Etre seul comporte le désagrément d'être en effet seul mais cela provient de ce que le toi, le G de ces poèmes, n'existe pas réellement. Mais cela présente le grand avantage que ça vaut mieux que de n'être personne. C'est à vrai dire la seule façon d'exister. Etre, c'est être cet homme-ci, personne ne peut véritablement y remédier, la consolation réside seulement dans la considération qu'il en est de même pour l'autre. La consolation ne consiste pas à essayer de croire que G existe malgré tout, la consolation consiste seulement à voir de ses yeux la réalité.
Et la réalité se réduit à ceci qu'on se voit progressivement mourir à toutes choses. Ce serait à nouveau très décevant s'il ne s'agissait pas ici, tout comme dans le poème précédent, d'une passivité active, d'un maximum de présence. Rester présent, c'est tout ce qu'on peut faire, se laisser bien pénétrer, considérer toutes choses. Si vous détournez le regard, vous n'avez rien vu. Si vous restez présent, vous avez au moins encore cette expérience. J'aime assez ce programme minimum. Dire qu'il n'y a pas de consolation, et cette affirmation console. Dire que tout meurt, et cela vous fait revivre. Car vous le saviez déjà, bien sûr, mais vous pensiez que vous étiez le seul. Kopland le sait aussi.
Sa poésie la plus sévère, Kopland l'écrit dans son recueil Dit uitzicht (Cette perspective, 1982). A première lecture, tout paraît ici négatif. Kopland est devenu impitoyable. Il ne s'autorise plus aucune illusion, et c'est à peine s'il se permet encore une image, alors que ce sont précisément les images qui concourent au charme de ses poèmes. Tout est devenu strictement ascétique, non seulement on a quitté le paradis, voilà déjà longtemps qu'on en a été chassé, mais, vingt ans plus tard non plus, l'Adam de cette poésie ne trouve rien d'autre que des lieux qu'il doit quitter. Pourtant à la relecture, on s'avise que Kopland ne fait qu'interpréter positivement, avec plus de conséquence que jamais, un certain nombre d'impressions négatives. L'aspiration au vide, par exemple. Est-ce positif? Dans un monde archi-plein, peut-être bien. ‘Dans ce monde d'une parfaite indifférence / amener les voiles’: est-ce optimiste? Eh bien oui, il semble même que ‘parfaite’ ne signifie pas tant ‘complète’ qu'‘idéale’ (s'agissant du monde) du fait même de cette indifférence. Après l'interventionnite quotidienne de tout un chacun, cela pourrait bien être un soulagement. De cette veine sont encore un certain nombre de poèmes, impitoyables au premier abord, sur des désirs venus du fond des âges; le désir primitif d'invisibilité, d'immobilité, d'insignifiance, d'inutilité, d'absurdité (au sens philosophique d'absence de signification ou de justification). Ne savoir la signification de rien implique qu'il faut encore la trouver, c'est plus passionnant que de la connaître déjà. Des cartes, abandonnées, parce
qu'elles ne racontent que ‘d'où nous venions / Non où nous fûmes’ ne signifient pas seulement que nous devons désormais nous débrouiller sans données mais aussi que nous le pouvons.
Même l'A, cette petite rivière de Drenthe, qui ne faisait que vouloir s'en aller (I) ou s'en retourner vers le terroir de ses origines (II) ou tout simplement aller vers une quelconque destination (III) et dont je trouvais si pitoyable que Kopland ne le lui permît pas, est, à la relecture, profondément pacifiée. Elle s'est abandonnée - quelle magnifique quiétude dans ce mot - à ce qu'elle est. Même si c'est à sa propre absence de signification: il est bien difficile de se résigner à celle d'un autre. Ceci dit, c'est parfois ‘comme si elle voulait recommencer / si agités semblent ses mouvements...’ Mais à quoi bon cette agitation? Non, heureusement ça ne réussit pas, ‘elle est calme entre / ses berges, et même / ses berges sont calmes’. Et c'est parfois comme si ‘elle voulait s'éloigner / d'ici...’ Mais heureusement tout ce tracas est inutile, car ‘là-bas, dans le lointain / elle est déjà la même qu'ici’.
Ainsi, tout ce recueil se prête à une double lecture, et chacune est probablement juste, c'est un recueil d'impitoyable absence d'illusions, mais une fois ceci accepté, voilà qu'une quiétude, une paix grégoriennes commencent précisément à s'en dégager.
herman de coninck
poète.
Adresse: Cogels Osylei 65, B-2600 Berchem.
Traduit du néerlandais par Jacques Fermaut.
Note:
Rutger Kopland vient de publier, en 1985, un nouveau recueil de poèmes, intitulé Voor het verdwijnt en daarna (Avant que ça disparaisse et après).