Politique
Un électeur capricieux.
Selon André Leysen, président de la Fédération des entreprises de Belgique, l'électeur belge est un fichu roublard. Il (ou elle) demeure indifférent(e) devant tous les sondages d'opinion annonçant une fois de plus que le parti A perdra la faveur de l'électeur à l'avantage du parti B, ou inversement, ou prétendant illustrer pour la énième fois, chiffres à l'appui, que la majorité des Belges s'opposent à l'implantation des missiles nucléaires ou que la majorité gouvernementale, à proprement parler, ne dispose plus d'une majorité. Non, tous les quatre ans, en ce dimanche matin qui lui tient lieu de rendez-vous avec la démocratie, l'électeur belge, dans l'isoloir, n'en fait qu'à sa tête. Que le résultat de son comportement s'écarte des prévisions des instituts de sondage, voilà qui est le cadet de ses soucis. C'est dans le doux confort de sa salle de séjour ou lors d'une conversation à bâtons rompus avec des amis qu'il s'est forgé une idée, et il la concrétise dans son vote. Il n'aime pas beaucoup que des politicologues trop curieux et d'autres enquêteurs, sondeurs ou chercheurs, le tiennent à l'oeil.
Le 13 octobre 1985, en effet, l'électeur a fait savoir qu'il considère ses conceptions politiques ainsi que l'exercice du droit de vote comme l'expression hyperindividuelle de ses impressions hyperindividuelles. Contre toute attente, il n'a pas désavoué la coalition démocrate-chrétienne et libérale sortante, au contraire. Si l'on fait abstraction du net recul enregistré par le parti libéral en Flandre, il l'a plutôt confirmée, voire renforcée: au lieu de perdre des sièges, la majorité réélue en compte dorénavant deux de plus à la Chambre des députés. En outre, en région de langue française, les socialistes perdent le contrôle qu'ils exerçaient sur les deux assemblées que sont le Conseil de la communauté française et le Conseil régional wallon. A l'issue de quatre années de politique économique particulièrement impopulaire du point de vue électoral, un désaveu flagrant de la part de l'électorat eût été on ne peut plus logique et compréhensible. Mais de nombreux observateurs étrangers et, a fortiori, les commentateurs belges ont dû constater que l'électeur a approuvé et conforté la politique gouvernementale. S'agit-il de masochisme politique? Ou d'une preuve de bon sens, comme l'interprétait André Leysen? Ou d'un signe de maturité politique, comme le déclaraient les membres du gouvernement? En règle générale, les partis gouvernementaux sortent perdants des élections. Il faut remonter à 1950 pour trouver une exception: cette année-là, le parti catholique conquit la majorité absolue parce qu'un certain nombre d'électeurs lui savaient gré de favoriser le retour du roi
Léopold III.
Mais le scrutin du 13 octobre 1985 restera dans les mémoires pour d'autres raisons encore. Il a mis un frein, par exemple, à la prolifération des petites formations et des nouveaux partis politiques. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, cinq partis politiques seulement siégeaient au Parlement; depuis, leur nombre était passé à quatorze: deux viennent d'être éliminés. Pour la première fois depuis 1925, le Parti communiste de Belgique (PCB-KPB) ne compte plus aucun élu. Parti gouvernemental dans l'immédiat après-guerre, il comptait à l'époque vingt-cinq députés; aujourd'hui, il ne dispose plus d'aucun siège. Le Rassemblement wallon (RW), parti fédéraliste wallon qui siégeait au gouvernement il y a dix ans encore, n'est plus représenté au Parlement. Un nouveau parti fédéraliste créé entre-temps n'ayant pas réussi à s'imposer, on ne voit pas très clairement auprès de quel(s) parti(s) les fédéralistes wallons ont cherché refuge. La récupération d'anciens députés et dirigeants du RW par les familles politiques traditionnelles était en cours depuis quelque temps déjà. Le même phénomène s'est produit au niveau du Front démocratique des francophones (FDF), parti fédéraliste bruxellois, qui n'envoie plus que trois membres à la Chambre des représentants, soit moins d'un tiers du nombre de députés qu'il comptait rue de la Loi il y a dix ans. Plusieurs éminents anciens députés du FDF ont rejoint l'une des formations politiques traditionnelles. Il y a quelques années, le FDF aussi avait participé au gouvernement: estimant que le gouvernement devait