succès, on peut trouver en librairie les auteurs en marge de ces deux écoles: Julien Gracq, Michel Leiris, Sarraute.
Dans les années soixante, deux maisons d'édition avaient conjointement lancé une collection qui suivrait systématiquement les nouvelles évolutions des littératures étrangères; il y paraissait des traductions d'auteurs français comme Arrabal, Butor, Pinget, Michaux, Ollier. Mais le projet ne tarda pas à mourir de sa belle mort et pour l'instant, il n'est plus question d'un suivi systématique.
Le malaise économique qui est pour partie responsable de ce recul, a aussi son bon côté: ces derniers temps on a publié beaucoup plus de traductions d'oeuvres littéraires ‘anciennes’ parce que l'imprimeur n'est pas tenu en ce cas de payer de droits d'auteur. Mais dans ce domaine aussi on peut déplorer des lacunes et des effets de mode. Le net regain d'intérêt pour le xviiie siècle a généré un flot de traductions récentes d'oeuvres de Diderot, Rousseau et Voltaire. Mais celui qui est incapable de lire Corneille, Racine, Montaigne ou Rabelais dans la majesté du texte, devra se contenter de connaître leurs noms. Et Descartes reste lui aussi inaccessible, bien qu'il ait passé une partie de sa vie aux Pays-Bas. Ces derniers temps, l'image du xixe siècle a gagné en variété. Stendhal paraît manifestement assez moderne pour pouvoir figurer avec six titres sur la liste des traductions (à nouveau) disponibles. Quant à Flaubert, on vient de le traduire presque intégralement. Mais de Victor Hugo, en dehors de morceaux choisis de Choses vues, rien n'a été publié, pas même une anthologie de sa poésie. Balzac et Zola disposent de quelques miettes éparses; et si l'on a bien édité Un hiver à Majorque de Sand, De la Démocratie en Amérique n'a pas eu cette chance... L'édition intégrale des Fleurs du Mal de Baudelaire vient de paraître en traduction; le symbolisme est représenté par A rebours de Huysmans; le naturalisme par Guy de Maupassant; et Colette est devenue aux Pays-Bas la personnification de ‘la belle
époque’.
Le portrait abstrait des périodes suivantes comporte quelques points de repères fixes: Gide, Mauriac, Malraux, Camus, et deux contours éclatants constitués par deux louables projets de traduction: tous les tomes de A la recherche du temps perdu de Proust, de la main d'une seule et même traductrice, et la traduction déjà prête et quasiment intégrale de l'oeuvre de Céline. Dans ces projets, il est clair que l'éditeur et le gouvernement néerlandais (qui subventionne) assument tous deux la responsabilité qui leur incombe d'ouvrir l'accès à la littérature française.
On pourrait conclure ainsi: parce que la lecture du français a quasiment disparu de l'enseignement secondaire, c'est à un groupe de plus en plus restreint d'éditeurs et à une poignée de traducteurs qu'il revient d'opérer des choix parmi les parutions littéraires récentes. Aussi la critique littéraire aurait-elle un rôle plus important à jouer: elle devrait apprécier les choix qui sont faits et signaler les nouvelles lignes de force. Mais l'évolution actuelle comporte un heureux corollaire: la qualité des traductions littéraires a fortement progressé au cours des dix/quinze dernières années. Cela s'explique autant par le fait que la faculté des lettres de l'Université d'Amsterdam dispose depuis quelques années d'une section de traduction, que par l'intérêt croissant porté dans les comptes rendus d'ouvrages à la qualité de la traduction. On ne saurait surestimer l'intérêt de ces progrès, maintenant que, pour un nombre toujours plus important de lecteurs, la littérature française n'est plus accessible qu'en traduction.
GREETJE VAN DEN BERGH
Traducteur littéraire - Critique littéraire.
Adresse: Fagelstraat 35, NL-2334 AW Leiden.
Traduit du néerlandais par Jacques Fermaut.