| |
[Nummer 1]
| |
| |
Poésie en Flandre depuis 1950
La poésie en Flandre, la poésie flamande, c'est de la poésie de Belgique, écrite en langue néerlandaise. Ce qui comporte qu'il s'agit d'une composante de l'ensemble de la poésie en langue néerlandaise. Si, au cours de cet article, nous la dissocions de cet ensemble plus vaste, c'est parce que la relation littéraire entre la Flandre et les Pays-Bas est passablement ambiguë. Cet ensemble, on ne saurait mieux se le représenter que comme une collection constituée de deux collections partielles qui, pour se recouvrir, ne coïncident pas parfaitement pour autant. Des secteurs entiers des deux volets n'ont guère de contacts entre eux. Cela vaut aussi bien pour l'édition que pour la critique et pour les revues littéraires. Même les conceptions poétiques dominantes et les évolutions historiques ne concordent pas parfaitement. Et pourtant, elles ne seraient pas vraiment pensables l'une sans l'autre. Cette curieuse relation trouve naturellement son origine dans un inextricable écheveau de causes politiques, économiques, géographiques, religieuses et historiques, et ne manque pas de faire ressurgir régulièrement son lot de malentendus, de frustrations, de sentiments de méconnaissance et d'accusations réciproques.
Dans la suite de cet aperçu, nous laisserons de côté ces miniquerelles intestines pour nous concentrer sur l'évolution de la poésie en Flandre.
Dans les premières années qui suivirent la seconde guerre mondiale, la poésie eut quelque peine à reprendre son essor en Flandre. Dans la plupart des revues pour jeunes, on prônait un renouveau, mais ce renouveau, on le demandait surtout à l'idéologie et à la réflexion sur les valeurs héritées de la tradition.
Des principes éthiques et politiques dominaient la discussion littéraire, focalisée sur des questions comme la collaboration et la résistance, la place de l'inspiration chrétienne dans la construction d'une société d'après-guerre, la montée de nouveaux courants idéologiques comme l'existentialisme. Il s'ensuit que la poésie dominante de ces années-là tentait essentiellement d'insuffler une vie nouvelle aux valeurs et aux formes de l'humanisme classique, tout en les soumettant à la critique: aussi ne brillaitelle guère par sa puissance de conviction.
| |
Inquiétude moderne dans une métrique classique
Dans cette ambiance, dans le cadre de ces conceptions poétiques, caractérisées par l'un d'eux comme ‘Une inquiétude moderne dans une métrique classique’, quelques jeunes firent leurs débuts et réussirent à percer l'atmosphère quelque peu alanguie de leur époque. Il s'agissait principalement de Jos de Haes, de Hubert van Herreweghen et d'Anton van Wilderode.
Jos de Haes (1920-1974) a bâti une oeuvre dont l'importance n'a d'égale que la brièveté (une bonne centaine de poèmes). Publiant dès 1942, ce n'est qu'avec Gedaanten (Silhouettes - 1954) et surtout Azuren holte (Conque d'azur - 1964) qu'il brisera la langue formelle héritée de la tradition pour se forger un inimitable style propre, sans cesser d'être au fond un poète de la confession, auteur d'une autobiographie intime. Son oeuvre ultérieure se caractérise par une très nette concrétisation des métaphores, axées pour la plupart sur le délabrement du corps et de la nature face à la dureté et à la pureté des minéraux, de la glace et des ossements. Dans le même temps, la phrase se fait plus elliptique et l'expression plus recherchée. La dualité des métaphores traduit le contraste thématique fondamental qu'on peut décrire comme le conflit
| |
| |
Jos de Haes (1920-1974).
entre l'élan vital physique et le sentiment du péché. L'intensité de ce conflit s'exhale en rejet de soi, parfois empreint de délectation masochiste, en angoisse et en culpabilité, à quoi s'oppose un idéal exacerbé de pureté, de spiritualisation et d'intacte dureté. Face à l'écoeurante description de la vie se dresse la purification dans la mort.
Parallèle à bien des égards, la poésie d'Hubert van Herreweghen ( o1920) est restée longtemps dans l'ombre de celle de De Haes. Sa thématique s'inspire elle aussi de la culpabilisation et de l'écartèlement existentiel, sur perspective de mort, de ciel et d'enfer. Dès sa première oeuvre, Het jaar der gedachtenis (L'année du souvenir - 1943), apparaît le thème obsessionnel de la mort, singulièrement couplé à la plus intense expérience vitale. La vie n'est que le simulacre de la mort: ‘Le lubrique printemps (...) son corps splendide où les vers s'agenouillent.’ Seule l'illusion d'une enfantine spontanéité, d'une absence de la térébrante conscience, offrent de temps à autre une échappée. Qu'il soit tendre, tragique ou cynique, tel reste toujours le centre de gravité du poème de Van Herreweghen. Après un relatif silence, Van Herreweghen opéra un puissant come-back en 1984 avec le recueil Aardewerk (Faïences) où une forme plus badine et une tonalité parfois
Hubert van Herreweghen (o1920).
populaire contrastent étrangement avec l'obsession du temps et de la mort.
Moins torturée, mais plus isolée, telle est l'oeuvre d'Anton van Wilderode (o1918), l'un des derniers poètes flamands d'inspiration nationale et religieuse.
Cela est le plus explicite dans ses nombreuses oeuvres de circonstance pour jeux marials et manifestations flamandes. Mais l'inflexion personnelle teintant leur généralité, ces deux sources d'inspiration se retrouvent également dans son oeuvre proprement lyrique qui chante l'attachement au terroir natal, le foyer, la famille, le Pays de Waas et les aspirations métaphysiques. Toutefois, contrairement à Van Herreweghen et à De Haes, Van Wilderode vit ces aspirations de façon beaucoup plus élégiaque et débouche sur une réconciliation avec les choses terrestres dans le cycle éloquemment intitulé Het land van Amen (Le pays d'amen). Dans cette oeuvre, toutes les tensions, entre le présent et un passé idéalisé, entre le penchant à l'évasion et l'aspiration à la sécurité, s'apaisent dans une acceptation sereine enracinée dans la religion. Les étapes majeures de ce développement sont, après l'oeuvre liminaire De moerbeitoppen ruisten (Les cimes des mûriers bruissaient - 1943), le recueil Het land der mensen (Le pays des hommes - 1954) et
| |
| |
Anton van Wilderode (o1918) (Photo P. Van Den Abeele).
Dorp zonder ouders (Village sans parents - 1978).
Au cours de cette même période, avant même la percée du modernisme en Flandre, la poétesse Christine D'haen ( o1923) se fit remarquer par un certain nombre de publications dans les journaux, qu'elle ne rassemblerait qu'en 1958 dans un recueil intitulé Gedichten 1946-1958 (Poèmes 1946-1958). L'oeuvre très réduite de Christine D'haen est la plus résolument personnelle de toute la poésie flamande d'après-guerre. Et pourtant ses thèmes n'ont rien de si exceptionnel: le conflit entre un érotisme terrestre passionné et une aspiration platonisante à la spiritualisation. Toutefois son style se fait de plus en plus maniériste, envahi de complexité rhétorique, d'archaïsme résolument latinisant (jusque dans l'orthographe) et d'une profonde érudition qui s'exprime en multiples renvois à l'histoire, à l'art, aux classiques, à la bible. Dans Vanwaar zal ik u lof toezingen? (Au nom de quoi t'adresserai-je des louanges? - 1966) et Ick sluit van daegh een ring (Je forme aujourd'hui un anneau fermé - 1975), elle réunit des poèmes qu'on pourrait qualifier de lyrisme de circonstance. Des aspects de la vie quotidienne y trouvent une interprétation mythique et profilent leur dimension symbolique
Christine D'haen (o1923).
sur un arrière-plan historico-culturel hétérogène. En 1983, elle rassembla dans Onyx toute son oeuvre déjà parue, augmentée de quelques nouveaux poèmes.
| |
Renouveau
L'appel au renouveau lancé depuis quelques années déjà dans les revues, ne conduisit qu'en 1949 au lancement de la première revue d'avant-garde de la Flandre d'après-guerre: Tijd en Mens (1949-1955). Peu de temps après, le modernisme perce également dans une série d'autres revues, tant et si bien que de 1955 aux environs de 1965, le climat poétique est dominé par toutes sortes de variantes de poésie d'avant-garde.
Tandis que le ‘néo-classicisme’ des poètes évoqués ci-dessus se concentre sur ce qu'il est convenu d'appeler les valeurs ‘éternelles’ (qui dans ce contexte se confondent toujours avec les valeurs transmises de génération en génération) et ne se laisse émouvoir que par la bande par les événements contemporains, Tijd en Mens s'y consacre complètement. En l'occurence, il s'agit du désarroi d'après-guerre, non seulement de la terreur des camps de concentration, des massacres, d'Hiroshima, de Dresde, mais aussi de la cassure culturelle qui en
| |
| |
résulte. La croyance aux valeurs éthiques d'une société chrétienne et bourgeoise s'est effondrée pour laisser place à un sentiment de la vie passablement chaotique qui marie un rejet nihiliste de toutes les valeurs à une aspiration à la pureté la plus originelle.
Au fil des décennies, on découvre en même temps de vieux acquis du modernisme européen: le dadaïsme, le surréalisme, le lettrisme. C'est surtout le surréalisme avec ses allures anarchistes, révolutionnaires et provocantes qui attire, le rationalisme étant précisément l'une des principales pierres d'achoppement. Mais on redécouvre également les quêtes d'un lyrisme plus pur: Valéry, Mallarmé, Van Ostaijen. Tous ceux qui au cours des trente années écoulées relevaient de l'avant-garde sont abordés et ‘flairés’: aussi bien Tzara que Breton, T.S. Eliot et Pound, Char, Artaud et Van Ostaijen. Et pourtant la génération de Tijd en Mens reste coincée entre ses préoccupations éthiques et esthétiques, ce qui contribue à expliquer qu'une bonne part de ses oeuvres n'aient pas supporté l'épreuve du temps. La poésie d'Hugo Claus ( o1929) constitue la principale exception. Après des débuts traditionnels dans Kleine reeks (Petite collection -1947), ce dernier devient le principal représentant de la poésie expérimentale flamande, avec Tancredo infrasonic (1953), et un sommet incontesté du genre: De Oostakkerse gedichten (Les poèmes d'Oostakker - 1955). Ces oeuvres de jeunesse reçues essentiellement comme une poésie de confession truffée d'images et d'associations, qui s'articule autour de thèmes comme l'érotisme, la révolte, l'injure du temps, le malaise existentiel et social, sont fortement influencées par la lecture des surréalistes et post-surréalistes (Artaud) français et par les contacts que Claus eut à Paris avec les peintres
néerlandais du groupe Cobra et des poètes expérimentaux. Il use d'un style associatif, où l'image, les sonorités et les concepts se génèrent mutuellement en une accumulation de touches juxtaposées. La plupart des poèmes de cette période se présentent comme des encerclements métaphoriques, comme des approches d'une expérience: l'amoncellement des caractérisations, des descriptions et des qualifications imagées étale les contradictions et les strates de
Hugo Claus (o1929) (Photo A. Vandeghinste).
cette expérience jusqu'en son irrationnel tréfonds. A partir de Een geverfde ruiter (Un cavalier peint - 1961), Claus tente de réconcilier la créativité linguistique irrationnelle avec l'ordonnancement rationnel. La lecture d'auteurs comme Pound et Eliot lui apporte la manie des allusions, citations et autres références qui envahira désormais son oeuvre et donnera naissance à quelques longs poèmes, parmi les plus beaux de son oeuvre, comme De man van Tollund (L'homme de Tollund - 1962) et Het teken van de hamster (Le signe du hamster - 1963). Tant du point stylistique que thématique il évolue ensuite vers un éclectisme où engagement direct en style parlé ( Van horen zeggen, Par ouï-dire - 1970) et constructions cérébrales compliquées truffées d'allusions historiques ou culturelles ( Heer Everzwijn, Seigneur Hérisson - 1970) se côtoient, où éreintages et satires jouxtent lyrisme délicat et commentaires historiques. Diversité extrême, virtuosité, intrication du tragique et du comique, arrière-plan culturel disparate et disparition de la confession subjective, telles sont les caractéristiques essentielles de son oeuvre après 1970. Son extrême absence de conformisme vis-à-vis des conventions de courants et de genres, mais aussi vis-à-vis de ses propres options poétiques antérieures, Claus vient encore de la manifester
| |
| |
Hugues C. Pernath (1931-1975).
avec éclat dans une série de magnifiques sonnets ( Sonnetten - 1986).
C'est seulement après la disparition en 1955 de Tijd en Mens que le modernisme effectuera vraiment sa percée dans la poésie flamande. La nouvelle génération ne se sent pas plus longtemps tenue de prendre des points de vue éthiques et se jette à corps perdu dans les jeux et expériences sur le langage. La décennie entière, jusqu'aux environs de 1965, la Flandre est submergée par toutes sortes de variantes de modernisme, dans une foule de revues qui polémiquent à qui mieux mieux sur la pureté de la doctrine moderniste. Les plus importantes furent Gard Sivik (1955-1964), forte des quelques poètes qui pourront réellement se maintenir par la suite, notamment Paul Snoek, Hugues C. Pernath et Gust Gils, ainsi que De Tafelronde (La table ronde - 1953-1981), dirigée par Paul de Vree, qu'on peut considérer comme le porte-parole critique de cette génération.
Gust Gils ( o1924) écrit d'abord, notamment dans des oeuvres comme Partituur voor vlinderbloemigen (Partition pour papilionacées - 1953), Zeer verlaten reiziger (Voyageur très esseulé - 1954) et Ziehier een dame (Voici une dame - 1957), une poésie aux allures absurdistes, pleine de métaphores surréalistes et de fantaisies
Paul Snoek (1933-1981) (Photo J. Mil).
bizarres. Le lyrisme personnel fait place à un regard cynique et détaché sur la société. Après une description d'un cortège grotesque, il conclut: ‘et moi-même / face à cela, spectateur frappé de stupidité.’ C'est avec juste raison qu'il intitule un de ses recueils ultérieurs Gewapend oog (OEil armé - 1962). Il s'agit de l'oeil avec lequel il observe l'absurde réalité et où elle apparaît déformée ou retournée comme dans un miroir anamorphique. A partir de Levend Voorwerp (Objet vivant - 1969), les métaphores irrationnelles disparaissent et Gils note surtout de courtes pensées, des réflexions en langue de tous les jours, qui sonnent bien souvent comme des aphorismes inversés. En même temps, il se produit aussi avec des songs anglais, rassemblés pour partie dans son Little Annie's lonely songbook (1975).
Hugues C. Pernath (1931-1975) écrit au départ une poésie particulièrement hermétique et brisée, où il exhale incapacité à vivre, misanthropie, obsession du destin et incrédulité en la possibilité de l'amour et de la communication au moyen du langage. Il rassembla cette poésie de jeunesse, à la syntaxe et aux métaphores également brisées, dans Instrumentarium voor een winter (Instrumentation pour un hiver - 1963). A compter de Mijn gegeven woord (Ma parole donnée - 1966) Pernath se
| |
| |
mettra à respecter davantage la syntaxe normale. Les images deviennent plus nombreuses, l'oeuvre débouche sur d'amples poèmes soutenus, rangés en cycles strictement structurés: Mijn tegenstem (Ma voix contre - 1973). Dans un style luxuriant, sonore, truffé d'assonances et d'allitérations, il exprime ses doutes et sa déchirure intérieure. Au cours de ces années, on l'intronise aussi comme figure de proue de la société anversoise des pink poets et il sert involontairement de modèle à toute une génération disparate de jeunes poètes.
Face au sarcastique Gils et au torturé Pernath, Paul Snoek (1933-1951) apparaît comme un poète raisonnablement optimiste, sensible et heureux de vivre. Aussi ses premiers recueils, carrément sentimentaux et impressionnistes d'allure (notamment Archipel, 1954), Noodbrug (Pont de fortune - 1955) et Ik rook een vredespijp (Je fume un calumet de la paix - 1957), lui valent-ils un rapide et large succès. Mais vient la crise avec De heilige gedichten (Les poèmes sacrés - 1959); il brise brutalement avec l'humeur lyrique pour explorer les possibilités d'une imagination d'inspiration surréaliste, influencée surtout par les oeuvres de dadaïstes et de surréalistes comme H. Arp, R. Huelsenbeck, H. Ball, P. Klee et M. Ernst. Il se met à sublimer son sentiment initial de solitude et de misanthropie dans une poésie imagée, sonore et rhétorique, attachée à l'évocation d'un monde imaginaire plus pur, plus beau, plus parfait, où le poète règne en héros, en prophète, en dieu. Après le sommet où mène cette évolution rectiligne, dans Nostradamus il se livre à une seconde autodémolition dans ses Gedrichten (‘Pouahèmes’ - 1971) grotesques, acerbes, écrits en langage parlé. L'oeuvre ultérieure de Snoek, Welkom in mijn onderwereld (Bienvenue dans mon enfer - 1978) et Schildersverdriet (Chagrin de peintre - 1982), recherche une forme plus classique sans renoncer pour autant à la virtuosité. Du point de vue thématique, il évolue vers une réconciliation nostalgique du rêve et de la réalité.
A côté de ces trois poètes, rares furent leurs contemporains qui surent produire une oeuvre qui vaille plus que son intérêt historique et documentaire.
| |
Le néo-réalisme
La période qui court des environs de 1965 à 1970 présente toutes les caractéristiques d'une époque de transition. La poésie expérimentale se tarit ou se consume en ses excès propres. Une foule de jeunes écrivent une poésie qui fait fi de tout art poétique un tant soit peu défini, cependant que, avec le recul du temps on discerne les premiers signes d'un réalisme naissant qui envahira vers 1970 le devant de la scène. Trois facteurs ont présidé à sa naissance: premièrement, un intense intérêt pour les évolutions des arts plastiques, pour les diverses formes de l'art-objet, comme le pop'art américain et le nouveau-réalisme d'artistes comme Arman, Christo, Yves Klein, Spoerri et Tinguely, mais plus encore pour les divers avatars de la nouvelle figuration pratiquée alors en Flandre par les Roger Raveel, Raoul de Keyser, Etienne Elias, Joseph Willaert et des hyperréalistes comme Antoon de Clercq, ou un isolé comme Pol Mara. L'intérêt pour l'environnement quotidien et pour un langage formel identifiable trouvent ici leur sol nourricier. A quoi s'ajoute un deuxième facteur: la volonté de réinsérer la poésie dans la vie sociale, après l'hermétisme et l'isolement extrêmes des poètes des années soixante.
Et enfin il y a aussi l'exemple de ce qui se passait dès 1958 aux Pays-Bas autour de Barbarber, et avec beaucoup de retentissement à compter de 1964 au sein de Gard Sivik et de De Nieuwe Stijl: une poésie objective, impersonnelle et informative jetant un regard étonné sur la réalité quotidienne. Du reste, vers la même époque, on remarque dans la prose une aspiration à battre en brèche les credos de la fictionnalité et de l'autonomie de l'oeuvre littéraire. On peut se représenter l'archétype du poème néo-réaliste comme la reproduction colorée subjectivement (par des émotions, des opinions, une idéologie) d'un morceau de réalité quotidienne. A cette prédilection pour le thème de la quotidienneté correspond l'emploi d'une langue la plus simple et la plus compréhensible possible, visant l'intégration à la vie de tous les jours. Inversement cela entraîne une relativisation radicale de la position du poète, désireux, en dépouillant son exceptionnalité culturelle,
| |
| |
Roland Jooris (o1936).
de se débarrasser aussi de sa marginalité. Les principaux représentants de cette tendance sont Roland Jooris, Herman de Coninck et Stefaan van den Bremt.
Après des débuts plutôt ratés à la fin des années cinquante, Roland Jooris ( o1936) trouve son style propre dans des recueils comme Een konsumptief landschap (Paysage à consommer - 1969), Laarne (1971) et Het museum van de zomer (Le musée de l'été - 1974). Son intense implication dans la peinture de ce qu'il est convenu d'appeler la Nouvelle Vision (Nieuwe Visie), son intérêt pour le pop'art et le minimal-art lui montrèrent le chemin vers une poésie dans laquelle le moi n'est présent que comme observateur et styliste et qui gravite tout entière autour d'une attention picturale à l'interaction entre nature, culture et art. Il tente de faire coïncider poésie et réalité: ‘Un poème doit me donner la sensation que je puis y rouler à vélo, qu'on peut le humer le matin, qu'on peut y boire une cannette.’ La tonalité permanente de ces vers est une badine relativisation relevée d'une touche d'anarchisme inexprimé. A partir de Bladstil (Pas un souffle de vent - 1977), et plus nettement encore dans Akker (Champ - 1982), il se concentre davantage sur un langage le plus sobre et le plus évocateur possible, évitant toute fortuité et
Herman de Coninck (o1944).
fioriture, tant dans la forme que dans l'observation évoquée. La tension qui émane de simples choses (un pot de fleurs, un oiseau, une chaise), il entend la traduire dans une langue d'une nudité et d'une tension égales. Il finit par approcher ainsi, par le détour d'une intense observation, la tradition d'une poésie mallarméenne, qui se focalise sur la profondeur du mot isolé.
Herman de Coninck (o1944) devient en Flandre, dès son premier recueil, De lenige liefde (Le souple amour - 1969), le poète le plus lu de sa génération, succès qui s'explique sans doute par la combinaison unique entre des thèmes facilement identifiables, souvent empreints d'un érotisme enjoué, et un style virtuose et badin. Ces débuts de De Coninck révèlent une curieuse ambivalence, une hésitation entre la tentation d'un style luxuriant et métaphorique, et un choix conscient d'immédiate intelligibilité. Dans Zolang er sneeuw ligt (Aussi longtemps que la neige tient - 1975), le style parlé perce tout à fait, sans que l'auteur renonce à ses typiques jeux de mots et pirouettes verbales. La juvénile audace du premier recueil fait place toutefois à une nostalgie, qui s'impose dans Met een klank van hobo (Avec une sonorité de hautbois - 1980) et constitue l'âme d'un sentiment de la vie qui tente de
| |
| |
transmuer le manque et la perte en gain émotionnel. Ce réalisme romantique est de plus en plus dominé par une forme qui se fait classique, avec un retour frappant au sonnet. Cette tendance à la rigueur formelle perdure dans son dernier recueil, De hectaren van het geheugen (Les hectares de la mémoire - 1985), plus dur également en ce qui concerne le ton et la thématique et en grande partie dénué de la frivolité des débuts.
Tout comme Jooris, il se situe ainsi très loin des prémisses initiales du nouveau-réalisme, même si l'intelligibilité et la possibilité de s'impliquer restent centrales dans sa poétique.
Stefaan van den Bremt (o1941) diffère dans son principe des poètes susnommés par son engagement politique résolu et fondé en théorie. C'est surtout à partir de Lente in Vorst (Eté à Forêt - 1976) et plus nettement encore dans Andere gedichten (Autres poèmes - 1980) que l'inspiration politique s'impose, impulsée par l'étude du réalisme socialiste, de Brecht et de la littérature latino-américaine. Un des soucis majeurs de cette poésie qui use très consciemment d'une rhétorique mise au service de la manipulation est de dévoiler et de restaurer les rapports et parallèles idéologiques d'une réalité que la rationalisation compartimente à l'envi. Dans son oeuvre la plus récente, Het onpare paar (La paire impaire - 1981) et Van een (A part - 1986) il tourne le dos à l'inspiration politique pour explorer, en un style de plus en plus recherché, les ambiguïtés et les contradictions de l'amour et de la créativité poétique.
Eddy van Vliet ( o1942), lui, est un poète qui n'a jamais appartenu au cercle des néoréalistes, mais dont l'oeuvre de jeunesse s'inscrit tout à fait dans ce contexte. Il débute pendant le crépuscule de l'expérimentalisme, puis son évolution suit assez fidèlement les fluctuantes dominantes de la poésie flamande. Dans Columbus tevergeefs (Colomb en vain - 1969) et Van bittere tranen, kollebloemen e.a. blozende droefheden (De larmes amères, coquelicots et autres tristesses rougissantes - 1971), Van Vliet élargit son tourment intérieur aux dimensions d'un pessimisme culturel teinté de critique sociale, qui s'exprime dans un style direct, sans grandes fioritures. Il fait paraître
Eddy van Vliet (o1942).
ensuite deux recueils, Het grote verdriet (Le grand chagrin - 1974) et Na de wetten van Afscheid en Herfst (Après les lois d'adieu et d'automne - 1978), où nostalgique résignation et abattement s'exhalent assez uniment, et qui le rattachent à l'atmosphère sensible et romantique propre à une bonne partie de la poésie des années 70 finissantes. Mais son oeuvre la plus forte et la plus personnelle est encore à venir: Jaren na maart (Des années après mars - 1983) et De binnenplaats (La cour intérieure - 1987) qui évoquent données autobiographiques, images et lambeaux de souvenirs et d'observations, que la poésie transmue en photos, en caillots d'émotion.
Vers 1975, le reflux a quasiment emporté le néo-réalisme. Contrairement à la plupart des autres renouveaux poétiques, il ne s'est pas fossilisé en applications partiales et doctrinaires de ses principes. Il semble plutôt s'être dissous en se fondant dans une poésie qui renoue avec la tradition du lyrisme personnel, et dans une nouvelle poésie d'un sentimentalisme romantisant.
| |
La langue comme point de départ
Si la réaction de la tendance expérimentale pouvait encore apparaître en 1970 comme les derniers soubresauts d'une poétique qui s'était
| |
| |
Hedwig Speliers (o1935).
survécu, en 1975, ces mêmes objections résonnent avec beaucoup de vitalité. Elles traduisent en effet une attitude bien vivante chez une foule de poètes jeunes et moins jeunes: un retour à la langue comme point de départ, chemin et but ultime de la poésie. Des poètes dont les débuts remontaient aux années 60, mais qui avaient été refoulés dans l'ombre relative des marges par le raz de marée réaliste, apparaissent sur le devant de la scène. Ainsi un Hedwig Speliers, un Roger M.J. de Neef, un Nic van Bruggen, pour nous en tenir aux plus importants. Pour ne rien dire de la place dominante que l'oeuvre de Pernath se voit soudain attribuer. Une croissante génération de jeunes s'y rattachent dont le plus important est Leonard Nolens. Il serait naturellement faux de regrouper tous les poètes de cette tendance sous la même bannière. Leurs différences sont très grandes. Mais ils ont en commun une profonde répulsion pour l'anecdote et pour le langage sans problèmes de la communication.
Sous toutes réserves, on peut distinguer trois tendances. C'est ainsi qu'il existe une poésie qui entend perpétuer la tradition du ‘pur’ lyrisme, constructiviste jusqu'à en devenir sériel, tantôt jeu intellectuel avec l'histoire et la culture, tantôt tension vers la mystique comme l'oeuvre de Roger M.J. de Neef. De Neef
Luuk Gruwez (o1953).
( o1941) est avec Hedwig Speliers le poète le plus coté de cette tendance. Son oeuvre tente d'établir un lien entre préoccupations intellectuelles et mystiques. Il en résulte une poésie riche d'images et de symboles qui essaient d'évoquer le lien sacral entre l'homme et le transcendant. Dès Winterrunen (Runes d'hiver - 1967) à De vertelkunst van de bloemen (L'art narratif des fleurs - 1985), la poésie de De Neef montre peu d'évolution en ce domaine, même si le vers se fait plus fluide, plus accessible, et le ton un peu plus léger.
Hedwig Speliers (o1935) fait ses débuts en 1961 avec Ons bergt een cenotaaf (Nous abrite un cénotaphe), dont les poèmes relatent, dans un style simple et direct, une crise personnelle. Après s'être quelque peu égaré dans le réalisme et la poésie engagée, il se trouve dès Ten Zuiden van (Au sud de - 1973, écrit en 1966). Dans ses dernières oeuvres surtout, Horribile dictu (1972), De mens van Paracelsus (L'homme de Paracelse - 1977), Van het wolkje af (Du haut du petit nuage - 1980) et Alpestre (1986), il écrit une poésie métaphorique strictement structurée où il explore de hasardeuses relations entre des domaines aussi différents que l'érotisme, la nature, l'histoire et le langage. Une série d'essais permettent de suivre l'évolution de sa poétique axée sur la méta- | |
| |
phore conçue comme emprise poético-philosophique sur la complexité du réel.
Chez d'autres au contraire, l'écriture expressive, informelle, spontanée, domine, dans la tradition de Rimbaud, des surréalistes, du premier Claus. C'est surtout l'oeuvre de Leonard Nolens (o1947) qui est typique de cette tendance. Sa poésie est une quête de la plus intime intériorité personnelle grâce au pouvoir révélateur du langage, en même temps qu'une expression directe de la vie. Au poème fermé sur sa perfection formelle comme un ‘galet rond’ ou un ‘diamant’, Nolens oppose ‘la voix qui chante et qui sanglote.’ Après des débuts quelque peu chaotiques, il se hisse, à partir de Twee vormen van zwijgen (Deux formes de se taire - 1975), et de façon plus convaincante encore dans Incantatie (Incantation - 1977), Alle tijd van de wereld (Tout le temps du monde - 1979), Hommage (1981) et Vertigo (1983), au rang de principal représentant d'un nouvel expressionnisme. Poésie et vie forment ici un tout. Dans des vers baroques, surchargés de pathos, de méditations philosophiques, de métaphores et de jeux de sonorités, il exprime avec une grande véhémence son incapacité à vivre, sa révolte contre l'autorité et le passé, sa quête de lui-même dans le langage et l'érotisme. Son dernier recueil, De gedroomde figuur (La figure rêvée - 1986) constitue un sommet provisoire dans cette évolution. Les deux tendances font un emploi surabondant de procédés rhétoriques et stylistiques comme le parallèle, le chiasme et le paradoxe, l'allitération et l'assonance. Cet aspect décoratif s'impose tout à fait dans une
poésie qu'on peut qualifier de maniériste pour son style et de romantico-décadente quant à son esprit.
C'est une poésie de façades et de décors, une réplique esthético-ironique à la banalité, au nivellement et à l'absurdité. Le vide est conjuré par des gestes théâtraux, par la rhétorique, par le culte d'une beauté vaine et languissante. Il n'est pas rare que cela conduise à un jeu arrogant qui frise le kitsch. Cette tendance est du reste essentiellement un phénomène anversois, qui prolonge la tradition de dandysme cosmopolite de la ville.
Nic van Bruggen ( o1938), représentant typique
Miriam Van hee (o1952).
de cette tendance, fit, en pleine période ‘expérimentale’, des débuts esthétisants, où il évoquait un monde d'un luxe plutôt clinquant et d'un raffinement gandin dans Een kogel (Une balle - 1962) et Jardin des modes (1963). L'année 1970 inaugure une nouvelle période où il produit ses meilleurs poèmes, réunis dans Ademloos seizoen. Gedichten 1972-1974 (Saison époumonnée. Poèmes de 1972 à 1974 - 1974). Si son attitude face à la vie reste aussi esthétisante, il lui arrive maintenant de prendre une dimension tragique par la perspective de la déchéance et de la mort. Du point de vue stylistique, il évolue vers le long poème dédié aux luxuriantes associations sonores et à une syntaxe éclatée et maniériste. Son style a des allures de geste d'une théâtralité étudiée. On ne voit pas pour l'instant quelle direction s'ouvre encore à Van Bruggen. Dans Tussen feestend volk (Parmi un peuple en fête - 1977), il semble s'être complètement enlisé dans son propre maniérisme, alors que Place des Vosges (1981) par contre semble annoncer un heureux revirement vers des formes plus classiques.
| |
Le néo-romantisme
Dès le milieu des années 70, on commença à utiliser en Flandre le terme de néo-ro-mantisme pour désigner l'oeuvre de quelques
| |
| |
Gwij Mandelinck (o1937).
jeunes poètes. Pourtant, il ne serait guère justifié de parler ici d'un courant, le phénomène étant d'une ampleur beaucoup trop réduite. En outre, il y manque encore la définition d'un art poétique dont la portée excédât quelques déclarations personnelles. Néanmoins une nouvelle vision de la poésie se dessine bel et bien. Le poète-sujet revient en force. Cette poésie revient carrément à la confession intime, à l'expression d'un sentiment personnel de la vie qui s'articule autour des thèmes éternels de l'amour, de la mort, et de l'incomplétude humaine. Ce sentiment de la vie est romantique dans la mesure où il est pénétré d'une insatisfaction existentielle devant la situation présente, devant la réalité même, laquelle s'exprime dans un fréquent recours à une série de motifs typiquement romantiques comme l'aspiration à la mort, l'amour parfait et donc inaccessible, la régression vers le passé, la fuite dans des paradis imaginaires de rêve - ou dans des hallucinations de drogué -, la souffrance du temps qui passe. Mais contrairement au romantisme historique, tout ceci n'est pas porté par une foi en la transcendance. A ce nihilisme romantique, qui plonge ses racines dans le climat de désespérance des années 70, une ironie romantique à la Heinrich Heine vient quelque peu faire contrepoids.
Tom Lanoye (o1958) (Photo P.C. Holderbeke).
Le poète le plus important de ce groupe est sans aucun doute Luuk Gruwez (o1953). Avec Ach, wat zacht geliefkoos om een mild verdriet (Bah, quelques molles câlineries pour un doux chagrin - 1976), il s'affirme comme un poète de la beauté, censée compenser l'universelle absence. Een huis om dakloos in te zijn (Une maison pour y être sans abri - 1981) apporte un approfondissement des thèmes et abandonne résolument l'atmosphère à la Hamilton assez encombrée de clichés, qui gâtait son précédent recueil. Au coeur de sa poésie on trouve maintenant le contraste, l'incompatibilité entre une aspiration romantique à l'absolu et le désir terrestre concret. De feestelijke verliezer (Le perdant en fête - 1985) poursuit cet approfondissement, en particulier dans une poignante série de poèmes sur la mort des parents. Du point de vue stylistique, sa poésie frappe par une recherche parfois trop raffinée d'échos sonores et de paradoxes.
L'oeuvre de Miriam Van hee (o1952) par contre est beaucoup plus sobre, écrite en mineur. Elle semble une plainte ininterrompue contre l'inconsolabilité d'une existence noyée de tristesse et d'incomplétude. Une de ses oeuvres, Het karige maal (Le maigre repas - 1978), porte un titre qui exprime très exactement ce sentiment existentiel. Des titres comme
| |
| |
Binnenkamers (Fors intérieurs- 1980) et Ingesneeuwd (Sous la neige - 1984) suggèrent cette même atmosphère étouffée et élégiaque. Langueur, désir et absence y sont évoqués en poèmes courts, suggestifs, le plus souvent construits autour d'une petite anecdote.
| |
De jeunes poètes sûrs d'eux-mêmes. Réhabilitation des poètes classiques
Ces dernières années on peut noter dans la poésie flamande un revirement prometteur: une génération de jeunes poètes sûrs d'eux-mêmes est en train de percer, parallèlement à un éclatant retour et à une frappante réhabilitation des poètes classiques.
C'est ainsi qu'un poète comme Van Herreweghen effectue un come-back remarqué, que l'on réédite les oeuvres complètes (Verzameld werk) de Jos de Haes, et qu'ils éveillent un puissant écho chez les jeunes poètes. L'oeuvre de Christine D'haen également, longtemps traitée par la critique comme une exotique curiosité, attire à nouveau l'attention et soudain ne paraît plus traditionnelle, mais au contraire ‘postmoderne’.
Cette lecture neuve, quelque peu colorée d'intellectualisme, de la tradition double ou même stimule une certaine tendance de la production poétique actuelle. Il y a d'une part les poètes qui, sans grands complexes, continuent la tradition, fût-ce en reprenant des éléments aux évolutions postérieures à 1950, comme la métaphore surprenante, les associations, une certaine liberté vis-à-vis des canons formels, l'ironie. Du reste le fil de la tradition n'a jamais vraiment été brisé; elle s'est contentée d'aller son chemin dans une certaine marginalité. Elle n'a pas joué de rôle dynamique dans les évolutions.
Le représentant le plus marquant de ce groupe est Gwij Mandelinck ( o1937). Dans De wijzers bij elkaar (Les aiguilles côte à côte - 1974) et De droefheid is in handbereik (La tristesse est à portée de la main - 1982), il interprète les thèmes éternels de l'amour, de la famille et de la mort, dans une langue chargée d'images et de symboles, sur un arrière-plan statique et cyclique de nature et de mythes. Le caractère résolument rural et populaire de son oeuvre masque
Dirk van Bastelaere (o1960).
souvent un scepticisme et une brisure plus profonde, qui pourraient en principe en faire transition entre la poésie traditionnelle en quête d'harmonie et l'oeuvre de quelques jeunes.
Ce qui est le plus frappant chez ces jeunes c'est qu'ils ne souffrent plus de cette rage typiquement moderniste d'originalité, d'exploration débridée du langage, et n'éprouvent pas davantage le besoin de proclamer des points de vue provocants. Les conventions les gênent aussi peu que la rage de démolir ces conventions. Ils retournent à la tradition, mais sans respect. Surtout avec ironie, doute et goût du métier parfaitement possédé. Ils accordent beaucoup d'attention au style, qu'ils ne considèrent plus comme l'expression d'une harmonieuse vision du monde mais comme persiflage de celle-ci et compensation de cette harmonie interne.
Il est encore bien tôt pour distinguer déjà ici des poètes particuliers, mais les noms les plus marquants nous semblent être à ce jour Dirk van Bastelaere, Erik Spinoy, Bernard Dewulf, Charles Ducal, Peter Verhelst et, faisant vraiment bande à part, Tom Lanoye.
Dans le monde littéraire flamand, Tom Lanoye (o1958) s'est taillé en un tournemain une grande notoriété par ses shows qui mêlent cabaret, happening et poésie. Ses poèmes euxmêmes, publiés pour la plupart dans De nagela- | |
| |
ten gedichten (Poèmes laissés en héritage - 1983) et dans In de piste (En piste - 1984) camouflent la sensibilité sous un masque d'esbroufe, de théâtralité et d'agressive ironie.
Les autres en sont encore au stade des débuts. Dirk van Bastelaere (o1960) se lança le premier avec Vijf jaar (Cinq ans - 1984), suivi de Erik Spinoy (o1960) avec Jagers in de sneeuw (Chasseurs dans la neige - 1986). Tout récemment, au cours de l'arrière-saison 1987, vient de paraître la première oeuvre de Charles Ducal (o1950), Het huwelijk (Le mariage) et celle de Peter Verhelst (o1962), Obsidiaan (Obsidienne).
Si différents qu'ils soient de tempérament, ces poètes sont d'excellents exemples de la mentalité évoquée ci-dessus. Leur poésie brille par l'intelligence, l'érudition et la puissance formelle. C'est précisément l'intrusion de cette composante intellectuelle dans la poésie flamande qui est surprenante et réjouissante, même si le risque de ‘consanguinité’ n'est pas du tout imaginaire. Elle semble une réponse différée à l'appel lancé il y a près d'un siècle par la figure de proue du renouveau littéraire de l'époque, August Vermeylen: l'appel à ‘more brains’.
Il va sans dire que les poètes présentés ici ne constituent que la pointe de toute une pyramide. Comme toute sélection, celle-ci est contestable sur certains points, mais, tous ensemble, ces poètes offrent une image représentative de la diversité et de la qualité que la poésie en Flandre peut nous offrir pour le moment.
HUGO BREMS
Docteur en philologie germanique. Professeur en lettres néerlandaises à la ‘Katholieke Universiteit Leuven’.
Adresse: Huttelaan 263, B-3030 Heverlee.
Traduit du néerlandais par Jacques Fermaut.
| |
Bibliographie:
hugo claus, Poèmes. Trad. par Maddy Buysse. Bruxelles, Editions des Artistes / Paris, Mercure de France, 1965.
maurice carême, Anthologie de la poésie néerlandaise. Belgique 1830-1966. Choix de textes et traductions par Maurice Carême. Introduction de Karel Jonckheere. Paris, Aubier / Bruxelles, Assedi, 1967.
La Poésie actuelle en Flandre. Poètes néerlandais. Trad. par Henry Fagne. Bruxelles, Espaces / Fagne, 1971.
Een brug slaan / Jeter un pont. 8 Belgische dichters uit het Frans en het Nederlands vertaald door / Traduits du néerlandais et du français 8 poètes belges, par Albert Bontridder. Flemish P.E.N. Centre, 1977.
hugo claus, Le signe du hamster. Poèmes choisis, introduits et annotés par Paul Claes, traduits du néerlandais par Liliane Wouters. Leuven, Leuvense Schrijversaktie, 1986 (Série européenne, Cahiers de Louvain 64).
Poésie Flamande d'aujourd'hui. Présentée et traduite par Albert Bontridder. Arles, Actes Sud, 1986.
Les diverses livraisons de Septentrion, revue de culture néerlandaise. |
|