den Broeck, celle-ci a donc une dimension politique et idéologique de plus en plus affirmée.
Mais quel est le rapport entre la littérature et le réel? Si un auteur veut décrire le réel dans son livre, comment doit-il faire? Ainsi, l'adorable et pittoresque hutte entourée de bouleaux et de bruyère donne-t-elle une vision fidèle de la vie dans les Kempen?
Van den Broeck observe que la littérature traditionnelle donne une image déformée du réel. Un récit par exemple impose, en tant que genre, certaines contraintes: il doit y avoir un début, un milieu et une fin, et l'auteur choisit bien entendu un certain point de vue. La littérature dénature de cette manière le réel, estime Van den Broeck. S'il veut déjouer cette falsification, il doit rompre les conventions littéraires et travailler d'une tout autre façon.
Que va-t-il faire? Dans le roman Lang weekend (1968) (Long week-end) le personnage principal rencontre dans un café ‘le jeune et prometteur écrivain Walter van den Broeck’. Et dans presque tous ses romans, Walter van den Broeck apparaît parmi les personnages. On pourrait dire que de la sorte il se trouve avoir un pied de chaque côté de l'abîme séparant le livre du réel.
Dans 362.880 × Jef Geys (1970), chacun des neuf personnages concernés par une mort suspecte dans le milieu du commerce de l'art, donne dans un chapitre son opinion. L'un de ces personnages est un certain Walter van den Broeck, écrivain. Les neuf chapitres du livre peuvent être lus dans n'importe quel ordre: le récit n'a donc en fait ni début, ni fin.
Dans Aantekeningen van een stambewaarder (1977) (Notes d'un généalogiste), il nous dit que son grand-père émigra en Amérique. Pour rendre la vérité de cette expérience, Van den Broeck rend compte dans son livre de romans d'émigrés et transcrit une partie du journal authentique de son grand-père. Ici, comme dans d'autres livres, il ne veut donc pas être l'unique témoin ou chroniqueur. Le but de tout ceci est de représenter, par la littérature, le réel tel qu'il est, sans corruption.
Fréquemment le réel n'est guère réjouissant pour les personnages de Van den Broeck, en tout cas bien moins convenable qu'on ne le montre, à l'occasion, au roi. La famille qui l'auteur évoque souvent, a des fins de mois difficiles. Les gens s'échappent volontiers d'un réel oppressant. Ils rêvent d'une vie meilleure, plus facile, ou de ce qui se passerait si le roi venait tout à coup leur rendre visite. C'est pourquoi dans la relation entre le réel et la littérature, l'imagination joue également un rôle important. Non seulement les personnages aiment s'abandonner à leur rêverie, mais l'auteur donne corps à celle-ci dans l'oeuvre. Avec son Brief aan Boudewijn, Van den Broeck réalise ainsi ce que son père a toujours tenté de faire, c'est-à-dire informer sans détours le roi de ses conditions de vie. Et dans ce livre l'auteur fait ‘réellement’ faire au roi une visite au petit village de Olen et à la maison dans laquelle ils habitent.
Durant cette visite imaginée, Van den Broeck porte au grand jour le réel caché derrière les apparences que l'on a toujours présentées au roi. Il présente alors au lecteur une image plus véridique de la vie dans les Kempen que n'offre la petite hutte dans les champs de bruyère. Et que voyons-nous dans le Beleg van Laken (1985) où Van den Broeck décrit le début d'une visite rendue au palais de Laken? Tout se déroule dans un rêve éveillé, dans un reflet du monde; le livre parle de ce qui est caché derrière ce qui se présente à nos yeux, des relations mutuelles dérobées à l'oeil par la complexité du réel. Chez lui la littérature dévoile donc le réel.
Finalement ces deux thèmes se rejoignent. Sous les traits de la figure du père et de ses avatars, Van den Broeck s'adresse au pouvoir qu'il rend responsable de la société de classe et de ses conséquences, telles que les injustices sociales. Indépendamment des conventions traditionnelles, il attribue à la littérature une fonction sociale pragmatique. Chez Van den Broeck l'engagement social et l'engagement littéraire vont la main dans la main.
JOS BORRÉ
Professeur de néerlandais. Critique littéraire.
Adresse: Dalstraat 21, B-2508 Kessel.
Traduit du néerlandais par Spiros Macris.