Apprendre à comprendre Rubens.
Dans son Journal, Eugène Delacroix fait allusion, à de très nombreuses reprises, à l'un ou l'autre tableau de Rubens. C'est ainsi qu'il note, le 23 janvier 1847: ‘Penser, pour ces tableaux, à la belle exagération des chevaux et des hommes de Rubens, surtout dans la Chasse de Soutman’ (un des graveurs de Rubens). A cette époque, Delacroix collaborait à un projet de décoration pour le hall du Palais du Luxembourg, projet qui ne serait pas mis à exécution.
Chez Jean-Antoine Watteau, on relève un intérêt analogue. Sa biographe, Hélène Adhémar cite dans son Catalogue des peintures quelques exemples frappants. Le chien dans Les charmes de la vie (Londres, collection Wallace) et le couple dans La surprise (Londres, Buckingham Palace) proviennent en droite ligne de l'oeuvre du maître anversois. On pourrait presque à l'infini prolonger la liste des emprunts et la confier à l'ordinateur pour épargner de la sorte aux historiens de l'art une besogne passablement laborieuse. On pourrait d'ailleurs dresser un inventaire tout aussi impressionnant de tableaux de maîtres anciens ayant inspiré Rubens luimême. Les spécialistes de Rubens s'en occupent depuis bien des années, témoin le Corpus Rubenianum Ludwig Burchard dont la moitié à peu près des 27 tomes prévus ont paru jusqu'à ce jour.
Si tous ces travaux de recherche ne devaient aboutir qu'à l'élaboration d'un simple inventaire, la typologie de l'oeuvre y gagnerait certes ici et là en clarté mais on serait en droit de se demander si des travaux de ce genre permettent de dévoiler tous les secrets de la créativité du maître. Qu'une réponse négative ne fasse guère de doute et que l'inventivité et la sensibilité personnelle d'un critique indépendant soient indispensables, voilà ce que démontre avec éclat l'essai de Harold Van de Perre,
Pietro Pauolo Rubens: Comprendre, voir, vivre, paru
Rubens, ‘Les Trois Grâces’ (2). A la fois terrestre et céleste, charnelle et extatique, cette oeuvre mérite bien le qualificatif de ‘flamande’. Sa sensualité et son réalisme paysan s'opposent à la beauté neutre, idéalisée et incontestablement latine des ‘Trois Grâces’ de Raphaël (1). A l'opposé du réalisme germanique et analytique de l'étude de Dürer ‘Nu de dos’ (3), l'oeuvre de Rubens est hymnique et mythique. (p. 169).
chez Elsevier dans un album au format particulièrement adéquat et doté d'une somptueuse iconographie comparative. L'auteur (né à Ninove en 1937) a fait ses études à l'Institut supérieur Saint-Luc à Gand et y enseigne depuis 1963. S'étant d'abord spécialisé dans la peinture sur verre dans l'atelier Oidtmann à Linnich (Allemagne fédérale), il s'imposa ensuite au public comme dessinateur et aquarelliste. Ses activités professorales et artistiques l'amenèrent à faire des conférences sur Van Eyck, Bruegel et Rubens et à publier des études sur
Guernica de Picasso, sur le dessin comme phénomène artistique et sur la peinture sur verre.
A présent, Van de Perre nous offre un livre qui se situe un peu en marge de l'abondante littérature déjà consacrée à Rubens. Sans chercher à nous ‘informer’ comme le ferait un historien d'art, il s'y exprime plutôt à la manière d'un peintre qui, le temps d'un livre, aurait troqué le pinceau contre la plume. Préoccupé uniquement par la plastique, il entend raconter dans un ‘récit imagé’ comment celle-ci se concrétise au niveau de la création linguistique. Le sous-titre du livre: Comprendre, voir, vivre ne renvoie pas seulement à ses trois parties, il fait également allusion à la complémentarité progressive de l'exposé. A cette fin, Van de Perre recourt à la comparaison et à la confrontation d'images. Il consacre chaque fois une double page à tel ou tel problème particulier. Rubens est comparé à lui-même ou à d'autres peintres tels que Michel-Ange, le Caravage, Titien, Gainsborough, Reynolds, Watteau, Renoir, le Tintoret, le Gréco, Goya, Delacroix, évoqués tour à tour en fonction du problème traité. Même le Satyricon de Fellini apparaît dans l'analyse. L'auteur veut montrer que ‘nous