Le Monde à la découverte de la Flandre
Jour faste pour la Flandre! Dans son numéro daté du 21 novembre 1986, Le Monde ouvre toutes grandes ses colonnes à une région souvent considérée comme ‘monolithique, essentiellement catholique, conservatrice et terrienne’, alors qu'en réalité, si l'on en croit M. José-Alain Fralon, correspondant permanent du journal à Bruxelles, celle-ci s'avère ‘diverse, donc, partagée, multiple’.
A l'image de ses habitants qui ‘n'aiment pas se livrer aux étrangers’, la Flandre reste, en dépit d'une apparente célébrité, une région somme toute assez secrète. Raison de plus donc pour tenter de lever quelque peu le voile. L'initiative prise par le prestigieux journal Le Monde ne pourra que réjouir tous ceux qui, dans le passé, se sont souvent affligés de cette image d'une Flandre déformée et amoindrie qu'à grand renfort de clichés et de contre-vérités, une certaine presse francophone s'ingéniait à présenter à ses lecteurs.
M. José-Alain Fralon nous décrit par le menu comment la Flandre, muselée, broyée par le carcan unitaire de la Belgique de papa, confinée par celle-ci dans un passéisme folklorique sans ouverture réelle sur l'extérieur, réussit quand même à sortir de sa profonde léthargie. Cela nous vaut une analyse assez fouillée de la longue et âpre lutte d'émancipation qui, grâce au rôle décisif joué par le Mouvement flamand, devait finalement permettre à la Flandre d'obtenir la mise en place des structures fédérales actuelles de l'Etat belge. Défendues par les uns, qualifiées d'inefficaces et coûteuses par les autres, celle-ci semblent en tout cas n'avoir guère enthousiasmé une opinion publique flamande jugée passablement passive en la matière.
L'interview accordée par M. Wilfried Martens n'apporte rien de bien nouveau ni de sensationnel. Réitérant sa traditionnelle profession de foi en faveur de l'Etat fédéral belge, le premier ministre s'est plu à y ajouter, sans doute à l'intention des lecteurs français du Monde, une primeur qui leur fera peut-être un peu plaisir. Passant depuis plusieurs années ses vacances sur la côte méditerranéenne, une région qui lui ‘devient presque aussi familière que le Westhoek’, il leur révèle son ‘ambition secrète’ de passer sa retraite en France, rêve qu'en Flandre, il n'est probablement pas seul à caresser!
Interrogé sur les risques éventuels d'un divorce entre les deux communautés de la Belgique, M. André Leysen, président de la puissante organisation patronale F.E.B. (Fédération des entreprises de Belgique), déclare sans ambages que selon lui ‘le Belge moyen est beaucoup trop raisonnable pour desserrer, dans les circonstances actuelles, les liens économiques qui unissent les deux régions. Par ailleurs, il estime que ‘les querelles linguistiques ne sont que les réactions épidermiques d'une minorité agissante’. Point de vue qui, l'on s'en doute, ne fait pas l'unanimité en Flandre!
A côté d'articles consacrés à quelques villes telles que Courtrai (‘l'industrieuse’) et Anvers (‘la sage’), il faut signaler encore un certain nombre de ‘portraits’ assez sympathiques. Celui d'Annemie Neyts d'abord, présidente du PVV (le parti libéral flamand), ancien professeur de français qui ‘met un point d'honneur à s'exprimer dans un français parfait qui ferait rougir bien des hommes politiques de l'Hexagone’. Celui de Karel Van Miert, dirigeant du SP (parti socialiste flamand), principal artisan d'un aggiornamento dont le parti a pu recueillir assez vite les fruits électoraux au point de talonner, lors du dernier scrutin, le tout-puissant CVP (parti social-chrétien flamand). Celui de Jacques Brel enfin dont on ne peut évoquer le nom sans l'associer aussitôt au Plat pays qu'il a si passionnément magnifié dans ses chansons.
‘Flandre au pluriel’. Comme son titre l'indique, ce Supplément, premier d'une série qui sera consacrée aux différentes régions et villes de Belgique, nous offre effectivement une Flandre aux visages multiples, riche en contrastes, que les journalistes du Monde ont parfaitement réussi à nous présenter dans toute sa déroutante diversité.
Urbain Dewaele