Littérature
‘Le chagrin des Belges’.
Quand ses premiers textes parurent, il s'en trouva pour crier à l'enfant prodige de la littérature flamande. Puis on changea d'épithète pour ne plus parler que d'‘enfant terrible’ et c'est ainsi que la presse francophone le présente derechef à l'occasion de la parution en traduction française de son Het Verdriet van België, Le chagrin des Belges. Mais on s'empresse d'ajouter que cet ‘enfant terrible’ est en même temps le plus grand écrivain de la littérature néerlandaise contemporaine. Et de proclamer d'une même haleine que ce roman est son chef-d'oeuvre.
Qu'Hugo Claus soit le plus grand et Het Verdriet van België son meilleur ouvrage, le temps se chargera bien d'en décider. Mais c'est sans aucun doute un livre fascinant, même pour des lecteurs étrangers au petit royaume riverain de la mer du Nord qui lui sert de cadre. Et c'est très judicieusement que la quatrième de couverture déclare: ‘en étalant sa maîtrise absolue de la langue intellectuelle, poétique et populaire, Hugo Claus a rassemblé tous les ingrédients d'un grand roman qui doit faire date’.
Ce qui ne veut pas dire qu'il faille gober tout ce que raconte ladite couverture, car on y trouve entre autres deux flagrantes erreurs. La première concerne l'année de parution de l'oeuvre originale: il s'agit de 1983 et non de l'omineuse année 1933. Tout enfant prodige qu'il ait été, il est plus que probable que Claus, comme la plupart des marmots de quatre ans, n'en était pas encore à parler sa langue tout à fait correctement. Secundo: ce ne sont pas les Jésuites qui président aux destinées des collèges diocésains de Flandre occidentale mais des prêtres séculiers. Ils étaient du reste bien plus nombreux à l'époque des études de Claus que de nos jours. Laissons donc les Jésuites en dehors de cette affaire: leur réputation est déjà bien assez controversée sans qu'on les implique dans Het Verdriet van België.
Le roman comprend deux parties: la première Le chagrin, occupe environ un tiers du récit et raconte les années d'enfance de Louis Seynaeve, prête-nom de l'auteur lui-même; la seconde, des Belges, évoque ses années de guerre. L'ouvrage présente en effet un très net caractère autobiographique; quiconque a également vécu la période troublée des années trente et quarante reconnaît à l'évocation de Claus justesse et authenticité, ce qui bien sûr ne suppose pas nécessairement le respect de la vérité jusque dans le moindre détail. La réception et l'agencement des événements dans la mémoire du protagoniste et la liberté créatrice de l'écrivain ont également leurs droits.
Pour pouvoir jouir à plein de l'authenticité du récit, on ne saurait trop conseiller au lecteur non belge de prendre le temps de lire à tête reposée l'avant-propos d'Alain van Crugten, l'excellent traducteur du roman: dans cette introduction, il se révèle capable d'intégrer également l'arrière-plan que suppose la lecture de Het Verdriet van België et d'amener le lecteur français sur la bonne longueur d'onde.
Non qu'Hugo Claus soit un peintre du dimanche essoufflé et pointilleux qui doive recourir à une copie exacte de la réalité. Tout au contraire, c'est d'un trait ample, vigoureux et coloré qu'il brosse ses personnages, surtout dans la seconde partie où il entraîne le lecteur dans un lacis de dialogues brefs et étincelants, de croquis sur le vif et de ‘monologues intérieurs’ qui campe un monde de la petite bourgeoisie plus vrai que nature dont l'auteur se libère par l'écriture avec une évidente délectation. La prétendue roublardise dessalée des uns, les calculs naïfs des autres, les épanchements ridicules, les jérémiades égoïstes, l'incapacité à transcender les horizons étriqués d'une ville de province (Ensor en
Couverture du ‘Chagrin des Belges’, la traduction française du roman ‘Het Verdriet van België’ d'Hugo Claus.
effet n'est pas loin, et l'éditeur avait de bonnes raisons de recourir à une toile de ce peintre pour sa couverture), Claus peint tout cela en quelques dizaines de tableautins, parfois comiques de bout en bout, toujours criants de vérité. Il est toutefois particulièrement féroce vis-à-vis des notabilités locales de Walle (c'est ainsi que le roman appelle Courtrai, ville qui ne se trouve qu'à une portée de flèche de Lille), les ‘têtes flamandes’, qu'il accable de mortels sarcasmes.
En ce qui concerne la forme, la maîtrise de Claus réside en ceci qu'avec cette multitude de petits moellons, il se montre capable de construire un édifice solide et harmonieux. En outre, sous la strate supérieure - la chronique familiale située dans un Courtrai ravagé par la guerre - se cache un savant réseau qui donne sa deuxième dimension au volumineux roman: ‘l'apprentissage de la vie’ avec les ‘quelques degrés d'initiation maçonnique’ signalés par l'avantpropos. D'où il s'ensuit que Het Verdriet van België est loin de révéler tous ses secrets à première lecture, si bien que le lecteur exigeant qui affectionne la multipli-