thème jusqu'à: ‘Vive la République, vivent les Belgiens merde aux Flamingants...’, lui valut des protestations de tous les côtés bienpensants et une interpellation d'un sénateur nationaliste flamand au Parlement. De l'autre bout du monde, Brel, en 1977, s'acharna encore, avec Les F..., où ‘la haine de Brel pour les Flamingants devient paroxystique.
Avec un talent d'interprète incontestable, il passe à l'outrancier. Certains, même parmi les proches de Brel, en Europe, trouvent qu'il est trop facile de tirer ainsi, des Marquises (...), sur ses ennemis.’ Un tollé général parcourt une Flandre qui vient d'accéder à l'autonomie culturelle, et il y a des interpellations au Conseil culturel de la communauté culturelle néerlandaise de Belgique. Todd, à ce propos, apporte les correctifs et précisions qui s'imposent. Il explique le lien entre la religion et le nationalisme flamand et souligne le ‘bizarre mélange de paganisme et de christianisme’ chez le chanteur, qui se dit ‘symboliste, comme tous les Flamands’ ‘revendique sa flamanditude, mais n'a jamais lu les grands textes mystiques flamands’, se proclame athée et s'accroche à ‘un anticléricalisme et un humanisme élémentaires’. Todd évoque succinctement mais correctement la question linguistico-communautaire, qui obsédait un Brel ‘fier et honteux d'être Belge’ et dénonce l'amalgame que fait Brel: nationalisme flamand = fascistes = Flamingants = Flamands. Brel est ‘unitariste comme son père. Il ne semble pas se rendre compte à quel point les Flamands ont failli perdre leur langue et leur culture, qu'ils ont été exploités et humiliés par les Fransquillons, la bourgeoisie possédante francophone.(...) Appuyé sur sa renommée, Brel n'a guère aidé les Wallons à examiner lucidement les vrais et les faux problèmes du nationalisme flamand. (...Il) excite Wallons francolâtres, ceux qui confondent vite Flamands et Flamingants. Il fige ses positions politiques, avant tout individualistes, vers la fin des années soixante.
Brel emploie un peu trop le concept de race.(...) A-t-il jamais compris que le peuple flamand au cours de son histoire, collectivement, s'est souvent posé une question dramatique: comment survivre?(...) Brel n'a pas vu que beaucoup de Flamands ont eu le sentiment d'être longtemps, chez eux, des refusés, des désarmés’, catégories d'êtres qu'ailleurs Brel ressent et rend si bien. Au sujet de Les F..., Todd se demande: ‘L'excès avec lui serait-il toujours une des conditions du talent?(...) Le problème du nationalisme flamand, d'une culture qui a failli mourir, ne peut être simplifié à ce point par une chanson, aussi entraînante soitelle.(...) Au fond, il lui reste (à Brel) ce sentiment de supériorité qu'éprouvent certains Bruxellois, et pas seulement devant les habitants de Nieuport, d'Ostende ou de Bruges, mais aussi face à ceux de Tournai, de Charleroi ou de Liège’.
Quelques heures après l'annonce de sa mort, on pouvait lire sur un pont d'autoroute en Flandre: Brel is dood, hourrah! (Brel est mort), raconte Todd, en ajoutant: ‘Ceux qui le regrettent sont plus nombreux que ceux qui proclament ainsi leur morbide satisfaction et leur rancune’. Au moment des polémiques précitées, Brel comptait - et compte toujours -parmi les Flamands sinon des défenseurs, du moins des admirateurs qui s'efforçaient de comprendre le Brel multiple envers et contre tout, dans l'esprit de ce qu'écrivait en 1966 un collaborateur du principal quotidien catholique flamand: ‘il nous faut des êtres comme Brel qui nous permettent de faire, de temps à autre, notre autocritique’. Et nous resteront toujours le ciel, le vent et la plaine du ‘plat pays qui est le mien’...
Willy Devos / B-Brussel/Bruxelles
olivier todd, Jacques Brel, une vie, Robert Laffont, Paris, 1984, 452 p.