roles, de principes honorables et, si possible, de citations extraites de la Bible.
Citons encore Christopher Lasch: ‘La politique dégénère en une lutte non pour l'amélioration des conditions sociales mais pour l'autoréalisation des hommes politiques. Dans ce combat, les riches et les puissants s'avèrent toujours très habiles à assimiler leur position prédominante à de nobles principes, de sorte que toute opposition contre ceux-ci est taxée non seulement de crime contre l'Etat mais contre l'humanité même. Les classes dirigeantes se sont toujours efforcées d'inculquer à leurs subordonnés que l'exploitation et la régression sur le plan matériel sont imputables à eux-mêmes, alors qu'elles se convainquent en même temps que leurs propres intérêts matériels coïncident avec l'intérêt général’.
Une politique répondant à ce signalement - comme le fait éminemment la politique néerlandaise - devient l'un des aspects les plus saillants de ce que Guy Debord a appelé La société du spectacle (1967): une société qui remplace ‘la satisfaction des premiers besoins humains sommairement reconnus par une fabrication ininterrompue de pseudo-besoins’ et où la politique réelle fait place à une politique toujours en retard sur les faits, sans impact réel, et qui se contente de jouer la comédie devant une masse dépolitisée et dépourvue de tout sens critique que les medias à l'audience la plus large s'ingénient à maintenir dans l'ignorance et le désintérêt. Aux Pays-Bas, cette sorte de comédie pseudo-politique a pris une dimension qui, depuis longtemps, dépasse les limites du vraisemblable.
Quand, en politique et dans les entreprises, des dirigeants n'ont plus pour seul objectif que de vendre leur leadership au public, ils renoncent à des critères intelligibles permettant de définir leurs objectifs plus spécifiques et de mesurer leur éventuel succès ou échec. La propagande s'efforce de créer, au niveau du public, une notion de crise chronique qui, à son tour, servira de justification à l'élargissement des compétences du pouvoir exécutif et au secret dont celui-ci s'entoure. C'est là encore, quelque peu résumée, une affirmation de Christopher Lasch.
Il est assez remarquable que ces définitions s'appliquent tout particulièrement aux Pays-Bas à l'issue d'une période où l'on attendait précisément le salut de l'idée de démocratisation qui semblait s'être emparée de tant d'esprits depuis la fin des années soixante.
Comme nous l'avons déjà fait observer précédemment, l'explication doit en être cherchée en grande partie dans le fait qu'aux yeux de la plupart des Néerlandais qui s'étaient lancés avec enthousiasme dans la lutte de rénovation, celle-ci semblait pouvoir coïncider pour ainsi dire sans problèmes avec une acceptation naïve des acquis de la société de consommation, dont les avantages étaient ressentis comme des valeurs humaines incontestables. Très nombreux étaient ceux qui avaient tendance à perdre de vue que tous ces avantages matériels s'acquéraient au prix de la pauvreté et de l'exploitation en d'autres parties du globe terrestre. Même chez ceux qui en étaient conscients régnait la conviction optimiste que cet état de choses pourrait radicalement s'améliorer sans que pour autant personne aux Pays-Bas dût se passer de quoi que ce fût. On se plaisait à dénoncer les méthodes auxquelles recouraient les grandes entreprises et les fournisseurs de capitaux, mais on était moins conscient du profit qu'on en tirait soi-même, voire de la nécessité d'en céder une partie. Il y a deux ans, l'archevêque Arns de Sao Paulo déclara que les grèves menées par les ouvriers dans les grandes entreprises - notamment néerlandaises - de sa ville auraient été couronnées de succès si ceux-ci avaient reçu l'appui de leurs collègues d'Europe occidentale. Quand, à cette occasion, lors d'une réunion de communes de base aux Pays-Bas, fut posée la question de savoir pourquoi les membres n'avaient jamais développé la moindre initiative dans ce sens au sein des conseils d'entreprise et des syndicats, on entendit toutes sortes de
déclarations qui semblaient autant de faux-fuyants, mais on ne se montrait guère disposé à céder une partie de sa prospérité pour alléger la pauvreté ailleurs. Cette disposition ne s'est certainement pas accentuée maintenant que le chômage frappe de toutes parts et que l'on demande partout des sacrifices en faveur de l'augmentation des revenus d'entreprises déjà largement soutenues par les pouvoirs publics et qui, comme il ressort de rapports officiels, pratiquent la fraude fiscale sur une échelle gigantesque ou se soustraient de manière légale aux impôts, tout cela au détriment de la communauté. Il n'est pas question, pour autant, de quelque contrepartie sous la forme de création de nouveaux emplois ou d'avantages immatériels tels qu'une participation accrue des travailleurs dans les entreprises. De leur côté, ni le gouvernement ni les partis gouvernementaux ne manifestent aucune intention de soutenir les processus de démocratisation susceptibles de porter atteinte au ‘droit divin des patrons’.
Du reste, la pratique a abondamment démontré que la démocratisation n'est pas le remède miracle permettant de réformer la société si ce n'est par un coup de baguette magique, du moins par un incessant processus de progrès. Non que le principe soit mauvais, mais les défenseurs actifs de la démocratisation l'ont trop infléchie en fonction de leurs propres intérêts ou abandonnée à des personnes qui l'ont subordonnée à leurs propres ambitions. Comme Raymond Aron le constata dès