Selon Pierre Vinken, actuel président du conseil d'administration d'Elsevier, au siècle prochain, l'Amérique sera le centre du monde de l'information. A cette époque, 10 à 15 géants de l'édition satisferont aux besoins d'information du monde: l'objectif d'Elsevier est d'en faire partie. L'année passée déjà, Elsevier s'est rapproché de Kluwer en vue d'une fusion. Mais Kluwer a décliné l'offre. Début juin, Elsevier a annoncé, en dépit de ce refus et contrairement aux usages néerlandais, qu'il lancerait une O.P.A. sur les actions Kluwer cotées à la bourse d'Amsterdam.
Le président du conseil d'administration de Kluwer, Joseph Alberdingk Thijm, répondit sur le champ que Kluwer se défendrait bec et ongles contre cette prise de contrôle. Kluwer se fait de son avenir une tout autre idée qu'Elsevier. Kluwer estime que la créativité de l'édition a les meilleures chances de pouvoir se déployer dans de petites unités au sein d'une structure décentralisée. Ainsi Kluwer dispose-t-il de plus de 80 filiales. Sa philosophie de l'entreprise s'oppose diamétralement à celle d'Elsevier, lequel ne jure que par les gains d'échelle. ‘Aussi Kluwer ne s'est-il encore jamais livré à une agression contre une autre entreprise’, déclare Alberdingk Thijm.
En guise de première démarche, Kluwer procéda au transfert d'une valeur nominale de 25 millions de florins (450 millions FB ou 71,5 millions FF) d'actions privilégiées entre les mains d'une fondation amie, ce qui interdit à Elsevier de devenir majoritaire et d'avoir voix prépondérante à l'assemblée générale des actionnaires. Puis il renoua les pourparlers déjà engagés avec Wolters/Samson ce qui amena Wolters/Samson à faire une O.P.A., amicale celle-là, sur les actions Kluwer. Selon les deux éditeurs, leurs philosophies de l'entreprise concordent beaucoup mieux entre elles qu'avec celle d'Elsevier.
Une troisième sauvegarde, le transfert d'actions privilégiées des éditions juridiques (les plus rentables) de Kluwer, également à une fondation amie, a dû être abandonnée sur désaccord du bureau de la bourse d'Amsterdam.
Les actions Kluwer se sont envolées. Pour l'investisseur, c'était le phénomène le plus spectaculaire. Mais ce qui était bien plus fondamental, c'est la question culturelle ici posée: qui se révèlera la plus forte, de la puissance de l'argent (Elsevier en l'occurence) ou de la volonté d'une entreprise indépendante et rentable (Kluwer) de décider de son propre développement et de choisir son propre avenir.
Finalement, la réponse fut donnée à la bourse de valeurs: Wolters/Samson reçut un peu plus de cinquante pour cent des actions offertes par Kluwer. Ainsi, Kluwer obtint ce qu'il voulait: il n'est pas absorbé par Elsevier.
Christiaan Berendsen
(Tr. J. Fermaut)