Septentrion. Jaargang 9
(1980)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
[pagina 89]
| |
‘L'attaque’ par P. Bruegel l'Ancien.
journaliste de la radio française. Intrigué par l'ascendance de l'écrivain, il lui demanda si elle se sentait ‘belge, flamande ou française’. Faussement candide, Yourcenar répondit: ‘Oh, vous savez, la Belgique n'est qu'une fiction administrative de 1830’. Une réalité à peine existante, en somme... Pourtant, à peine remise des festivités du millénaire de Bruxelles (979-1979), la Belgique fête cette année-ci le cent cinquantième anniversaire de son indépendance. A cet effet, toute une série d'initiatives et de manifestations ont été mises sur pied, que vient encore doubler, par ailleurs, la célébration du millénaire de la ville de Liège, l'ancienne principauté qui a toujours fait un peu cavalier seul dans l'histoire de nos contrées. En cet automne 1980, la sixième biennale d'Europalia s'inscrit, elle aussi, au coeur des manifestations consacrées au cent cinquantenaire. Feuilletons-en le programme pour indiquer quelques points qui se situent plus ou moins dans ce que nous appellerions ‘l'optique Septentrion’. Un premier volet se compose d'événements artistiques proposés par les huit autres pays membres de la Communauté européenne. Les Pays-Bas nous ont apporté une exposition Belgique/Pays-Bas - Art contemporain après 1945, consacrée aux contacts entre les artistes des deux pays à une époque qui a vu se succéder Cobra, le Nouveau réalisme, les Attitudes, la Poésie visuelle, etc. Le programme national comprend tout d'abord une vingtaine d'expositions, qui ont commencé dès le mois d'avril. La plus importante est certes celle consacrée aux Bruegel, une dynastie de peintres assortie d'un vaste éventail d'expositions parallèles, d'animations, de conférences, qui ne manqueront pas d'attirer une foule de visiteurs étrangers. Vincent van Gogh et la Belgique illustre la vie de Van Gogh en pleine crise spirituelle parmi les mineurs du Borinage, où il découvrit sa vocation de peintre. Art Nouveau en Belgique (9 déc. - 15 févr. 1981) sera la première exposition exhaustive
‘Desidia - La paresse’ par P. Bruegel l'Ancien.
sur les différentes formes d'expression de l'art de cette époque. Belgique, terre de rencontre, exposition itinérante en France depuis le mois de mars, où elle s'arrête à Lille (22 sept. - 9 oct.) et à Boulogne-sur-Mer (14-31 oct.) avant d'atteindre Bruxelles (29 nov. - 28 déc.). Saint-Benoît et ses moines dans les anciens Pays-Bas (25 oct. - 4 jan. 1981), organisée à l'occasion du quinzième centenaire de la naissance du ‘patron de l'Europe’, présente l'histoire du monachisme bénédictin dans nos régions. Puis, il y a encore le monde du design, l'information illustrée, la caricature politique, Vies de femmes, Art et photographie, etc. Le 19 septembre, une représentation de La muette de Portici de Daniel François Esprit Auber devait inaugurer un vaste programme musical composé essentiellement de musique belge. Hélas, contrairement à ce qui fut le cas le 25 août 1830, le chef d'orchestre déclara forfait au tout dernier moment et la muette n'appela point à la révolution en chantant ‘Amour sacré de la patrie...’ Le volet théâtre comporte une cinquantaine de spectacles dans l'ensemble du pays. Du côté flamand, signalons entre autres, à Bruxelles, la création de Phaedra d'Hugo Claus, d'après Sénèque, et celle d'Au bouillon belge de Walter van den Broeck, qui s'en prend sur le ton comique à nos déboires communautaires en réunissant pour une question d'héritage, au café-restaurant du nom précité, un paisible Flamand, son frère qui a fait carrière en Wallonie et leur soeur émigrée à Bruxelles. Le collectif Internationale Nieuwe Scène (Nouvelle scène internationale) présente son nouveau spectacle De herkuls (Les hercules) et l'acteur Jan de Cleir joue le spectacle pour un seul acteur Jan zonder Vrees (Jean sans peur) qu'Hugo Claus écrivit à son intention. Du côté francophone, on note plusieurs pièces des auteurs flamands écrivant en français Maurice Maeterlinck, Michel de Ghelderode et Paul Willems. Au Palais des beaux-arts de Bruxelles, deux librai- | |
[pagina 90]
| |
ries présenteront quatre-vingts auteurs de langue néerlandaise et de langue française, notamment par des brochures spéciales. Un ‘musée sentimental’ et des films littéraires encadreront des animations théâtre-poésie très variées ainsi qu'une série de grands débats littéraires. | |
Une voix qui tombe...En novembre 1980 disparaîtra la revue flamande De Periscoop (Le périscope), trente ans après la parution de son premier numéro à titre de feuille d'information de plusieurs maisons d'édition importantes de Flandre et éditée par les éditions Elsevier-Bruxelles. De ‘Miroir de la vie littéraire et artistique’ sous la direction de R.F. Lissens, il devint après 1959, sous le nouveau rédacteur en chef Frans van den Bremt, un ‘mensuel d'art et de culture’ qui consacrait plus d'attention aux arts plastiques. La revue s'appuyait sur un groupe politiquement et philosophiquement pluraliste de collaborateurs connus, phénomène assez rare dans la Flandre de l'époque. Des comptes rendus traditionalistes y voisinaient avec des conceptions artistiques modernistes et des analyses de poésie d'avant-garde, tout en laissant une page aux méditations d'un célèbre ‘fumeur de cinéopium’. En 1962 et en 1965, De Periscoop fut repris par une autre maison d'édition. A partir de 1970, la concurrence de publications plus générales qui, à leur tour, accordaient plus d'intérêt aux différents secteurs artistiques se fit sentir plus lourdement et nécessita déjà une première opération de sauvetage en 1974. | |
O roi...!Il y a dix ans, Hugo Claus fit jouer une pièce sur Léopold Il, sous-titrée ‘29 scènes de l'antiquité belge’; elle ne pouvait être représentée à Bruxelles. Cette charge à la shakespearrienne, dénuée de tout respect, contre le roi aventurier incompris, homme rusé et sans scrupules, avide de pouvoir, d'argent et de femmes, qui se lança dans l'‘épopée’ congolaise, se situe parmi les premières pièces et adaptations à travers lesquelles l'auteur se proposait de secouer le public, de réveiller en lui le sens de la révolte, en démasquant et en démystifiant une série de valeurs de notre civilisation. Claus la classait parmi ses meilleures pièces, mais aux yeux de la critique, la caricature était trop simpliste: devenu marionnette d'une satire, ce roi de cabaret n'offrait guère d'intérêt humain. Au mois de juin 1980, le Théâtre de la Balsamine a présenté De la vie et l'oeuvre de Léopold II, dans une adaptation française de Marie Hooghe, sous un vaste chapiteau installé dans la cour de l'ancienne caserne (!) des Grenadiers à Bruxelles. Ici aussi, le texte, la parodie et la dérision semblent n'avoir enthousiasmé que modérément les spectateurs et les critiques, qui étaient cependant unanimes à souligner l'impressionnante et efficace mise en scène due à Martine Wijckaert. | |
In memoriam Emile Langui.Un grand et influent critique d'art nous a quittés. Né à Bruxelles de parents gantois, le 31 octobre 1903, Emile Langui fit des études d'histoire de l'art et d'archéologie et devint professeur avant d'assumer d'autres fonctions administratives. Enthousiasmé par James Ensor et les expressionnistes flamands, il s'en fit le défenseur, à partir de 1931, dans plusieurs journaux - notamment le quotidien socialiste gantois Vooruit - et périodiques. Plus tard, il plaida tout aussi éloquemment en faveur du surréalisme et de l'art moderne international en général. Chef du Service de propagande artistique du ministère de l'Education nationale à partir de 1946, Langui lutta pour que le monde administratif stimule la promotion du talent artistique, organisa de nombreuses expositions internationales et favorisa la diffusion de l'art belge à l'étranger. En 1956, il devint directeur général des beaux-arts. Il fut secrétaire général des exposions d'art à l'Expo 58. Il termina sa carrière en tant qu'administrateur général au département de la Culture néerlandaise. La personnalité de Langui, sa compétence, son goût sûr, une grande honnêteté face à la qualité artistique et un charme indéniable firent de lui un excellent trait d'union entre artistes, collectionneurs et mécènes, musées et galeries d'art, autant de milieux différents qui surent respecter en lui le connaisseur, l'homme et l'ami. Signalons parmi ses publications: Paul Delvaux, Vincent van Gogh, Gust de Smet (1945), Constant Permeke (fr., 1950), Marino Marini (1954), Les sources du XXe siècle (coll. 1961), Frits van den Berghe (fr., 1968), L'expressionnisme en Belgique (1970), Portraits flamands du XVe au XVIIe siècle (1971) et Octave Landuyt (fr., 1979), dont José Boyens rendait compte dans le numéro précédent de Septentrion. Langui était notamment membre correspondant de l'Académie des beaux-arts de l'Institut de France. Ses yeux se refermèrent définitivement sur son musée imaginaire le 24 juillet 1980. | |
Willem M. Roggeman.Willem M. Roggeman, né en 1935, est avant tout l'auteur d'une dizaine de recueils de poèmes, dont le premier parut en 1957. Appartenant à la génération des postexpérimentalistes, il revient à une poésie nettement plus égocentrique, où le moi, profondément isolé dans un environnement hostile, s'adonne à une introspection nostalgique et foncièrement pessimiste. Il souffre de l'incommunicabilité, de l'impuissance et de l'insuffisance humaine, et se trouve aux prises avec la présence corporelle, l'aspect charnel. Cette poésie se carac- | |
[pagina 91]
| |
térise par une grande virtuosité au niveau de l'image. A partir du quatrième recueil, un certain dépouillement s'instaure, qui aboutira à une poésie plus concise, de plus en plus réduite à l'essentiel. Le ‘moi’ quelquefois se tient au second plan. La fuite dans le rêve se fait plus insistante. Le doute s'instaure, provoquant une certaine résignation, qui s'exprime souvent en des vers frappés en aphorisme. Face au sentiment d'impuissance, le poète se montre plus sarcastique, plus cynique. Il n'en poursuit pas moins sa lutte pour la préservation de l'individuGa naar eind(1). En 1963, Roggeman publia son premier roman, qui vient de paraître en français, Les centaures, soustitré ‘une autobiographie’Ga naar eind(2). On y retrouve le personnage, les thèmes et les jeux d'images exprimant éminemment les états d'âme d'un adolescent à la recherche de lui-même dans le dédale de ses doutes, ses angoisses, sa solitude. Il y a Chris, Jen, l'inconnue espagnole, mais c'est chez Ellen que le protagoniste pousse le plus loin la quête de l'autre à travers l'approche corporelle. A l'issue de cette ‘éducation sentimentale’, qui le fait souffrir, il abandonnera l'optique égocentrique pour souhaiter la bienvenue à Mika, une jeune Grecque, ‘la bienvenue dans la presqu'île de (s)on silence’. ‘Les centaures’, explique Jan Walravens dans l'avant-dire, ‘sont dès lors le symbole de tout ce qui l'attachait à lui-même, de tout ce qui, furieusement, bruit encore dans son sang. Et ce seront précisément ces mêmes centaures qui lui feront connaître la jeune fille par laquelle il sera délivré de son obsession’.
Willy Devos. |
|