Louis Emmerij (o1935).
homme qui n'est pas dépourvu d'auto-ironie. En mars 1985, l'Université d'Etat de Gand lui a décerné un doctorat honoris causa.
Aux Pays-Bas, il n'est pas vraiment célèbre, bien que ses prises de position souvent sensationnelles soient de nature à exciter bien des imaginations. Cela vient peutêtre de ce qu'il a fait ses études socio-politiques et économiques à l'étranger (‘Dans les universités néerlandaises, cela aurait pris trop de temps’) et qu'il a ensuite exercé son activité à Paris (O.C.D.E. enseignement) et à Genève (ILO - organisation internationale du travail). Au sein de ce dernier organisme, il a jeté les bases d'un programme de créations d'emplois à l'échelle mondiale. Depuis 1976, ce Rotterdamois est recteur de l'Institut d'études sociales de La Haye, une institution néerlandaise qui dispense un enseignement à des étudiants du tiers monde. Dans ces milieux, personne ne s'étonnerait de le voir promu ministre socialiste de l'Aide au développement dans un futur cabinet PvdA-CDA (Travaillistes-Démocrates-chrétiens). Economie, enseignement, tiers monde sont pour Emmerij trois champs d'intérêt étroitement imbriqués.
Pour Emmerij, qui prend manifestement un malin plaisir à faire des déclarations paradoxales, il n'est absolument pas établi qu'un enseignement égalitaire conduise par définition à une égalité des chances dans la société. ‘Au contraire, plus l'offre de gens jouissant d'une formation similaire s'accroît, plus le milieu social devient déterminant’. Emmerij plaide pour la flexibilité de l'enseignement. ‘Chacun ou chacune doit avoir droit à un certain nombre d'années d'enseignement qu'il ou elle peut utiliser quand il ou elle le veut. Celui ou celle qui souhaite des années d'enseignement surnuméraires, doit payer ou céder des années de retraite, par suite de quoi il ou elle aura ou bien à rester en activité plus longtemps ou bien à toucher une retraite inférieure’. La flexibilité est aussi le maître-mot d'Emmerij en matière de système économique. Il n'admet pas que le chômage soit un fléau. ‘Le plein emploi absolu a quelque chose de dictatorial. Qui dit que ce soit là un impératif absolu?’. En 1977, il n'hésitait pas à qualifier de ‘réactionnaire’ cette exigence du mouvement syndical. Pour Emmerij, un marché du travail en récession ‘n'est pas un épouvantail et le chômage n'est pas une malédiction’.
Flexible lui-même, notre économiste joue d'une solution qu'il aime qualifier de flexible: ‘un système de congés payés par roulement’ qu'il nomme plaisamment ‘retraite à la carte’. Il propose d'utiliser les 25 milliards de florins que les Pays-Bas consacrent actuellement aux prestations sociales pour permettre à quelque 400 ou 500 mille travailleurs de quitter librement leur emploi ‘pour suivre une formation d'un an ou moins qui les rendrait plus offensifs’. Bref, selon Emmerij, le gouvernement, le mouvement syndical et les économistes agissent bien trop au nom de ‘traditions figées’. Pour Emmerij, la croissance économique n'entraîne pas par définition le sacrifice d'un nombre croissant d'emplois. Diminuer la durée du travail, voilà le remède prôné par Emmerij, puisque le plein emploi est un nonsens. Pourquoi ce cycle immuable: ‘formation, métier et (comme lot de consolation) retraite?’
Ce qui intrigue chez Emmerij, c'est qu'il ne puisse concevoir la problématique économique occidentale à part de celle du tiers monde. Ou plus exactement: ce tiers monde se répartit pour lui en trois groupes: les nouveaux pays industriels (entre autres le Brésil, qui n'ont pas besoin d'être stimulés par l'Ouest); les pays les plus misérables (entre autres le Mali) qu'il faut se contenter d'aider durablement; et enfin les pays-en-voie-de-développement-à-revenus-moyens (entre autres le Nigéria, l'Indonésie) sur lesquels porte l'essentiel de l'intérêt de l'Europe. Ce sont ces derniers pays que vise son plan Marshall. L'Occident peut financer cette aide en se consacrant essentiellement à une technologie avancée de pointe. Pour Emmerij, il ne convient pas de discuter à perte de vue sur les mérites respectifs de tel ou tel plan pour le tiers monde, il faut agir sur l'heure.
Qui discute avec lui découvre l'idéalisme jusqu'au-boutiste d'Emmerij. Il ne se lasse jamais de proposer de nouvelles idées tout en restant bien conscient qu'en pratique les évolutions sont bien lentes en ce bas monde et que son semblable a tiré bien peu d'enseignements de l'histoire.
Quant à lui, l'avenir continue à l'intriguer. Dans une interview accordée à Hervormd Nederland le 12 janvier 1985, il régalait son interlocuteur d'une vision. Il s'imaginait, âgé de cent ans - ce qui nous amène en 2035 - écrivant une lettre à son petit-fils ‘qui venait d'être nommé ministre des Relations économiques internationales et de l'Aide au développement’. Cela lui permet de jeter un regard détaché et critique sur ses idées actuelles de 1985. De plus il entrevoit un monde divisé en une composante alpha et une composante béta. Le tiers monde a lui aussi atteint le niveau du monde alpha occidental, en empruntant le style de vie occidental. Un certain nombre de pays du tiers monde n'y est pas parvenu: on y travaille encore pour une misérable survie.