mène plutôt à l'ironie, au scepticisme et au relativisme qu'à la foi et à l'optimisme et que, du coup, elle n'a rien de commun avec les perspectives d'avenir et la philosophie de progrès du marxisme. Le socialisme de Boon présente plutôt des traits humanistes et anarchistes et se caractérise plutôt par une sympathie de principe pour les petites gens sans cesse opprimés et exploités, et par un dégoût viscéral pour toutes les formes de pouvoir et de contrainte.
Dans le prologue de De Kapellekensbaan, l'auteur énonce lui-même le thème: la difficile progression et l'inévitable effondrement du socialisme. C'est aussi par sa technique et sa structure que ce diptyque se singularise tout à fait et se situe dans le mouvement de renouveau du roman européen moderne. Dans ces deux livres, Boon mêle les fragments de quatre romans différents qui se déroulent à diverses périodes. L'ensemble gravite autour du roman d'Ondine et d'Oscar, qui débute avec l'apparition du socialisme flamand à la fin du siècle dernier et se prolonge jusqu'à la seconde guerre mondiale. Ondine y succombe aux séductions de l'individualisme bourgeois tandis qu'Oscar évolue de l'inconscience politique de l'artiste à un socialisme pessimiste. Boon y insère des passages où, en qualité d'auteur du roman d'Ondine, il échange avec ses amis et alters egos Johan Janssens, Kramiek, Tippetotje, le Maître d'école kantien et beaucoup d'autres, des commentaires sur ce roman ainsi que sur les événements du jour. Ce deuxième niveau du récit, on pourrait l'appeler ‘le roman actuel’. Le troisième niveau (dans De Kapellekensbaan) est constitué par les fragments d'un Renart remanié, insérés par Johan Janssens et qui incorpore coup sur coup des allusions à Boon et à l'actualité. Quant au quatrième niveau (dans Zomer te Ter-Muren), il consiste en fragments d'un roman picaresque consacré au chef de bande du xviiie siècle Jan de Lichte dont la carrière est mise en relation avec celle du groupe d'amis de Kapellekensbaan.
La relation entre tous ces niveaux du récit, amenée avec une virtuosité thématique et stylistique éblouissante, réside dans la énième démonstration du fait que le sort des petites gens ne s'est guère amélioré au cours des siècles, puisqu'ils ne cessent d'être victimes de l'argent, de la puissance et des systèmes politiques de leur époque.
Le Renart remanié est paru par la suite en version intégrale sous le titre de Wapenbroeders (Frères d'armes, 1955); pour De bende van Jan de Lichte, ce sera le cas deux ans plus tard. Ce dernier roman, écrit dans la tradition du livre populaire, s'il transfigure le capitaine de brigands Jan de Lichte en légendaire héros de la liberté qui finit sur l'échafaud, n'en repose pas moins sur une documentation authentique, à savoir les minutes du procès, conservées à Alost, qui relatent l'arrestation et la condamnation des membres de la bande. Par la suite, Boon utilisera de plus en plus les sources et documents historiques.
Ainsi, c'est en 1971 que parut sa grande histoire sociale du daensisme à Alost et dans les environs (le daensisme est le mouvement ouvrier catholico-progressiste dirigé à la fin du siècle dernier par l'Abbé Adolf Daens). Cette chronique est racontée du point de vue du frère d'Adolf, le journaliste et imprimeur Pieter Daens, ce qui a pour effet de mêler le général au personnel, l'historique au biographique, et lui confère un ton de touchante humanité. A côté de cela, Boon, s'inspirant d'archives de la police, a consacré un ouvrage à l'anarchisme à Alost vers 1900. Enfin, il a couronné sa trilogie sur les révolutionnaires et les résistants par son impressionnant Geuzenboek où, optant à nouveau pour le camp des opprimés et des vaincus, il réhabilite honorablement la lutte des Gueux de Bois et de Mer dans la Flandre du xvie siècle. Cette monumentale chronique s'appuie certes sur des sources (pas toujours fiables) mais elle semble rédigée par des témoins oculaires issus du sein même du peuple qui luttait et souffrait, ce qui lui donne ce ton émouvant et prenant qui est si typique de l'écrivain Boon.
PAUL DE WISPELAERE
Docteur en philologie germanique. Professeur à l'U.I.A. - Universitaire Instelling Antwerpen. Ecrivain.
Adresse: Moerhuizestraat 64, B-9990 Maldegem.
Traduit du néerlandais par Jacques Fermaut.