La Palme d'or pour Raoul Servais.
Le Flamand Raoul Servais, réalisateur de dessins animés, s'est vu décerner, pour son film Harpya, la Palme d'or pour le meilleur court-métrage au dernier Festival international du cinéma de Cannes.
Après que ses oeuvres antérieures, depuis De valse noot (1963 - La fausse note) à Het lied van Halewijn (1975 - Chanson d'Halewyn) lui avaient déjà valu des prix à tous les festivals, de Chicago à Moscou, le prestigieux festival de Cannes a enfin pleinement reconnu le talent de ce ‘poète du cinéma d'animation’. Cette distinction n'étonnera aucune personne tant soit peu familiarisée avec la qualité supérieure de l'oeuvre de Servais. On se demandait cependant à quel procédé d'animation il aurait recours cette fois-ci. En effet, Servais se propose pour chaque nouveau film d'expérimenter de nouvelles techniques graphiques et cinématographiques. Pour Harpya, il choisit de combiner des prises de vue avec décors et personnages réels avec des images dessinées.
Le récit se trouve tout à fait subordonné à l'expérience qu'il voulait tenter. Servais l'emprunta à la mythologie grecque, où des Harpies, monstres ailés au bec et aux griffes crochus, au corps d'oiseau rapace et à tête de femme importunaient et faisaient disparaître les hommes.
Dans le film, un certain monsieur Oskar, pendant sa promenade vespérale, est témoin d'une agression. Un homme est sur le point de noyer sa victime dans une fontaine. Oskar abat l'agresseur et constate, à sa satisfaction, qu'il a sauvé la vie à une authentique Harpie. Plein de prévenances et de tendresse à l'égard de l'être mythologique, il l'emmène chez lui, où il l'entoure des meilleurs soins. Bientôt, la Harpie se révèle comme un véritable rapace qui se jette avec voracité sur la nourriture d'Oskar, le tyrannise et l'humilie. Quand Oskar fuit enfin sa maison, elle le rattrape. Ne sachant plus où donner de la tête, il décide de tuer le rapace. Au moment où il veut mettre son projet à exécution, il est à son tour abattu par un individu passant là par hasard...
Le choix d'une Harpie mi-femme mi-oiseau comme personnage principal se prêtait très bien au procédé de trucage que voulait essayer Servais. Insatisfait de la manière dont les studios d'animation commerciaux mélangent des prises de vue normales avec des éléments d'animation, il conçut un procédé tout nouveau, qui aboutit à un résultat prodigieux. Il réalise des prises de vue d'acteurs et de sites ou de lieux sur fond noir. Par l'intermédiaire d'un miroir spécialement conçu, il les projette, image par image, sur des décors et des personnages dessinés. Harpya devient ainsi un être à visage humain, aux seins nus, au corps couvert de plumes et aux pattes de rapace. Cette façon de travailler purement artisanale et manuelle permit à Servais d'intégrer complètement des prises de vue normales et des images dessinées.
Après Sirene (1968 - Sirène) et Pegasus (1973 - Pégase), le nouveau film de Servais est sa troisième oeuvre au titre emprunté à la mythologie. Elles s'apparentent entre elles du fait de leur inspiration picturale plus prononcée que dans les autres films. Pégase rendait hommage à l'expressionnisme flamand de Constant Permeke et de l'école de Laethem-Saint-Martin. Sirène et Harpya se réfèrent au surréalisme. Aussi bien par le décor que par le coloris, le nouveau film de Servais évoque plus spécialement le monde fantastique de René Margritte, avec lequel le cinéaste collabora jadis comme peintre. Le décor d'une sobriété extrême, la clarté lunaire projetant des ombres étranges et des teintes douces à la Magritte, ensemble avec un effet spatial original, confèrent au film un caractère hautement stylisé. Les accents de musique électronique de Lucien Goethals qui le soulignent apportent le brin d'ironie qui relativise l'histoire d'épouvante.
Revenu de la surprise de l'étonnante perfection technique de ce film d'animation de neuf minutes, le spectateur demeure confronté au sentiment amer que suscite le thème de Harpya. Plus que dans ses autres oeuvres, Chromophobia (1966) mise à part, c'est le ton pessimiste qui prédomine dans la dernière production de Servais. Le cinéaste maintient cependant que le film ne veut être qu'une parodie des films de vampire.
En tout cas, Harpya témoigne d'une maîtrise et d'une perfection technique difficiles à surpasser dans son genre.
Wim de Poorter, Brugge/Bruges
Pour de plus amples informations, le lecteur se référera à Paul Davay: Le poète du cinéma d'animation: Raoul Servais, dans Septentrion, lère année, no. 2, octobre 1972, p. 23-30.
Traduit du néerlandais par Willy Devos.