Septentrion. Jaargang 9
(1980)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdLion toujours pas mort?Une nouvelle édition du roman Le lion de Flandre d'Henri Conscience nous parvientGa naar eind(1). Quelques informations très sommaires sur l'auteur en couverture. Le traducteur n'est pas mentionné. Pas d'introduction pour situer l'ouvrage dans son époque et en souligner l'importance. Dommage pour Conscience, et pour le lecteur d'aujourd'hui. Replongeons-nous donc dans ce livre qui sut égayer nos jeunes années... L'histoire, quelquefois, ne manque pas d'humour. En 1830, dans les semaines ardentes de la révolution belge, Hendrik Conscience, jeune Anversois, fils d'un Français ancien officier de marine de Napoléon établi à Anvers où il devint contremaître du port, s'engagea comme volontaire dans les troupes belges et contribua modestement à chasser les Hollandais dans le combat pour la liberté d'un nouvel Etat. La diplomatie européenne reconnut l'indépendance de la Belgique, prédestinée à devenir un mini-Etat français en dépit de la présence, sur son territoire à l'histoire très mouvementée et où plusieurs occupations s'étaient succédé depuis le seizième siècle, d'un groupe majoritaire de la population appartenant à l'ethnie néerlandaise mais économiquement appauvri et pour ainsi dire inexistant culturellement. Quittant l'armée au début de 1836, Conscience retrouve ses amis anversois dans la nouvelle société littéraire De Olijftak (Le rameau d'olivier). Celle-ci réunissait de jeunes Flamands enthou- | |
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siasmés par la révolution et le jeune Etat belge, au sein duquel ils se proposent de favoriser le développement d'un sentiment populaire d'identité, de nationalité flamande. Sous l'influence notamment du romantisme européen, et plus spécialement français, ils se tournent vers le - très lointain - passé glorieux de la Flandre dans le but de réveiller les masses incultes, d'inculquer la fierté au peuple flamand et de l'inciter ainsi à sortir de sa déchéance et de sa léthargie. Ayant débuté par de médiocres vers en français, Conscience écrivit son premier roman, In 't wonderjaer (1837 - L'année des merveilles), en néerlandais parce que: ‘Je trouve dans cette langue quelque chose de mystérieux, de profond, de grave, oui, même quelque chose de sauvage. Si j'acquiers jamais quelque puissance, je m'appliquerai encore entièrement à la littérature flamande’. Du coup, il rompit avec la prose mineure des livres populaires tout en en conservant la forme du récit, devint le père du roman flamand et contribua ainsi au relèvement national et culturel de son peuple. Avec son troisième roman, De leeuw van Vlaenderen (1838 - Le lion de Flandre), Conscience fit mouche. Il relate un épisode de l'histoire de Flandre de 1280 à 1302. Philippe le Bel est maître du pays, où s'opposent leliaerts, partisans du lis, patriciens soutenant le roi de France, et klauwaerts, gens des griffes (du lion aux armes de Flandre). Des impôts extraordinaires sont levés pour payer les festivités de la Joyeuse Entrée à Bruges. Le peuple se révolte sous la direction de deux doyens de guilde, le tisserand Pierre de Coninck et le boucher Jean Breydel. Le 18 mai 1302, ceux-ci envahissent nuitamment la ville depuis Damme et Aerdenburg, où ils s'étaient retirés avec leurs hommes. Quiconque ne peut crier les mots Schild en vriend est un Français et doit être mis à mort sans pitié. A l'issue de ces Matines brugeoises, la ville a reconquis sa liberté et l'esprit de rébellion se répand dans toute la Flandre. Une partie des nobles français se réfugièrent à Courtrai. Les deux camps s'organisèrent pour le grand affrontement, qui eut lieu le 11 juillet 1302 dans la plaine de Groeninge et se solda par une défaite cuisante pour les Français. Autour de ces faits historiques, puisés dans les chroniques, Conscience tisse de main de maître sa version romancée des événements. Tout y est pour tenir le lecteur en haleine: une belle brochette de personnages bien campés, avec le roi de France et Jeanne de Navarre, Charles de Valois et le vaillant comte Jacques de Châtillon du côté de la noblesse française, et Guy de Dampierre, comte de Flandre, et son courageux fils Robert de Béthune, portant ‘sur la poitrine, au centre d'un écusson en forme de coeur, le lion de Flandre, de sable sur champ d'or’, du côté flamand, tous entourés bien sûr d'une cohorte de seigneurs; côté peuple, on se masse derrière Jean Breydel et Pierre de Coninck, aux tempéraments différents, mais unis dans l'action; décors: les villes de Bruges et de Courtrai, les châteaux et forêts de Wynendaele et de Male; grands sentiments élémentaires: fidélité, honneur, lâcheté, traîtrise, justice, courage, et bien sûr une histoire d'amour à rebondissements multiples qui, à l'avant-dernière page, se termine par le mariage de Mathilde de Béthune et Adolphe de Nieuwland (Terre neuve, allusion à des lendemains meilleurs!). Ne manquent pas non plus les luttes d'influence et discussions de tactique, introduisant des idées politiques, savamment dosées mais délibérément didactiques. Sublime, De Coninck disant: ‘...l'amour de la patrie m'inspire seul’ et ‘...la conservation de la perle de la Flandre est pour moi une tâche plus sacrée’! Ce roman cristallisa manifestement la volonté de la Flandre de se maintenir en tant que peuple et de s'affirmer en tant que communauté distincte. Dans les actes héroïques des ancêtres, les contemporains pouvaient puiser l'enthousiasme et l'idéal pour conquérir une nouvelle grandeur. Construit avec grande souplesse et mené tambour battant, le récit respire un souffle épique, expliquant aussi bien l'enthousiasme national qu'il soulevait que son succès de best-seller traduit dans de nombreuses langues (où, du reste, ne joue plus le facteur du néerlandais assez caduc de Conscience). Le lion de Flandre devint une véritable Bible flamande, livre de chevet de toute une jeunesse idéaliste de l'époque, merveilleux roman d'aventures pour les jeunes lecteurs des générations ultérieures jusqu'à ce que les héros supersoniques des feuilletons télévisés viennent supplanter les chevaliers en armure et les hommes du peuple brandissant leur goedendag. Une scène du nouveau film flamand Filasse, d'après le roman d'Ernest Claes, montre à quels excès pouvait mener cette lecture... Dans un épilogue, Conscience dresse le bilan de la bataille et retrace une série de faits historiques ayant trait aux héros de son livre, du lendemain de la célèbre bataille des Éperons d'or (trouvés sur le champ de bataille) à la mort de Roland de Béthune, le 18 septembre 1322. La présente édition ne reproduit pas l'exhortation qui clôt les éditions néerlandaises: ‘Toi, Flamand, qui as lu ce livre, considère par les faits glorieux qu'il relate ce que la Flandre était jadis, ce qu'elle est maintenant et ce qu'elle redeviendra si tu oublies les exemples sacrés de tes aïeux’. On aimerait connaître l'avis de Conscience sur les chicaneries constitutionnelles, communautaro-régionales et autres, devenues aujourd'hui le champ de bataille des descendants lointains de ceux qui, jadis, répondirent à son appel... Se référant à une chanson | |
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des années soixante, ‘...le lion est mort ce soir...’, qui donna lieu à des blagues belges à usage interne, on pourrait lui envoyer un télégramme: ‘Lionceaux toujours pas morts. Stop.’. Pour le reste, Conscience tint parole: il publia une centaine de titres: romans historiques, romans sociaux assez moralisateurs, histoires campinoises, récits folkloriques, le premier roman d'aventures (Goudland, 1862, Le pays de l'or), une histoire de la Belgique et un volume de mémoires. C'est lui, en effet, qui ‘apprit à lire à son peuple’, comme nous lisons sur sa tombe. Son oeuvre, à titre de littérature populaire, connut un grand succès en France, où l'éditeur Michel Lévy alla jusqu'à publier ses OEuvres complètes. Mais cela est une autre histoire.
Willy Devos. |
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