Septentrion. Jaargang 12
(1983)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Notices/livresGrace a l'imagination. L'oeuvre de Jacob van RuisdaelLa peinture hollandaise du dix-septième siècle jouit d'une réputation mondiale en raison du réalisme pétri de maîtrise qui la caractérise. L'ironie du sort veut que, ces dernières décennies, ce soient précisément des historiens de l'art de nationalité néerlandaise qui mettent en question ce caractère réaliste en révélant une signification dissimulée, cachée derrière une scène perçue comme réaliste par notre regard du vingtième siècle. Tableaux de genre ou natures mortes s'avèrent de la sorte chargés d'une signification symbolique souvent porteuse de sagesse ou de quelque avertissement. S'appuyant sur de vastes recherches, l'iconologiste utrechtois Eddy de Jongh a su mettre en lumière les intentions symboliques, fréquemment didactiques, que comportent nombre de représentations dites réalistes. Chez ses collègues et étudiants de l'Université d'Utrecht, il a su progressivement modifier l'approche de l'art ancien, conversion du regard qu'il avait réussie d'emblée chez les amateurs car, avant de professer à l'Université d'Utrecht, il avait commencé sa carrière scientifique comme fureteur attitré de l'hebdomadaire autorisé Vrij Nederland (Les Pays-Bas libres). Déjà ses prédécesseurs à Utrecht, les professeurs W.S. Heckscher et Jan Emmens, avaient contribué à ce que l'on regarde l'art ancien d'un oeil nouveau. Le grand pionnier international de cette orientation iconologiste est Erwin Panowsky. Le visiteur de la première grande rétrospective jamais consacrée à Jacob van Ruisdael, qui eut lieu au Mauritshuis à La Haye en 1981-'82Ga naar eind(1), celui qui la verra au printemps au Fogg Art Museum de Massachussetts, aux Etats-UnisGa naar eind(2),
Jacob van Ruisdael, ‘Le cimetière juif’, 141 × 182,9cm (The Detroit Institute of Arts, Detroit).
ou celui qui feuillette l'un des ouvrages publiés, après des années d'études, à l'occasion des deux expositions, a bien des chances de se rendre compte que le point de vue de Panewsky et de ‘l'école d'Utrecht’ mérite l'adhésion. Tous ces ouvrages s'intitulent Jacob van Ruisdael. Les ouvrages d'étude sont de la main de Seymour Slive et ont paru en néerlandais et en anglais; l'introduction au somptueux album est due à H.R. HoetinkGa naar eind(3). Les éléments biographiques dont nous disposons sur Jacob van Ruisdael sont peu nombreux; sa personnalité nous est un mystère plus grand encore. On a établi qu'il naquit à Haarlem (Hollande septentrionale) en 1628 ou 1629 et qu'il y fut admis à la guilde Saint-Luc en 1648. Il date régulièrement ses oeuvres jusqu'en 1653, rarement après. Vers 1650, il entreprend un voyage à Bentheim et dans la région frontalière germano-allemande, riche en fôrets, probablement en compagnie du peintre néerlandais Nicolaas Berchem. Selon Arnold Houbraken, qui recueillit des informations sur les peintres néerlandais pour son ouvrage Groote schouwburgh der Nederlandsche konstschilders | |||||||||||
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Jacob van Ruisdael, ‘Cascade près d'une colline avec des cabanes’, 106,7 × 105,5 cm (Collection privée).
en schilderessen (Grand théâtre des artistes peintres néerlandais), édité en 1721, Ruisdael aurait étudié et exercé la médecine. Toutefois, il n'est pas certain que le médecin Ruisdael et le peintre Ruisdael soient une seule et même personne (Houbraken, hélas, ne semblait pas toujours bien informé). Vers 1656, il déménagea à Amsterdam, dont il acquit la citoyenneté en 1659. Il ne se maria jamais. On sait que c'était un homme religieux et qu'il adhéra à la secte protestante très stricte des mennonites. Il mourut en 1682. Jacob van Ruisdael laissa une oeuvre de plus de sept cents huiles; celle-ci ayant été réalisée en quelque trente ans, à la cadence moyenne de deux tableaux par mois, il semble hautement improbable qu'il ait pratiqué la profession de médecin. En outre, il multipliait dessins et esquisses, de préférence au crayon. Nous connaissons aussi treize eaux-fortes de sa main; de sept d'entre elles ne nous est parvenu qu'un exemplaire unique. Pour ce qui est des huiles, le début et la fin de sa période d'activité picturale se caractérisent par un recours plus fréquent à des figures humaines ainsi que par une peinture détaillée, anecdotique. Une émotivité intense - selon des normes hollandaises! - marque le long apogée artistique qui les sépare. Comme les monographies récentes reproduisent trois oeuvres différentes s'inspirant du même motif, il nous est possible de suivre de près la façon dont Ruisdael travaillait. Il y a d'abord un dessin au crayon, Le cimetière judéo-portugais à Ouderkerk-sur-l'Amstel (musée Teylers de Haarlem)Ga naar eind(4). Pour la toile qui fit si grande impression sur Goethe, en 1813, à Dresde, Le cimetière juif (Dresde, Collections d'art de l'Etat)Ga naar eind(5), Ruisdael emprunta au dessin la vue d'ensemble des six sépultures. La construction diagonale du tableau le contraignit à faire passer de la droite à l'extrême gauche une septième tombe située à l'avantplan. Dans Le cimetière juif de DetroitGa naar eind(6), la tombe isolée occupe à peu près la même place que sur la toile de Dresde, mais la perspective est très différente. Sur la toile de Dresde, une partie des ruines que l'on retrouve sur celle de Detroit se présente également sous un angle différent. En résumé: les deux tableaux sont nés de l'imagination créatrice de Ruisdael et ne constituent pas une reproduction topographiquement exacte. Que des éléments aient été esquissés de manière détaillée, mais traités ensuite de manière autonome, le visiteur du cimetière juif d'Ouderkerk-sur-l'Amstel, qui existe toujours, peut parfaitement s'en rendre compte. Les études récentes et les expositions réfutent, preuves à l'appui, l'idée que Ruisdael aurait fidèlement reproduit, pour ainsi dire portraituré le paysage hollandais du dixseptième siècle. Dans Le cimetière juif de Detroit, la ruine ressemble trop expressément à la ruine d'Egmond, que Ruisdael esquissa et utilisa à plusieurs reprises dans ses tableaux. Mais elle se situe dans un paysage imaginaire. A proximité des tombes se trouvent deux troncs d'arbres morts, tandis que les arbres touffus un peu plus loin ont l'air débordants de sève. Il est probable que Ruisdael a voulu rappeler de la sorte à ses contemporains le Memento mori, ‘Songez que vous devez mourir’. Significatif aussi est l'endroit où Ruisdael a signé sa toile: sur la tombe de gauche que, du point de vue de la composition, un arbre mort relie aux autres. Pourtant, l'eau d'un ruisselet court parmi les tombes et un arc-en-ciel - plaqué sur la terre, au point de s'y intégrer - fait envisager une issue favorable. Tout comme dans le poème Air de Jan Luiken, poète lyrique hollandais du dixseptième siècle, le ruisseau qui passe se trouve | |||||||||||
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Jacob van Ruisdael, ‘Champ de blé près de la côte’, 61 × 71 cm (Musée Boymans-van Beuningen, Rotterdam).
mis en rapport avec l'éphémère de l'existence, avec ‘la mort dans les ténèbres’Ga naar eind(7). Le cimetière juif ne nous apprend pas seulement comment Jacob van Ruisdael construisait ses tableaux; grâce à son imagination créatrice, il nous apprend quelle leçon il entendait transmettre à autrui. Ruisdael est connu comme paysagiste. A l'intérieur de cette spécialité, il était plus précisément peintre de vues de forêts, de dunes et rochers, de ruines, de cascades, de marines, de vues urbaines et de paysages d'hiver. A chaque nouvelle confrontation, on se rend mieux compte que ses toiles sont composées de manière autonome, que c'était l'esprit, et non pas l'oeil, qui présidait à l'acte créateur. Ainsi devait-il les impressionnants rochers de Cascade près d'une colline avec des cabanes (actuellement dans une collection privée) à Allard van Everdingen, rentré en 1644 de Scandinavie et venu s'établir à Amsterdam quatre ans avant Ruisdael. La colline et les cabanes, en revanche, peuvent être considérées comme provenant de ses observations. Ruisdael, à chaque fois, réussit à combiner des éléments peints méticuleusement - rochers, arbres, un tronc tombé à la renverse - à l'avantplan, avec un vaste panorama ou une échappée sur les lointains. Il manifeste une prédilection pour les amoncellements de nuages dramatiques; dans plusieurs toiles, les ciels aux nuages menaçants occupent jusqu'aux trois cinquièmes, ou même jusqu'aux trois quarts de la surface disponible, comme chez son compatriote de la génération antérieure Jan van Goyen (1596-1656). La contribution de Jacob van Ruisdael au paysagisme hollandais du dix-septième siècle comporte principalement:
Si peu que nous sachions de sa personne, l'oeuvre de Jacob van Ruisdael nous permet de conclure que l'artiste aspirait à une synthèse, à une conception cohérente du monde. Il se ralliait au ‘Pantha rei’ du philosophe Héraclite, qui affirmait que la vie est perpétuel mouvement et que la lutte est au coeur même de la nature. C'est ce qui fait de Ruisdael un représentant du baroque hollandais, le plus important après Rembrandt. JOSÉ BOYENS NL-Groesbeek.
Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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