Politique
La Cour d'arbitrage
Le 1er octobre 1986, la Cour d'arbitrage existera depuis deux ans. Force est de constater que le monde politique belge s'est très vite accommodé de cette nouvelle institution, que d'aucuns qualifient de clé de voûte de la réforme de l'Etat d'août 1980. Ce succès est dû principalement aux douze juges de la Cour d'arbitrage, qui ont su conférer, avec fermeté, une forme et un contenu à cette institution nouvelle, qui représente l'autorité juridique suprême du pays.
En 1980, la Constitution belge dota la Flandre et la Wallonie du statut de Région. Bruxelles attend toujours une forme de régionalisation appropriée. Les compétences des Conseils culturels, devenus Conseils communautaires, furent élargies. En plus de la culture au sens strict du terme, les Communautés assumeront dorénavant la responsabilité du bien-être de l'individu par le biais des matières dites personnalisables. Les Régions, de leur côté, s'occupent surtout desdites matières localisables, telles l'aménagement du territoire et le logement, mais aussi de l'économie et de l'emploi. Les Régions et Communautés promulguent des décrets, c'est-à-dire des lois régionales et communautaires, qui s'appliquent exclusivement au territoire des Régions et Communautés respectives.
Ces décrets sont mis sur le même pied que les lois votées par le Parlement national. Il n'y a donc pas de hiérarchie entre les lois adoptées par les différentes assemblées législatives belges, ce qui constitue une forme de fédéralisme assez unique. Toutefois, il y a une seule condition importante: ces différents législateurs doivent s'occuper exclusivement des matières pour lesquelles ils sont compétents. Et c'est là, précisément, où le bât blesse: les compétences de ces différents législateurs n'ont pas été délimitées avec toute la clarté requise en 1980. Mais même si tel eût été le cas, tout le monde se fût rendu compte qu'il fallait une institution où l'on pût vérifier en toute quiétude, loin des manigances politiques, si l'un des législateurs n'avait pas excédé ses compétences. C'est pour cette raison que la Court d'arbitrage fut solennellement installée le 1er octobre 1984.
La Cour d'arbitrage se compose de douze juges, six néerlandophones et six francophones, chaque groupe étant subdivisé en trois juristes professionnels et trois ex-personnalités du monde politique. Le tout provenant des partis politiques en raison de leur importance. Les douze sages - parmi lesquels une femme - ont le pouvoir d'annuler tout ou une partie des lois nationales ou des décrets, c'est-à-dire d'affirmer que des lois ou des décrets n'existent plus, voire qu'ils n'ont jamais existé, ce qui peut entraîner des conséquences considérables sur le plan de la sécurité juridique. Motif de l'annulation: le législateur - qu'il soit national, régional ou communautaire - a outrepassé ses compétences. La Cour d'arbitrage n'est donc pas une Cour constitutionnelle: elle ne juge pas de la conformité d'une loi ou d'un décret avec la Constitution. En Belgique, c'est au législateur même d'apprécier ce dernier point.
Avant que la Cour d'arbitrage pût entamer sa mission - les préparatifs se prolongèrent pendant près de cinq ans -, un ordre du jour déjà particulièrement chargé attendait les douze sages belges. Ce fut dès lors avec une attention plus que particulière que l'on attendit les premiers arrêts. Etaitil encore possible de parvenir quelque part à un consensus flamando-wallon sur des conflits à forte charge communautaire? La formule même d'une Cour mixte, réunissant des juges et des politiques nommés suivant les critères caractéristiques de l'échiquier politique belge, ne semblait guère crédible... Pourtant, l'in-