vant, la KRO (radio-télévision d'obédience catholique) dut réclamer un temps d'antenne supplémentaire car cet opéra exceptionnel tint une foule d'auditeurs rivés à leur poste jusqu'à deux heures du matin.
Comment expliquer cette fascination du grand public pour un compositeur qui se veut résolument d'avant-garde?
A la fin des années quarante et au début des années cinquante, Messiaen était le compositeur le plus novateur en matière d'individualisation de composantes comme le rythme, le timbre et la dynamique. C'étaient surtout ses trouvailles rythmiques qui passionnaient les jeunes. Des compositeurs comme Michel Fano et Karel Goeyvaerts, puis les Pierre Boulez (amené par Fano) et les Karlheinz Stockhausen (converti par Goeyvaerts) construisirent sur ces bases le sérialisme. Pourtant si c'est Messiaen qui lança tout le mouvement, il ne s'agissait pour lui que d'une aventure passagère. N'avait-il pas également tâté le premier de la musique électronique pour s'en détourner par la suite?
En dépit de l'incroyable rigueur et de la virtuosité technique de la composition, sa musique continuait à flatter les sens, elle gardait (jusqu'à un certain point) son expressivité mélodique et sa quasi permanente propension à l'extase. Elle restait beaucoup plus accessible à la passion et à l'émotion que la plupart des oeuvres sérielles, généralement très retenues.
C'est surtout dans l'usage qu'il fit des Ondes Martenot que Messiaen déploya cette sensualité typiquement française, viscéralement étrangère à la Deuxième Ecole de Vienne dont le sérialisme - très redevable également aux expérimentations de Messiaen - est un surgeon.
Ce qui, davantage encore, fait de Messiaen un merle blanc, c'est sa prédilection pour les chants d'oiseaux: n'oublions pas qu'il est ornithologue de profession! Dans beaucoup de partitions, les oiseaux - intermédiaires entre le ciel et la terre comme se plaît à le dire Messiaen, connaisseur averti de la mystique - donnent en quelque sorte le ton.
On les retrouve naturellement dans l'opéra consacré à Saint François d'Assise: la légende rapporte en effet qu'il prêchait aux oiseaux. Les solistes leur empruntent même le rythme et le timbre de leurs leitmotive. Le couronnement de l'oeuvre est un grand concert d'oiseaux, qui combine leurs rythmes les plus complexes. La plupart du temps, les instruments se règlent ou bien sur le groupe des xylophones (comprenant xylophones, xylorimbas, marimbas et vibraphones) ou bien sur le groupe des 22 bois. Pour rendre l'impression de désordre que donne un vrai concert d'oiseaux au crépuscule ou à l'aube, l'auteur a ajouté des instruments qui ont à jouer à leur propre rythme, indépendamment de l'ensemble. La rigueur s'allie à la liberté: voilà tout Messiaen! Il n'est pas rare que la rigueur serve à atteindre une plus grande souplesse, paradoxe typique de Messiaen. Des rythmes compliqués sauvent la musique d'une périodisation par trop prévisible: la liberté naît de la discipline.
Cette discipline est la première exigence d'une bonne exécution de la musique de Messiaen. Eh bien!, elle n'a pas fait défaut: la quasi-totalité du ban et de l'arrière-ban des musiciens employés par la radio-télévision néerlandaise (choeurs et orchestres) a fourni, sous la direction de Kent Nagano une prestation sans égale.
Si la représentation scénique donnée à Paris fut des plus décevantes - il faut dire qu'on ne voit pas comment on pourrait mettre en images un sujet mystique - la première exécution concertante intégrale fut un glorieux succès dont il est même bien difficile de trouver un équivalent aux Pays-Bas, parmi toutes les manifestations musicales passées.
Ernst Vermeulen
(Tr. J. Fermaut)