incendie à celui de Rome. Partout et toujours il y eut fascisme. L'affaire 40/61 est une relation du procès Eichmann, intenté au responsable de la déportation des Juifs vers les camps de la mort. L'avenir d'hier est le plan d'un livre qui ne sera pas écrit. Il aurait dû traiter de la question: Si Hitler avait gagné la guerre... Des fragments du projet sont repris dans le livre: un arbre généalogique de l'empire a-historique de mille ans que voulait fonder Hitler (Hermann-Barberousse-Bismarck-Hitler), des textes concernant la loge bien réelle des Hermannssöhne (Fils d'Hermann) et les exécutions du Götterdiammerung à Bayreuth, un scénario du règne d'Hitler, trentequatre ans plus tard, retraçant l'extermination des derniers Juifs néerlandais, l'engagement forcé de la blonde jeunesse amstellodamoise, l'uniformité raciale sur le modèle de Lohengrin, la liquidation des handicapés, des malades, des vieillards, l'anéantissement de la science ‘juive’ et la suppression des universités, l'instauration de l'esclavage pour la réalisation de travaux titanesques... Ce livre, en fait, ne fut pas écrit. Le contexte de la société de 1972 s'y opposait. Les années soixante n'avaient-elles pas vu surtout naître des critiques de cette société? Mulisch luimême avait inscrit certaines oeuvres dans ce courant de littérature engagée: Bericht aan de rattenkoning (Avis au roi des rats, 1966) sur la révolte que les provos menèrent à Amsterdam contre les pouvoirs établis et Het woord bij de daad (La parole jointe à l'action, 1968) à propos du Cuba de Fidel Castro. Mais dans
L'avenir d'hier Mulisch montre le dernier révolutionnaire devenant le premier romantique d'une nouvelle génération qui se fuit dans les paradis artificiels et les communautés marginales.
Seul le mythe de l'écriture peut offrir une issue. La chose apparaissait déjà dans les années cinquante dans De versierde mens (L'homme paré, 1957), ensemble de récits où des personnages occupés à se détruire inclinent à être pétrifiés, ou déifiés, ce qui ne peut être réalisé que grâce à la magie de la langue, capable de vaincre le temps, la mort et le néant.
Dans Voer voor psychologen (Nourriture pour les psychologues, 1961) volume réunissant des écrits très autobiographiques, il apparaît également que seule l'oeuvre d'art peut susciter le monde mythique dans sa merveilleuse pétrification. Et c'est ici qu'il nous faut évoquer la couche mythique qui sous-tend les recueils de poèmes des années soixante-dix: Woorden, woorden, woorden (Des mots, des mots, des mots, 1973), De vogels (Les oiseaux, 1974) et, surtout, Tegenlicht (Contre-jour, 1975) qui incorpore des religions, des cultures, des archétypes divers. Typique aussi le roman Twee vrouwen (Deux femmes, 1975) où le mythe d'Orphée et d'Eurydice est reflété par une relation saphique.
En rapport avec le mythe de l'écriture, Mulisch parle volontiers d'une pensée-eurêka propre à l'oeuvre d'art. ‘Les oeuvres d'art ne sont pas les seules choses qui puissent faire surgir l'eurêka mais, quelques sentiments qu'elles éveillent, elles font toujours surgir l'eurêka’. Cette pensée-eurêka est à rapporter à la rationalisation de l'irrationnel. Cela commence par une construction très élaborée, celle du monde du livre. ‘Les livres qui ne sont pas composés d'après un schéma sont des mollusques. (...) Pour moi, un livre doit avoir une ossature. Une ossature qui ne saute pas aux yeux, il lui faut rester invisible tout en étant évidente’. C'est ainsi que l'ensemble de récits Oude lucht (Air ancien, 1977) est construit autour d'une ossature symétrique et que son texte central s'intitule du reste Symétrie. Ce texte établit un parallèle entre le grand-père et le petit-fils, un moi terriblement proche de Mulisch. A dix-neuf ans, en 1871, ce grand-père est étudiant à Prague. Il se rend à une conférence du professeur Mach ayant pour sujet la symétrie. Et cette conférence constitue le coeur du récit, lequel se trouve lui-même au coeur du recueil. En outre, la conférence s'insère d'abord dans des lieux symétriques de Prague, ensuite dans le développement symétrique élaboré autour du leitmotiv Mach. Dans Over de verbeelding (De l'imagination), repris dans le recueil d'essais Paniek der onschuld (Panique de l'innocence, 1979), Mulisch prend pour exemple Goethe qui considérait ses ouvrages comme des fragments d'une grande confession.
Bruchstücke einer grossen Konfession. Autoportrait en guise de carte de visite, mais aussi composition d'un monde langagier.
HUGO BOUSSET
Critique littéraire.
Adresse: Waterpoelstraat 71, B-1641 Alsemberg.
Traduit du néerlandais par Liliane Wouters.