Septentrion. Jaargang 17
(1988)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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L'influence du catholicisme français aux Pays-Bas. 1Les Pays-Bas, pays de missionContrairement à ce que l'on pense généralement, hors des Pays-Bas tout au moins, le calvinisme a été importé dans les Pays-Bas du nord à partir de la Flandre, qui incluait encore la Flandre française, et a été imposé par une minorité à la population néerlandaise, alors encore majoritairement catholique. Quant aux Pays-Bas du sud (qui correspondent grosso-modo à la Belgique actuelle), ils furent ramenés au catholicisme par les gouvernants espagnols (Philippe II, le duc de Parme, le duc d'Albe). La République des Pays-Bas du nord ayant déclaré le calvinisme religion officielle, l'exercice du culte catholique (entre autres) fut interdit. La persécution ou le départ des évêques et de beaucoup de prêtres avaient complètement désorganisé la hiérarchie catholique mise en
L'église clandestine ‘Onze-Lieve-Heer op Zolder’ à Amsterdam.
place par Philippe II. Aux yeux de Rome, les Pays-Bas étaient un ‘territoire de mission’ au même titre que la Papouasie; ils le restèrent pour elle jusqu'en 1853. Les églises, monastères et couvents ayant été confisqués, les catholiques fondèrent ce que l'on appela des ‘maisons-églises’: à l'intérieur église (souvent églises en miniature de style baroque latin), à l'extérieur maison d'habitation ou grangeGa naar eind(1). Il va de soi qu'en l'absence d'un évêque centralisateur, les quelques prêtres en exercice pouvaient se muer en mini-potentats. En outre, beaucoup d'églises clandestines urbaines se livraient une telle concurrence qu'elle déclencha une lutte opiniâtre entre les prêtres séculiers, pour la plupart Néerlandais du nord et les prêtres réguliers, souvent Néerlandais du sud. Entre autres facteurs, l'argent jouait un grand rôle dans l'affaire, d'autant plus que la tolérance des autorités devait être ‘achetée’. En 1651, Rome nomma Jan van NeercasselGa naar eind(2) ‘évêque de mission’. Ce séculier de 28 ans avait reçu sa formation spirituelle des oratoriens de Paris. Ces oratoriens marquaient de la sympathie aux idées de l'évêque Jansénius, alias Kees JansenGa naar eind(3) (lequel était du reste d'origine néerlandaise) et au gallicanisme naissant. Van Neercassel introduisit ces idées dans l'Eglise néerlandaise en exil. La réceptivité des catholiques de la République calviniste pour le jansénisme peut sans doute s'expliquer par cette boutade de Quesnel: ‘un Janséniste, c'est un Calviniste qui dit la Messe’. Sa vie durant, Van Neercassel mit en pratique les conceptions religieuses de son ami intime Pierre de BérulleGa naar eind(4). En France l'abbaye de Port-Royal était devenue l'épicentre du jansénisme. C'est dans cette mouvance française que l'on considérait Van Neercassel comme ‘le grand auxiliaire de Port-Royal’Ga naar eind(5). | |
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Portrait de Jansenius (1585-1638), huile sur panneau, selon la gravure par A. van der Does (photo Catharijneconvent Utrecht).
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Jan van Neercassel (1623-1686) (photo Catharijneconvent Utrecht).
Parallèlement, Van Neercassel était un fervent admirateur de Bossuet, le fondateur du gallicanisme, tendance qui rencontrait alors de la sympathie - pour d'autres raisons toutefois qu'en France - dans cette République des Pays-Bas aux allures de grande puissance internationale. En France, le jansénisme s'étant de plus en plus monté contre le roi, Louis XIV fit fermer l'Abbaye de Port-Royal en 1709. Beaucoup de solitaires, parmi lesquels Quesnel et les Arnauld se réfugièrent aux Pays-Bas, où on les accueillit avec sympathie en ‘héros de la foi et (en) anges de la paix’. Avec quelque 25 chartreux français gagnés aux idées de Port-Royal, ils s'établirent dans des manoirs autour d'Utrecht. Les autorités calvinistes n'avaient rien contre ces religieux-là, qui flirtaient avec un national-catholicisme et ne respectaient pas les décisions papales. Le Vicaire apostolique, adepte convaincu des idées de Jansénius, était le pupille et le successeur de Neercassel, Petrus CoddeGa naar eind(6). Ce fils de patriciens avait également été formé chez les oratoriens de Paris et d'Orléans, où il avait côtoyé les paladins français du jansénisme, Antoine ArnauldGa naar eind(7) et QuesnelGa naar eind(8). (Codde publia à compte d'auteur une traduction de l'oeuvre de Bossuet, l'Exposition de la doctrine catholique). Dès son entrée en fonction en 1688, Codde, déjà embarrassé par le manque de prêtres, n'hésita pas à charger d'un ministère pastoral (clandestin) ceux qui arrivaient de France, déclenchant ainsi les protestations de Rome, alimentées par des jésuites établis aux Pays-Bas. Emu par les ragots, le pape somma Codde de venir s'expliquer à Rome où on lui opposa le dossier des plaintes recueillies contre luiGa naar eind(9). La défense de Codde fut estimée insuffisante par la commission de cardinaux chargée de statuer sur son cas. Il fut suspendu, suspense dont, soit dit en passant, il dut recevoir notification via les Pays-Bas, alors qu'il était encore à RomeGa naar eind(10). En 1704, Codde fut révoqué par Rome. Cette révocation sema l'armertume dans la communauté catholique néerlandaise, tout au moins dans le clergé séculier, particulièrement quand Rome désigna pour lui succéder un de ses plus farouches adversairesGa naar eind(11). Les chapitres de Haarlem et d'Utrecht ne reconnurent pas ce successeur, ils furent confortés
Portrait de Petrus Codde décédé (1648-1710), toile, 71,5 × 60 cm, Catharijneconvent, Utrecht.
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Portrait de Cornelis van Steenoven décédé (1662-1725), 63 × 79 cm. Catharijneconvent, Utrecht.
fortés dans cette attitude par des jansénistes français qui les avaient abreuvés d'idées ‘gallicanes’ antiromaines, si bien qu'ils s'attribuèrent alors la haute main sur les nominations. Par l'entremise de prêtres français réfugiés aux Pays-Bas et de théologiens de la Sorbonne sympathiques au gallicanisme, les chapitres rebelles trouvèrent des évêques français disposés à ordonner des prêtres néerlandais. Enfin, le 14 octobre 1724, l'évêque missionnaire Dominique VarletGa naar eind(12) conféra l'onction épiscopale au prêtre Cornelis van Steenoven, en la maison amstellodamoise du Français Arnold Brigode, secrétaire de Quesnel. Le Pape Benoît XIII déclara cette consécration invalide. | |
Schisme au sein de l'Eglise néerlandaiseLe jansénisme d'importation française et le gallicanisme hostile au centralisme romain menèrent à un schisme dans une Eglise catholique néerlandaise déjà travaillée de multiples tensions. L'Eglise ‘vieille-catholique’ ouvrit son propre séminaire à Amersfoort; les professeurs, venus pour la plupart de France, y transportèrent comme ‘une odeur de Port-Royal’. Les autorités calvinistes ne s'opposèrent pas à cette formation de prêtres, bien au contraire; tous les prêtres réguliers qui refusèrent de reconnaître l'évêque vieux-catholique furent expulsés. A quatre reprises, Mgr. Varlet conféra l'onction épiscopale à des prêtres vieux-catholiques. Au bout du compte quelque 15% des prêtres (la plupart réfugiés de France) et un peu moins de 10% des catholiques néerlandais optèrent pour cette église catholique nationale, où l'on ne tarda pas à administrer les sacrements, baptême, mariage, etc., en néerlandais. Il convient de ne pas oublier qu'au cours de ces années, les catholiques néerlandais étaient nourris de livres pieux venus de France, en particulier de publications inspirées par un catholicisme d'esprit janséniste, marqué de puritanisme et de rigorisme. En dehors de cette influence française directe, instigatrice d'une église catholique néerlandaise considérée comme schismatique par Rome, il s'est trouvé d'autres moments où des autorités françaises s'intéressèrent à la place du catholicisme dans la République. C'est ainsi que la chapelle de l'ambassade française de La Haye était ouverte aux catholiques locaux: au cours de ces offices, on y prêchait en néerlandais. Devant les objections des autorités calvinistes, l'ambassadeur français invoqua l'exemple de l'ambassade de la République à Paris, où l'on prêchait en français à l'intention des Huguenots du cru! Les membres des délégations françaises engagées dans des pourparlers de paix ont plus d'une fois cherché à obtenir de la République des facilités pour les catholiques. Ainsi l'envoyé | |
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français Jeannin (1609) essaya-t-il - du reste en vain - d'inclure dans le traité qui tentait de mettre un terme à la lutte d'indépendance de la République contre l'Espagne, une clause garantissant aux catholiques (qui constituaient alors les deux tiers de la population) le libre exercice de leur culte ‘au besoin dans des maisons particulières’. Lors des négociations du traité de Rijswijk (1697) qui mirent fin à la guerre entre la France et la République, ces préoccupations françaises eurent plutôt un effet négatif. Le confesseur d'un des plénipotentiaires français, un jésuite venu de France, Louis Doucin, rédigea un Breve Memoriale où il dépeignait le catholicisme néerlandais comme un bastion du jansénisme et qu'on lut avec délectation à Rome... Depuis 1662, Amsterdam possédait une ‘église française’ desservie par des carmélites français et fréquentée par des marchands français; plus d'un marchand catholique amstellodamois aimait à y escorter son hôte français! En 1672, Louis XIV envahit la République néerlandaise, petite mais puissante, qui avait contrecarré la politique expansionniste du Roi Soleil. Au printemps 1672, la ville d'Utrecht tomba aux mains des Français. Une des premières mesures prises par le maréchal TurenneGa naar eind(13) fut de mettre à la disposition des catholiques la cathédrale ainsi que les monastères et couvents réquisitionnés par la minorité calviniste. On organisa (à nouveau) dans la ville une procession du Saint Sacrement où des officiers français portaient le baldaquin. Turenne tenta même de rétablir la hiérarchie ecclésiastique aux Pays-Bas mais Rome fit la sourde oreille. Il est frappant que les autorités aient prié le Vicaire apostolique francophile Van Neercassel d'obtenir de Louis XIV une réduction de la rançon imposée par les occupants français: cet ami de Bossuet, qui parlait mieux le français que le néerlandais, fut reçu par le Roi Soleil et parvint à un demi-succès. Les catholiques payèrent cher le ‘printemps français’ (1672-1678), bien que les ‘hardis papistes’ se fussent révélés ‘de fidèles citoyens’. Le maréchal Turenne par exemple ne comprenait rien à la résistance qu'il rencontrait dans des régions presque intégralement catholiques, comme autour de Nimègue et de Maastricht. Van Neercassel - qu'on avait su trouver pour la médiation parisienne - fut contraint de se cacher dans les Pays-Bas du sud, à Anvers. Le ‘printemps français’ ne tarda pas à se muer en un rigoureux hiver, quand l'aversion soulevée dans la République par la Révocation de l'Edit de Nantes (1685) fut vengée sur les catholiques néerlandais. | |
Les Pays-Bas et la Révolution françaiseS'il s'est trouvé une fraction de la population néerlandaise à danser de joie autour de l'arbre de la liberté importé de France, ce furent bien les catholiques. L'internonce apostolique de Bruxelles Brancodoro, responsable de l'église missionnaire néerlandaise, voulut, en 1793, faire proclamer dans les églises une lettre qui dépeignait les idées de la Révolution française comme ‘l'oeuvre du diable’. La grande majorité des ecclésiastiques néerlandais refusèrent de la lire aux fidèles. Brancodoro s'empressa de demander à Rome que ‘les catholique hébétés de la République, qui remerciaient Dieu de les avoir libérés de l'esclavage, ne tarderaient pas à éprouver les horreurs de la persécution et de la guillotine’. (Il n'était pas le seul nonce apostolique à se méprendre sur la situation néerlandaise!) Ecartés pendant deux siècles de toutes les fonctions officielles, lors de la création de la République batave en 1795, les catholiques, dont quelques prêtres, occupèrent d'emblée 30 sièges de députés sur 126. Si dans les pays catholiques occupés par les Français, on fermait monastères, couvents et églises, ce ne fut pas le cas aux Pays-Bas. Une grande partie de leurs églises, réquisitionnées par les calvinistes, s'ouvrirent aux catholiques. La Liberté et l'Egalité amenèrent quelque Fraternité entre calvinistes et catholiques: les églises clandestines purent afficher leur caractère de lieu saint jusque dans leur architecture extérieure. Les futurs prêtres ne furent plus condamnés à faire leurs études à l'étranger: en 1799, on ouvrit quatre séminaires. Le catholicisme néerlandais, jusqu'alors plant de serre, put atteindre sa pleine maturité. Il est clair que les adjuvants de cette croissance comportaient | |
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une forte dose de ‘libéralisme’, au grand dam de Rome. A nouveau, c'était de prêtres français dissidents que le catholicisme néerlandais allait prendre conseil. On rechercha en particulier le soutien de ceux qui en France avaient prêté serment à la Constitution Civile du Clergé, entre autres Henri GrégoireGa naar eind(14). Cet évêque de Blois était l'un des partisans les plus radicaux de l'introduction dans l'Eglise des idéaux de liberté et d'autonomie de la personnalité humaine, ce qui en faisait un adversaire résolu de la curie romaine et un ‘oecuméniste’ jusqu'à l'indifférence. En 1803 par exemple, il célébra la messe aux Pays-Bas, dans une église vieille catholique, ce qui équivalait à se distancier des catholiques romains néerlandais, en dépit de la concordance de leurs idées avec les siennes. Le catholicisme néerlandais disposait d'un autre phare: LamennaisGa naar eind(15). C'étaient surtout ses idées, ardemment combattues par Rome, sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat qui séduisaient alors les catholiques néerlandais. Son célèbre ‘Plus la liberté sera entière, plus le catholicisme grandira’, était une idée que les catholiques néerlandais n'avaient pu jusqu'alors caresser qu'en secret. Mais son avis sur le libéralisme, ‘catholicisez-le, et la société renaîtra’ leur paraissait alors passer la mesure. Le bénédictin français Dom PitraGa naar eind(16), retour d'un séjour aux Pays-Bas, écrivait: ‘La Hollande, c'est le pays qui a le plus sagement profité de nos révolutions’, le terme ‘sagement’ est capital: le catholicisme néerlandais n'était pas précisément avare de critiques vis-à-vis des conceptions libertaires! Si le catholicisme néerlandais, tout comme l'ensemble des Pays-Bas, accepta Louis NapoléonGa naar eind(17) comme roi des Pays-Bas indépendants, il n'en fut pas de même de l'annexion à la France en 1810. Néanmoins, cette courte période napoléonienne (1806-13) marqua, elle aussi, le visage du catholicisme néerlandais. Louis Napoléon s'intéressait réellement aux Pays-Bas, en particulier à leur patrimoine culturel. Si l'aristocratie francolâtre et qualifiée de patriotique s'était presque fait une mode de l'usage habituel du français, Louis Napoléon exprimait sa ‘crainte que l'on néglige le Hollandois, qu'on ne maintienne pas la langue Hollandoise intacte’ et proclamait: ‘il faut tout faire pour que cela ne soit pas’. C'est dans cet esprit qu'il tournait également les yeux vers le timide catholicisme. Il s'employa à faire verser par le trésor public un salaire aux prêtres catholiques et à faire rétablir la hiérarchie ecclésiastique, ce qui permit au catholicisme néerlandais de ne plus devoir être traité comme un vulgaire territoire de mission africain. Le roi était appuyé en cela par l'aumônier de la cour, gagné à l'esprit des ‘lumières’, Paul Bertrand. En concertation avec le nonce de Bruxelles, Ciamberlani, on décida de fixer à Amsterdam le siège de l'archevêchéGa naar eind(18). A la mort de l'évêque vieux-catholique Mgr. J. van Rhijn (1808), Louis Napoléon interdit au chapitre de cette église de procéder à l'élection d'un nouvel évêque. Il espérait ainsi faire mourir de sa belle mort cette petite égliseGa naar eind(19). Détail frappant, quand il quitta les Pays-Bas en 1810, le mobilier de sa chapelle personnelle aménagée dans l'hôtel de ville du Dam transformé en palais, il le donna au Séminaire WarmondGa naar eind(20). En 1810, la France annexa les Pays-Bas. L'empereur Napoléon fut lui aussi confronté à la bipartition de l'église catholique néerlandaise. Quoique lui-même en froid avec Rome, il jugeait très sévèrement l'Eglise vieille-catholique. Pétri de centralisme, il n'avait aucune compréhension pour les prérogatives capitulaires dont se réclamaient les vieux-catholiques, et plus tard aussi les catholiques romains, en matière d'élection épiscopale. ‘Je ne reconnais que les évêques que je nomme moi-même et que le pape légalise ensuite’. L'empereur procura toutefois aux catholiques l'usage de quelques lieux de culte comme la Basilique Saint-Jean à Bois-le-Duc, capitale de la province du Brabant. Pour la Vierge à l'enfant qu'on y plaça, c'est la tête de Napoléon qui servit de modèle à celle de l'enfant-Jésus. Mais tout reconnaissant qu'il était, le clergé n'était pas prêt pour autant à suivre en tout Napoléon. C'est ainsi que les catholiques brabançons refusèrent de reconnaître l'évêque | |
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Le tête de Napoléon servit de modèle à celle de l'enfant-Jésus pour ‘La vierge à l'Enfant’ dans la basilique St.-Jean à Bois-le-Duc.
désigné par lui, non tali auxilio. Plus d'un curé refusait d'entonner à la fin de la Grand-messe le Domine salvum fac imperatorem nostrum. En cette même année 1810, le plébain de la basilique de Bois-le-Duc interdit de chanter le Te Deum à l'occasion du mariage de Napoléon et de Marie-Louise. KEES MIDDELHOFF
Correspondant de la BRT (Radio et Télévision flamande) aux Pays-Bas. Adresse: Sterrelaan 13, NL-1217 PP Hilversum.
Traduit du néerlandais par Jacques Fermaut. |
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