Notices/livres
Jeanne Buytaert, traductrice
Jeanne Buytaert.
Trois livres de la même maison d'édition, La Renaissance du Livre à Bruxelles, et traduits par la même traductrice, madame Jeanne Buytaert, qui trouvent le chemin de mon bureau à quelques jours d'intervalle, voilà qui doit bien être le fait du hasard.
Jeanne Buytaert allonge ainsi, en la diversifiant encore davantage, la liste déjà considérable de ses traductions françaises de prose et de poésie néerlandaises. Dire que l'ensemble des oeuvres qu'elle a transposées soit représentatif des lettres néerlandaises serait exagéré. Indépendamment de la question de savoir si tel objectif est réalisable en soi par un seul et même traducteur, nous constatons que, dans son choix, Jeanne Buytaert se limite à la littérature flamande ou sud-néerlandaise et qu'elle se laisse apparemment guider par ses affinités personnelles plutôt que par la réputation, fondée ou non, des auteurs. A elle seule, elle a ainsi rendu accessible aux lecteurs de langue française un large éventail de textes hétérogènes.
Le premier des trois volumes nouvellement parus est le Choix de poèmes d'André Demedts, qui prend place dans la Collection bilingue de l'éditeur précité. Si nous admettons que la poésie se laisse effectivement traduire, j'imagine que les poèmes de Demedts doivent être encore parmi les plus faciles à transposer dans un autre idiome. Ils se présentent comme un flot de méditations, lent et méandreux comme les rivières du pays natal du poète, où, par-ci, par-là, un vers soudain acquiert un reflet plus rougeâtre, resplendit avec une intensité accrue, conférant une chaleur toute particulière à l'ensemble. En revanche, leur forme est quelconque, et rien que pour cette raison, il doit être attrayant, pour un traducteur, de travailler sur cette poésie.
Né en 1906 à Sint-Baafs-Vijve, aux bords de la Lys, en Flandre occidentale, le poète est attaché par toutes ses fibres à son pays, un coin de la Flandre rurale qui, dans son souvenir et dans son esprit créateur, a pris la forme de la Terre promise... et perdue. Sa nostalgie est la source de l'inguérissable tristesse que lui inspire l'imperfection humaine, de sa vulnérabilité d'individu inaccompli et insatisfait et de sa résignation toute personnelle:
‘Je sais qu'il vaudrait mieux
charger l'ennemi avec fougue,
lutter, soudé à ma monture,
servir une cause en tous cas.
Mais cela ne se fait que dans les rêves,
l'iniquité du monde ne connaît pas de trêve...’
C'est pourtant le paradoxe du poète André Demedts que ce qui est prétendument entrepris en vain, ce qu'on dit sans importance - ‘cela n'a pas d'importance’ est le titre d'un de ses romans - ne l'empêche pas, tant s'en faut, de déployer une activité intense aussi bien comme écrivain fécond que comme conférencier fort sollicité et protagoniste du Mouvement culturel flamand. C'est précisément cette tension entre la vocation collective et le sentiment individuel d'impuissance, de déréliction, qui confère à cette poésie sa sonorité propre, irremplaçable, y compris en dehors de la Flandre rurale, et jusque dans la langue si fondamentalement différente qu'est le français.