se sentait moins attiré par les aspects politiques du marxisme que par l'idéalisme social dans l'esprit de l'artiste-écrivain anglais William Morris. en 1908, le jeune Roland Holst partit faire des études à Oxford, et il y succomba à un autre charme: il découvrit la mythologie irlandaise, avec sa représentation d'un ‘Pays de l'éternelle jeunesse’, paradis où serait possible, dans la beauté et dans la joie de vivre, une existence humaine qui échapperait au temps. La nostalgie de l'Elysée deviendrait plus tard le thème par excellence de la poésie de Roland Holst, thème qui implique de se détourner du monde et s'opposait diamétralement à l'idéalisme social qu'il finit par éliminer.
Roland Holst fit ses débuts de poète en décembre 1908 dans la revue De xxe eeuw (Le vingtième siècle). A Oxford, il avait opté pour l'économie mais échoua par manque d'intérêt pour la matière. En 1910, il regagna son domicile de Hilversum et c'est alors que son père, un homme d'affaires aisé, décida de lui permettre, par une rente annuelle, de se consacrer totalement aux lettres.
Jusqu'à la première guerre mondiale, Roland Holst fit encore de nombreux séjours en Angleterre, pour continuer à y étudier à Oxford la mythologie celte et la littérature irlandaise, et pour y travailler à sa poésie à Lynmouth, sur la côte rocheuse du Devon septentrional. Quand la guerre eut interdit ces voyages, il se fixa à Bergen, localité également toute proche de la mer.
Sa prédilection pour le paysage côtier, le thème du désir élyséen et le sentiment de la déchirure intérieure, Roland Holst les a ‘mythologisés’ dans l'oeuvre intitulée De afspraak (Le rendez-vous, 1925) un récit qu'on peut considérer comme le coeur de son oeuvre. Encore enfant, selon le récit, le poète voit apparaître un étranger qui imprime une direction à sa vie, qui lui apporte la révélation d'une réalité dans laquelle la beauté n'est pas assujettie au temps. L'enfant reçoit la mission d'aller plus tard habiter en bordure de mer afin de ne pas oublier cette révélation, et l'homme prend rendez-vous pour venir un jour le ‘sauver et l'emmener’ vers cette autre réalité. Devenu adulte, le poète comprend qu'il était lui-même cet étranger, qu'il s'agissait de son double métaphysique.
Dans le poème De ploeger (Le laboureur), Roland Holst a donné forme à cette idée d'une mission qu'il s'est lui-même confiée. Mais on peut également lire le poème - qui appartient aux vers les plus célèbres de Roland Holst - comme une allégorie qui s'applique à quiconque veut remplir une tâche; son vieil idéalisme n'était pas mort quand le poète écrivit ces vers.
Dans De kleine waterplek (La flaque d'eau), il est question de ‘résister au monde’. Cette résistance au monde, qui est la conséquence du mythe personnel de De afspraak et qui s'impose parce que ce monde a oublié le désir élyséen, revêt dans le poème Einde (Fin) une allure prophétique. Contre le monde, on proclame une sentence qui semble s'accomplir depuis la nuit des temps. Ici aussi, la mer joue un rôle indispensable dans l'évocation. Le rôle que le paysage côtier joue pour Roland Holst s'est cristallisé par la suite dans les 63 strophes très denses du recueil Een winter aan zze (Un hiver à la mer, 1937). Dans la première des deux strophes citées ciaprès, il semble que la catastrophe métaphysique qui se manifeste dans la nature se tourne contre le poète lui-même. Dans la deuxième strophe, il évoque dans le miroir, le symbole archétypique capable de rendre visible cette ‘autre’ réalité, la femme aimée qui aurait dû être susceptible de partager la conception de la vie du poète. Son infidélité à cette vocation est l'un des thèmes principaux de ce recueil.
Roland Holst a consacré sa poésie à une conception du monde et de la vie qui ne devait pas seulement l'amener en conflit avec lui-même (une lutte intérieure qu'il a symbolisée dans le double), mais aussi avec le monde. D'où l'exigence de ‘solitude avec soi-même’. Il a mené cette lutte jusque dans ses tout derniers vers. Certes, c'est la splendeur de sa langue et des images de sa poésie qui a fait de lui un grand poète mais aussi sa disponibilité à rester fidèle à la mission qu'il s'était lui-même proposée. Aussi est-ce à juste raison que la commémoration du centième anniversaire de sa naissance n'est pas passée inaperçue.
JAN VAN DER VEGT
Romancier, biographe et critique littéraire.
Adresse: Ewisweg 26, NL-1852 EK Heiloo.
Traduit du néerlandais par Jacques Fermaut.