (Front Noir) et de mouvement flamando-hollandais Dinaso du Flamand Joris van Severen, qui avait découvert l'oeuvre de Bloy en 14-18 au front et le citait de mémoire à temps et à contretemps. On serait incomplet si l'on n'évoquait pas ici cet enseignant du Grand Séminaire ‘Rijsenburg’ (traité de ‘pépinière cléricale’ par les jeunes catholiques!) qui mettait ses élèves en garde contre cet engouement sentimental pour le ‘radicalisme religieux pathologique’ de Bloy et ses idees ‘antidémocratiques’, empruntées à l'Action Française: il s'agissait du professeurdocteur Jan de Jong, originaire de l'île frisonne d'Ameland, futur archevêque d'Utrecht, reconnu par toute la résistance comme le pivot de la lutte ecclésiastique contre le fascisme et le national-socialisme dans les Pays-Bas des années 40-45. | |
Bernanos, Mauriac, Claudel et la littérature catholique aux Pays-BasCe furent Bernanos, Mauriac et Claudel qui focalisèrent l'influence de Bloy sur le réveil de la littérature catholique des années vingt et trente. Les livraisons de la revue De Gemeenschap en apportent encore toujours un éclatant témoignage. Concentrons-nous sur celui qui fut le grand leader catholique de l'avant- à l'aprèsdeuxième guerre mondiale, Anton van Duinkerken, alias Willem AsselbergsGa naar eind(11). Si nous lui consacrons ici une mention spéciale, c'est aussi parce qu'il est le prototype du catholique inspiré par la France. Né sur la frontière flamando-néerlandaise et tenté par la prêtrise, il fit ses études secondaires au séminaire. Ces institutions étaient alors pratiquement des copies conformes des collèges français. Il y lut Racine (en secret - ‘un choc émotionnel déterminant’ reconnaissait-il plus tard); futur journaliste laïc, il s'enflammait dès le séminaire pour Louis VeuillotGa naar eind(12), ‘le journaliste acerbe et fier à l'âme de prophète’, mais tout autant pour son adversaire, Félix Dupanloup, et pour Joseph de MaistreGa naar eind(13) en qui il voyait ‘le père spirituel de la moderne avant-garde catholique’. De Maistre, ‘l'aristocrate méconnu’, lui inspira ainsi qu'à beaucoup de ses camarades une véritable ‘aversion pour la médiocrité’. Bref, la jeunesse de Van Duinkerken fut baignée d'influences françaises contemporaines et c'est avec délectation qu'il jouissait ‘du mobile esprit gaulois et de sa prompte intellectualité’. Lui, le Néerlandais du sud, pur produit d'une formation latine, s'en prenait violemment à l'individualisme d'un calvinisme ennemi du corps, si typique des Pays-Bas du nord. Aussi, dans son oeuvre célèbre aux Pays-Bas, Verdediging van Carnaval (Défense du Carnaval), se réclamait-il de Paul Claudel, reprenant ses termes mêmes ‘pour la magnification des formes | |
[pagina 35]
| |
Anton van Duinkerken (1903-1969).
du corps dans la plastique, qui va de pair avec la pénétration toujours plus profonde de l'esprit dans la vie mystique’; ‘les excès des fêtes du carnaval sont justifiées par la foi en l'assurance d'un avenir pour l'homme’. L'oeuvre s'inscrivait parfaitement dans la ligne de Mauriac et de Claudel. Si Van Duinkerken avait, au cours de sa jeunesse, manifesté de l'engouement pour Bloy - ‘le grand juge du pourrissement moderne’ - et HelloGa naar eind(14), il ne tarda pas à se distancier de ce ‘prédicateur de châtiment’; qui ‘a trop souvent laissé la violence du tempérament prendre le pas sur la force de la volonté, qui vise à la conformité avec le bon plaisir de Dieu; en cela Bloy n'est pas un bon exemple de zèle religieux’. Aussi Van Duinkerken ne s'est-il jamais laissé aller à flirter avec le fascisme - comme quelques-uns de ses compagnons ‘malcontents’ du mouvement De Gemeenschap -. Au contraire, se situant ainsi dans le sillage de Claudel et de Maritain, il fut l'un des rares catholiques néerlandais à protester contre Franco et sa prétendue ‘croisade pour la foi’. C'est précisément son catholicisme qui l'armait, dès sa jeunesse, contre la montée du fascisme, ce qui vaudra un internement dans un camp pour otages à ce Van Duinkerken qui nous confie avoir troqué la célèbre formule de Léon Bloy, ‘la seule douleur est de n'être pas des Saints’ pour celle de Claudel, ‘le bonheur est notre patrimoine’. Bien qu'ayant pris sa défense contre un groupe d'ecclésiastiques lors d'une conférence que Mauriac donna à La Haye, Van Duinkerken déplorait chez lui son manque de vitalisme. Finalement convaincu du ‘danger’ que représentait le défaitisme de Mauriac, il se reconnaissait de plus en plus dans Bernanos, ‘le romancier de la grâce’. | |
Le catholicisme néerlandais d'après-guerre: la percée.Si nous avons tout particulièrement suivi l'itinéraire spirituel de Van Duinkerken, c'est parce qu'il fut l'un des rares catholiques de son temps à rallier le socialisme. Ce qui nous mène à un aspect plus actuel de l'influence française sur le catholicisme néerlandais d'après-guerre: ce qu'il est convenu d'appeler ‘la percée’. Cette échappée hors du champ clos du système politique catholique (autocratisme intérieur), s'explique par l'influence de Maritain et de sa revue Esprit. Van Duinkerken lui-même y avait déjà dénoncé ‘la fausseté d'un spiritualisme fasciste, florissant dans les milieux catholiques’. Van Duinkerken considérait alors Jacques Maritain comme ‘l'un des phares de l'Eglise de ce temps’. Le coeur de son message était la ‘renaissance solidaire de la personnalité humaine, qui est à tous degrés une communauté de personnalités’. C'est l'approche personnaliste du socialisme, qui, théoriquement pendant la Seconde Guerre mondiale, mais en pratique dès la fin de celle-ci, aiderait à la fondation en 1946 du parti socialiste néerlandais, le Partij van de Arbeid (Parti du travail), dont la ‘percée idéologique’ déjà évoquée avait jeté les fondations. | |
[pagina 36]
| |
Au sein du mouvement De Gemeenschap, l'aile-Maritain, gagnait de jour en jour en influence. ‘Dieu ne demande pas d'art religieux ou d'art catholique; l'art qu'il veut pour lui, c'est l'art’. Cette décatholisation et désacralisation de l'art et de la culture, les jeunes catholiques l'étendraient à la réalité politique. Le seul problème était de trouver le moyen de renouer avec les adversaires socialistes d'avant-guerre et de les gagner à une alliance du socialisme et du christianisme. En mai 1942, l'occupant allemand prit en otage 450 leaders néerlandais de tout bord politique et religieux. Ensemble, ils rêvaient des Pays-Bas d'après-guerre; quel visage politique fallait-il leur donner? Plus encore que les réformés, les catholiques rassemblés dans ces camps estimaient dépassée la reconstitution des partis politiques à base confessionnelle. L'émancipation des catholiques romains était, à leur sens, quasiment acquise. Le hasard voulut qu'un des otages, le député socialiste Henk BrugmansGa naar eind(15), un docteur en langues romanes, encore protestantlibéral à l'époque, continuât à recevoir très régulièrement des gardiens du camp la revue Esprit. En 1938, Esprit (dont Emmanuel MounierGa naar eind(16) avait été la figure de proue) avait lancé un appel à ‘une démocratie personnaliste’. Brugmans rassemblerait prisonniers socialistes et chrétiens sous la bannière du ‘socialisme personnaliste’. Cette vision de Mounier serait adaptée à la réalité politique néerlandaise: on chercherait une voie ‘où chrétiens et incroyants, sans mutilations réciproques, puissent trouver leur place et créer ensemble, sur la base d'une primauté du spirituel, une société d'hommes libres’ qui réconcilierait le christianisme et l'humanisme. L'antinomie cultivée pendant plus d'un demisiècle par la gauche et la droite néerlandaises, la fameuse ‘antithèse’, semblait pouvoir être vaincue par ces idées venues de FranceGa naar eind(17). Toutefois, lors de la fondation du Partij van de Arbeid en 1946, seule une petite élite de catholiques, pour la plupart venus via Maritain à la ‘percée’, rallia la nouvelle formation. L'épiscopat condamna cette percée; à la rénovation, il préférait une restauration des associations catholiques interdites par l'occupant allemand. Le piquant de l'affaire, c'est que les tenants de la ‘percée’ se réclamaient de l'épiscopat français, en particulier du cardinal Suhard. Lorsque le professeur et docteur Walter Goddijn, célèbre théologien et sociologue de l'ordre des Frères mineurs, rencontra en 1969 à Rome le cardinal Villot appelé par Paul VI au secrétariat d'Etat, ce dernier lui déclara: ‘Il y a vingt ans, la France portait l'étendard de la rénovation de l'Eglise; maintenant ce sont les Pays-Bas; pensez à votre grande responsabilité’. Si, dans les années soixante, les Pays-Bas catholiques se sont fait une publicité mondiale en agitant frénétiquement l'étendard de la rénovation, leur démarche controversée découlait des évolutions du catholicisme français de l'immédiat après-guerre. Cela s'explique: du point de vue liturgique et théologique, le catholicisme néerlandais s'était également inspiré de son voisin allemand; mais le catholicisme allemand décevrait profondément ses coreligionnaires néerlandais, l'archevêque Jan de Jong tout le premier. Après la guerre, l'Allemagne ferait l'objet d'un tabou qui irait jusqu'à l'absurde. Par contre, on diffusait à l'envi les traductions de lettres du cardinal Suhard: Essor et déclin de l'Eglise (1947), Le sens de Dieu (1948). Elles conduisirent à des Expériences pastorales (1950). On en appréciait surtout la dimension sociale. A côté des Alliances françaises qui existaient déjà, on lança des Cercles catholiques d'amitié française qui traduisaient l'intérêt pour une France en plein redressement. Le cardinal Feltin y était un conférencier apprécié. On se précipitait également sur la ‘Nouvelle théologie’, qui répondait aux désirs de rénovation accumulés pendant la guerre. Le ‘Germania docet’ cédait le pas au ‘Gallia docet’. Les ouvrages des Dominicains Chenu et Congar et des jésuites De Lubac et Daniélou se taillaient un marché dans des Pays-Bas déjà avides de lecture par ailleurs. La consigne était au ‘ressourcement’ des théologiens français - ‘herbronning’ en néerlandais -. Témoignage Chrétien passait de main en main, on en traduisait des articles qu'on faisait paraître dans les | |
[pagina 37]
| |
publications progressistes catholiques, nées pour une part des périodiques clandestins de l'occupation. C'étaient en particulier les catholiques passés au socialisme qui s'inspiraient et s'autorisaient des lettres du cardinal Suhard, tout comme, plus tard, le mouvement oecuménique catholique se réclamerait de l'oeuvre - tôt traduite - de Teilhard de Chardin, laquelle donnerait du champ à un dialogue compliqué par la multitude et l'émiettement des confessions protestantes. Par la suite, ce serait Taizé qui élargirait les perspectives de l'oecuménisme néerlandais. Ces multiples influences ne se sont pas limitées aux Pays-Bas. Dans les lignes qui précèdent, nous avons déjà rappelé que (du fait notamment des Lois Combes) beaucoup d'évêques de mission, de Supérieurs généraux d'ordres et congrégations etc., étaient des Néerlandais. Lors de Vatican II, au cours d'une foule d'entretiens, ils furent mis à la page par des théologiens néerlandais ‘progressistes’, qui avaient nourri leur vision de l'Eglise des vues de Congar cum suis. Le plus célèbre de ces théologiens, Edward SchillebeeckxGa naar eind(18) fut le conseiller théologique et l'inspirateur du cardinal Alfrink au Concile. Ce n'est pas pour rien que l'appareil de la curie craignait cette influence directe, via les Pays-Bas, d'une Nouvelle Théologie française plus axée sur les réalités terrestres. Sur le plan liturgique aussi, l'influence de la France prenait le relais de celle de l'Allemagne. En 1946, on organisa à Maastricht le premier Congrès liturgique. On avait invité le Père Ducoeur s.j. à y prendre la parole; sa conférence portait un titre significatif: ‘Comment se pose le problème de la liturgie populaire?’. Plus d'un liturgiste néerlandais faisait un pèlerinage à l'église estudiantine de Saint-Séverin de Paris où l'on se livrait à des expériences de liturgie en langue populaire. Dans mainte paroisse, on écoutait des disques des Psaumes de Gélineau s.j. qu'on chantait ensuite en traduction. Cet intérêt particulier pour la France s'expliquait notamment par la conscience que le catholicisme néerlandais subirait tôt ou tard une sécularisation déjà engagée depuis longtemps
Edward Schillebeeckx (o1914).
dans un catholicisme français en quête de solution à cette situation. Ce sont deux Jésuites, le poète Huub Oosterhuis et le musicien Bernard Huibers, qui ont transposé aux Pays-Bas les idées de Gélineau sur la liturgie en langue populaire; non pas tant du point de vue linguistique que dans l'esprit d'une liturgie axée sur une participation, également attentive à un monde séculariséGa naar eind(19). ‘L'Eglise catholique néerlandaise, du moins aux yeux de l'opinion publique française, joue de moins en moins le rôle d'enfant terrible à l'intérieur de la grande famille des Chrétiens’, écrivait Henri Fesquet, journaliste au Monde, en 1973, à l'occasion de la traduction de son livre La foi toute nue. Les catholiques néerlandais se sont offusqués dans les années soixante de passer à l'étranger pour des ‘enfants terribles’ alors qu'ils ne faisaient que mettre en pratique des idées conçues ailleurs. La société néerlandaise a rarement fourni des penseurs originaux mais elle a toujours su accueillir et traduire dans les faits les idées lan- | |
[pagina 38]
| |
cées ailleursGa naar eind(20). Les Néerlandais, et tout particulièrement les ‘Hollandais’ sont des hommes d'action, le catholicisme n'y change rien. Ils ont mis en pratique les idées élaborées par le catholicisme français, à la grande frayeur de celui-ci, car les idées mises en pratique perdent beaucoup de leur charme idéel; la pratique grossit l'abstraction. Aussi l'univers catholique, après avoir admiré les Pays-Bas, n'a-t-il pas tardé, Français compris, à en faire un bouc émissaire. Peut-être les Pays-Bas auraient-ils dû marquer plus de cohérence dans leur écoute de la France et comprendre que lancer un mouvement de rénovation et en être le pionnier ne peut manquer de soulever aussi des oppositions. Sillonnant l'Europe, le bénédictin français Dom PitraGa naar eind(21), écrivait en 1849 à propos des Pays-Bas: ‘La Hollande, c'est le pays qui a le plus sagement profité de nos révolutions.’ Le moine français qui ferait de nos jours une étude sur l'influence de la France sur le catholicisme néerlandais pourrait sans doute faire la même remarque; mais reprendrait-il aussi les mots ‘le plus sagement’? Il y a tout lieu de se le demander... KEES MIDDELHOFF Correspondant de la BRT (radio et télévision flamande) aux Pays-Bas. Adresse: Sterrelaan 13, NL-1217 PP Hilversum.
Traduit du néerlandais par Jacques Fermaut. | |
Ouvrages consultés:b. van bilsen o.f.m., Het schisma van Utrecht (Le schisme d'Utrecht). pierre brachin, Histoire du catholicisme hollandais. walter goddijn o.f.m., De beheerste kerk (L'Eglise maîtresse d'elle-même). coos huijsen, Het socialisme als opdracht (Le socialisme comme mission). l. joosten, Katholicisme en fascisme in Nederland (Catholicisme et fascisme aux Pays-Bas). madelon de keizer, De gijzelaars van St.-Michielsgestel (Les otages de St.-Michielsgestel). a. roes, Een schaduw verschuift (Van Duinkerken) (Une ombre passe Van Duinkerken). jan roes, Het grote Missieuur (La grande période des Missions). l.j. rogier, In vrijheid herboren et autres oeuvres (Re-né en liberté). |
|