conservateurs, non seulement en matière religieuse et liturgique mais tout autant, voire principalement, sur le plan social et politique, répandaient l'image alarmante d'une Eglise totalement déconfite, sujette à l'anarchie la plus complète, où tout le monde n'en faisait qu'à sa tête et qui jetait par-dessus bord toutes les vérités de la foi. La perspective du changement provoquait une angoisse panique. Que l'Eglise puisse jamais adopter une attitude critique à l'égard du système politique et social en vigueur où l'élite, confessionnellement organisée, de notables et de possesseurs de capitaux et de biens détient le pouvoir, cette idée était considérée comme une hérésie blasphématoire. Et puis, il y avait le vaste groupe de catholiques routiniers qui, pour des raisons d'ordre idéologique et à la suite des lourdes pressions auxquelles ils étaient soumis, avaient appris que la docilité devant l'Autorité avec majuscule était la première vertu ecclésiastique et sociale. D'aucuns avaient prévu dès après la guerre que ce catholicisme de routine s'effondrerait du moment où s'affaibliraient la pression et la discipline sociales qui en constituaient le harnais. Il était évident aussi qu'une partie des fidèles traditionalistes, et notamment les plus âgés d'entre eux, ne sauraient plus où donner de la tête lorsque toute une série de choses auxquelles ils avaient cru fermement se trouvaient mises en question. A cet égard, il est frappant que dans les années postconciliaires, nombre de catholiques se détournèrent de l'Eglise plutôt que du parti politique qui prétendait représenter la fraction catholique de la
population. Mais il est tout aussi indéniable que dans un cercle assez large fleurissait une sorte de christianisme de la facilité, adoptant des idées progressistes en tant que slogans à la mode sans pour autant être disposés à les concrétiser dans la vie quotidienne. Des acquis généralement basés sur des méthodes productrices et commerciales non chrétiennes ayant cours dans une société de consommation et de prospérité qui ne s'intéresse que très modérément au véritable bien-être humain furent trop facilement embrassés comme étant ds valeurs chrétiennes. Le résultat en fut que la rénovation religieuse aux Pays-Bas, qui ne se limitait pas au seul bloc catholique, n'eut guère de prise sur le système politique et social à empreinte confessionnelle.
Par ailleurs, une enquête menée par l'hebdomadaire De Tijd et la radio-télévision catholique, pubiée sous le titre présomptueusement autoritaire Opnieuw God in Nederland (Dieu de retour aux Pays-Bas), a démontré que le sentiment religieux des Néerlandais s'affaiblit moins qu'il ne se modifie et qu'en tout cas il se caractérise par un dégoût et une indifférence pour les conflits souvent fondés sur des chicaneries entre la théologie romaine et le monde moderne. Il y a dix ans déjà, le célèbre prêtre néerlandais et philosophe de la culture, Han Fortman, écrivit ‘...que nous nous trouvons sur une voie radicalement mauvaise. Elle a contribué à creuser l'écart entre l'Eglise et le monde et à former des fidèles incapables d'accepter une évolution de la doctrine, parce qu'elle minerait leur propre sécurité. Elle a fait perdre de vue les problèmes réels, dont le principal est celui de savoir comment la croyance en Dieu sert le sentiment de vie quotidien des hommes’.
Le risque est considérable que la politique épiscopale aux Pays-Bas, sous la curatelle du Vatican, ne soit à nouveau axée sur et déterminée par les desiderata certes pas exclusivement spirituels des groupes allergiques à toute évolution doctrinaire et à toute application sociale de celleci, qui compromettrait leur propre sécurité. Déjà avant l'ouverture du synode, un groupe de cent cinquante catholiques très conservateurs, principalement des milieux politiques, bancaires, patronaux, médicaux, judiciaires et de la noblesse, avait adressé au pape une missive lui demandant d'intervenir énergiquement dans ‘la déchéance rapide et considérable de la foi catholique aux Pays-Bas, qui s'est perpétrée sous le couvert de rénovation’. Un autre groupe analogue, sous la direction de l'ancien député d'extrême droite Klaas Beuker, a lancé une action Trouw aan de paus (Fidélité au pape). Une de ses circulaires qualifie l'Eglise néerlandaise de ‘grand amas de ruines’. Entre-temps, un homme d'affaires extrêmement conservateur, ayant déjà essuyé quelques échecs comme éditeur, se propose de lancer un nouvel hebdomadaire s'adressant ‘à tous les catholiques’ dans un esprit d'obéissance absolue et aveugle au pape et aux évêques.
En fait, les évêques sont pris entre deux feux. S'ils publient, comme ils le firent pendant le dernier carême, un message épiscopal où ils prennent position contre un système économique considérant uniquement le travailleur comme élément de production et article à jeter, critiquant ainsi la politique de libéralisme de l'actuel gouvernement, ce document se heurte au silence unanime des partis politiques confessionnels et des ‘inquiets’ qui appellent une autorité plus forte mais estiment en même temps que l'Eglise n'a pas à s'occuper d'affaires profanes. De son côté, le mouvement de base largement répandu aux Pays-Bas reproche aux évêques que leur politique n'est pas conforme à leurs principes et qu'ils ‘ont renoncé à leur tolérance à l'égard de l'expérience religieuse aux Pays-Bas’, comme l'exprimait le professeur Schillebeeckx lors d'une réunion du mouvement à Amsterdam.
Soumis au mois de décembre dernier, à Rome, à un procès inquisitorial sur base d'accusations anonymes d'hérésie Schillebeeckx est précisément l'enjeu d'une lutte acharnée qui se dispute