Sciences
In Memoriam Bert Röling.
‘Etre traité d'idéaliste. Voilà le plus grave reproche qu'on puisse essuyer’. La boutade est du polémologue Bert Röling, ancien professeur à l'Université d'Etat de Groningue, décédé le 16 mars 1985, au terme d'une vie toute vouée à la défense de la paix et de la justice dans le monde.
Né à Den Bosch (Pays-Bas) le jour de Noël 1906, il fit des études de droit et de criminologie. Professeur à titre privé, il enseigna, en 1933, le droit pénitentiaire, après quoi il fut nommé juge à Middelburg d'abord et, plus tard, à Utrecht. Une brillante carrière l'aurait sans doute conduit au Conseil supérieur de la magistrature s'il n'avait pas été invité, à l'âge de quarante ans, à siéger au Tribunal militaire international, appelé à statuer sur le sort des criminels de guerre japonais. A Tokyo, ses divergences de vue l'opposent à l'ensemble de ses collègues (tous plus âgés que lui!). Cinq criminels de guerre japonais furent condamnés dont un à la peine de mort, alors que Röling
Professeur B.V.A. Röling (1906-1985). (Photo Eddy de Jongh).
estimait que tous méritaient d'être acquittés. Revenant plus tard sur l'affaire, il devait se justifier en précisant ‘qu'il vaut mieux prévenir les guerres que de désigner et punir, après coup, des coupables’. Cette vision - assez déconcertante si on la replace dans le contexte de l'immédiat après-guerre - l'amena, trois ans après son arrivée à Tokyo, à abandonner le droit pénal, sa spécialité, pour s'attaquer aussitôt à l'étude du droit des peuples.
De retour aux Pays-Bas, il est nommé membre de la délégation néerlandaise aux Nations-Unies à New-York (1950-1955). C'est l'époque où les Pays-Bas cherchent à liquider définitivement - mais non sans déchirements - leur passé colonial en mettant au point leur politique à l'égard de la Nouvelle-Guinée. A ce propos, une fois de plus, Röling fait bande à part. Par ailleurs, au moment, on se trouve au beau milieu de la guerre froide. ‘La notion de sécurité, telle que la conçoivent les Etats-Unis, englobe tant la sécurité militaire que la sécurité économique et idéologique’, déclare Röling. Du coup, le voilà suspecté de cryptocommunisme.
En 1962, devenu professeur de droit international à l'Université de Groningue, il crée l'Institut de Polémologie. A part l'institut analogue Galtung en Norvège, il s'agit du premier institut européen où l'on se consacre à l'étude scientifique de questions touchant la guerre et la paix. Röling était en quelque sorte obsédé par l'idée qu'après la catastrophe de la seconde guerre mondiale, il devait être possible de prévenir de nouvelles conflagrations mondiales, rien qu'en faisant valoir des arguments scientifiques et raisonnables. En 1977, il mit fin à sa carrière professorale. ‘Ce qui a été réalisé dans le domaine du désarmement, peut être qualifié purement et simplement d'échec total’. De telles appréciations caractérisaient parfaitement Bert Röling mais ne devaient pas l'empêcher pour autant - télégénique comme il l'était avec ses cheveux blancs et ses bons yeux sincères - de continuer à faire de fréquentes apparitions à la télévision où il venait proclamer sa foi inaltérable dans ‘l'ultime victoire de la raison et du bon sens’.
Observant que ‘les gouvernements sont souvent esclaves de leurs propres instruments de pouvoir’, Röling appréhendait tout particulièrement l'extension débridée de la course aux armements. Nullement partisan de ‘l'équilibre des forces’, il prônait ‘la dissuasion défensive’. Une politique débouchant sur un renforcement du potentiel militaire tant à l'Est qu'à l'Ouest lui paraissait une conception portant gravement atteinte aux valeurs morales et culturelles. Toutefois, il était suffisamment réaliste pour ne pas se poser en champion du désarmement unilatéral. ‘La seule fonction des armes consiste à en posséder une quantité telle que l'adversaire n'ose pas recourir aux siennes, mais non à en posséder tant que ce dernier commence à prendre peur’. A ce propos, il est intéressant de noter que Röling semble n'avoir eu que peu d'affinités avec les mouvements pacifistes pourtant très actifs et solidement implantés un peu partout aux Pays-Bas, bien qu'il en reconnût l'incontestable nécessité. Ce qui suscitait par-dessus tout des réactions émotionnelles de sa part, c'étaient les ventes d'armes aux pays en voie de développement, ventes qu'il n'hésitait pas à considérer comme ‘le plus grand crime