Septentrion. Jaargang 17
(1988)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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rarement dans le domaine de la poésie. Et pour ce qui est du dossier de presse de ce poète néerlandais, il serait déplacé de parler de bienveillance à son égard, car, de la part de la critique, il a aussitôt été question d'un enthousiasme élogieux. Dans les années soixante-dix les rééditions s'accumulent et régulièrement on peut voir Kopland côtoyer les bestsellers du palmarès littéraire. En 1987 son histoire se répète hors des frontières de la Hollande. La France prend connaissance de l'anthologie Songer à partir et tout de suite elle multiplie les superlatifs. Sans formuler la moindre réserve on parle de Kopland dans Le Monde, dans Vogue; et, tout comme en Hollande, lors des débuts du poète, lecteurs aussi bien que critiques ont l'air soulagé face à une lisibilité qui fait du bien après des années de disputes d'avant-garde, de poésie exsangue discréditant toute poésie. Or, point n'est besoin de se mettre à la place du jury du P.C. Hooft. C'est vraiment à juste titre que ce prix d'Etat, considéré communément comme la plus haute distinction littéraire néerlandaise, couronne aujourd'hui cette présence si remarquable, si appréciée dans les lettres du Nord. Est-ce à dire que Kopland est un poète facile? Il est vrai qu'on l'a souvent loué pour sa grande simplicité, mais ne serait-ce pas plutôt une apparente simplicité faisant passer des messages mystérieux provenant d'un univers plus complexe qu'on ne le croit? Ainsi, pour le lecteur deux problèmes se posent continuellement: en quoi consiste cette apparente simplicité? Et quel est l'univers Kopland soigneusement dissimulé derrière les apparences? Commençons par le problème de l'apparente simplicité. Ce n'est pas un secret que dans la vie courante Kopland est professeur de psychiatrie à l'Université de Groningue. En dépit de sa chaire, qui occupe le plus clair de son temps, son oeuvre poétique est exempte de toute ambiance pathologique ou médicale. Les émotions ne relèvent pas de diagnostics rocambolesques, mais tout en possédant des côtés secrets, ‘étranges’, elles sortent tout droit du quotidien: ainsi entre autres dans Al die mooie beloften (Toutes ces belles promesses, 1978):
La où vit la douleur, c'est là, bon dieu, que tu vis,
je me disais, et j'ai frappé, frappé en pensant:
amour, tu me donnes une étrange fureur,
j'aime avec une force étrange (p. 30)
Mais hors de la zone purement émotive, le mot simplicité indique également un grand amour pour les petites choses. Prenons la Drentse A, minuscule rivière sillonnant le nord des Pays-Bas. On la retrouve dans au moins trois de ses recueils. Elle ne cesse de fasciner le poète. Contemplant le courant, il essaie de comprendre l'écoulement du temps; les nombreux méandres lui rappellent sa propre incertitude face à un avenir toujours provisoire:
ou est-ce que ces hésitations interminables
sont les gestes vides de quelqu'un
qui n'existe déjà plus,
(Dit uitzicht - Cette vue, 1982, p. 16). La mythologie de Kopland nous montre un Styx réduit aux proportions d'un ruisseau dans la plaine au sud de Groningue. Mais la Hollande n'est pas le territoire exclusif du poète, car même des montagnes s'élèvent dans la géographie de Kopland. Eh bien, là non plus rien de pompeux ne gâche le paysage, car ces montagnes sont liées à de simples besoins de chaleur et de sécurité. ‘J'ai si envie de feu et d'alcool’, écrit-il à propos d'une vallée en proie à la brume, à une sorte de ‘froide sueur’ énigmatique (Een lege plek om te blijven, Un endroit vide pour rester - 1975, p. 20). Dans le même poème un paradoxe intrigue: ‘un val froid mais idyllique, avec vue sur la
Rutger Kopland (o1934).
brume’. Alors, si idylle il y a chez Kopland, elle peut être froide, brumeuse, donc: non idyllique; le grandiose s'y avère immédiatement simple, quotidien et s'ouvre toujours sur un lendemain brumeux, inconnu qui ne sera pas forcément grandiose lui-même. Cette géographie typique de Kopland en dit long sur son univers, mais donne une image insuffisante de sa complexité. Car cet univers s'étend bien au-delà de paysages qui reflètent la furtivité de notre vie intérieure. Nous voilà, en effet, devant un panorama thématique très varié. Tantôt le poète regrette le bon temps, chante l'amour et la mort, tantôt il suggère les secrets d'un chat, d'un cheval. Toujours est-il que la nostalgie occupe une place centrale dans l'oeuvre de Kopland. Et quelquefois même cette nostalgie se double d'un humour pince-sans rire, très nordique, comme le montre la célèbre ‘Jeune Laitue’:
Je suis capable de tout supporter,
des haricots qui se dessèchent,
des fleurs mourantes, l'arrachage
d'un carré de pommes de terre
j'y assiste sans larmes, pour ça
je suis vraiment un dur.
Mais la jeune laitue en septembre,
qu'on vient de planter, encore molle,
dans des couches humides, non.
(Alles op de fiets - Tout à vélo, 1969, p. 38). Qui dit nostalgie évoque, bien sûr, le thème du paradis perdu qui | |
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revient dans de nombreux poèmes de Kopland sans pour autant s'accompagner du moindre cri de détresse. Car la béatitude d'un paradis où tout est programmé n'intéresse nullement le poète. Le cycle G (traduit en français par D) est très révélateur:
C'est à cause de l'herbe froide sous les pieds,
de la froide sueur de l'herbe où je suis,
C'est à cause de tout ça, je refuse le bonheur,
mais pourtant, ce matin, je sens que tu n'es plus.
(Al die mooie beloften, p. 14).
La mort de G, programmateur du paradis, capable de tout (pré)voir, ne va certes pas sans douleur (‘ce matin, je sens que tu n'es plus’), mais la position du poète est claire. La perte du paradis est nécessaire pour que luimême puisse partir, selon son expression favorite, ‘vers de nouvelles aventures’, sans être connu (= enfermé dans une vision figée) de qui que ce soit. Vue sous cet angle, la perte du paradis est un gain d'indépendance et de vie. C'est dans la même optique qu'il convient de situer la prédilection de Kopland pour les questions: les réponses, les solutions risquent de bloquer nos aventures, mentales ou autres. Ainsi, dans le cycle Water, publié l'année dernière dans NWT (Nieuw Wereldtijdschrift, Antwerpen), il décrit les énigmes posées par l'eau à l'aide d'une série de questions sans réponse:
Est-ce ceci l'eau? Peut-être la voici,
mais invisible, inaudible, calme,
Et le cycle se clôt tout simplement sur une dernière question:
A-t-on un jour écrit sur cette feuille?
Seule l'eau le sait.
Cet engouement pour les questions pourrait expliquer aussi sa réticence envers une poésie politique. Dans des notes publiées en 1978, Kopland affirme que la poésie politique est souvent liée à une situation et perd vite de son actualité, car pour le poète, on vient de le voir, l'actualité est en revanche une aventure permanente où incessamment des questions se posent. Cependant, l'univers de Kopland n'exclut aucunement l'engagement. Dans son cycle La haine est habillée comme des gens paisibles par exemple, il s'adresse au dissident Bukovsky pour démasquer un Occident hypocrite qui se veut libre sur des bases de violence, voire de génocide:
Parmi tes admirateurs il y a les braves
dormeurs payés qui trouvent qu'on peut
tuer aisément, pas une mouche mais un peuple.
(Wie wat vindt heeft slecht gezocht - Qui trouve a mal cherché, 1972, p. 41). L'engagement de Kopland montre donc à quel point les idées toutes faites, les réponses peuvent être agressives et dangereuses. Il est temps maintenant de revenir à nos moutons et de nous attarder encore un petit instant sur l'échelon que Kopland vient de gravir dans la littérature des Pays-Bas: le P.C. Hooft. Il l'avait déjà manqué de justesse il y a quelques années, mais, d'après ce qu'il m'a dit, il ne croyait pas l'avoir un jour. Voilà tout Kopland: ni dans la vie, ni en poésie il ne part de certitudes ancrées; ce qu'il ne cesse de viser, c'est une perception ouverte de l'avenir. Je le félicite de tout mon coeur. Paul Gellings Quelques suggestions pour le lecteur francophone désireux de prendre connaissance de l'oeuvre de Rutger Kopland: |
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