Septentrion. Jaargang 8
(1979)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
[pagina 52]
| |
Kees Verheul: autoportraits littérairesDaan CartensNé en 1958 à Delft (province de Hollande méridionale). Etudes d'histoire et de néerlandais à l'Université de l'Etat de Leyde Collaborateur de Ons Erfdeel et de Bzzlletin. Après l'achèvement de la série Russische bibliotheek (Bibliothèque russe) paru chez l'éditeur amstellodamois Van Oorschot, qui met à la disposition du lecteur l'oeuvre complète des auteurs russes ‘classiques’ dans une traduction néerlandaise généralement excellente, plusieurs autres maisons d'édition néerlandaises se sont mises, à leur tour, à s'intéresser aux pays de l'Est plus qu'elles ne le faisaient jusque-là. L'exemple le plus frappant en est la traduction, parue au printemps dernier, du volumineux roman PetersburgGa naar eind(1) de l'auteur symboliste Andréi Bjély - pseudonyme de Boris Nicolaievitch Bougaiev - qui vécut au début du vingtième siècle (1880-1934), oeuvre que l'on a comparée, non tout à fait à tort, à l'Ulysse de James Joyce ou à La recherche du temps perdu de Marcel Proust. En vue de compléter la ‘grande’ bibliothèque russe paraîtront régulièrement, à partir de l'automne 1978, des ‘mini-textes’ russes, non plus regroupés selon les auteurs, mais plutôt selon les thèmes. Ainsi, à côté des classiques russes Dostoïewski, Tolstoï, Tourgueniev et d'autres, des écrivains russes de notre siècle deviendront accessibles au public néerlandais. Il s'agit là d'une évolution intéressante parce que cette nouvelle initiative permettra de compléter une image historique, mais aussi parce qu'il s'agit d'écrivains qui, pour des raisons d'ailleurs divergentes, sont tombés dans l'oubli en Union soviétique ou ne peuvent plus y être imprimés. Il va de soi que pour explorer et exploiter un domaine linguistique comme le domaine russe, il faut faire appel à d'excellents traducteurs. A l'heure actuelle, les Pays-Bas disposent d'une génération de slavisants qui, tout en ne rejetant pas le langage - et dès lors le vocabulaire - contemporain tel qu'il est pratiqué actuellement aux Pays-Bas, fournissent des traductions d'une très grande qualité. Kees Verheul est l'un d'eux. Il retint | |
[pagina 53]
| |
Kees Verheul.
l'attention par sa traduction de la première partie des mémoires de Nadjezjda Mandelstam, parus en 1972. Le niveau littéraire et la conception de vie de l'auteur, formulée avec une puissance certaine, suscitèrent l'intérêt dans d'autres pays également, car les traductions se succédaient à un rythme rapide. Kees Verheul fit suivre les mémoires d'une postface de sa main qui figura aussi, modifiée et amplifiée, dans son premier ouvrage de prose, Kontakt met de vijand (1974 - Contact avec l'ennemi). Quelques années plus tôt, en 1971, il avait obtenu le grade de docteur à l'université d'Amsterdam avec une thèse sur le thème du temps dans l'oeuvre de la poétesse du mouvement acméiste Anna Akhmatova. En 1974 parut sa traduction de poèmes d'Ossip Mandelstam, que suivit celle, en 1976, de De bouwput (la fosse) d'Andréi Platonov. Cette dernière traduction rangeait Kees Verheul parmi les candidats au prix Martinus Nijhoff pour des traductions d'oeuvres littéraires. Cette année-là, précisément, il y eut cabale littéraire parce que le jury, composé d'anciens lauréats du prix, estimait qu'aucune oeuvre littéraire traduite ne satisfaisait à leurs critères alors que les éditeurs et les traducteurs, pour leur part, étaient convaincus des grandes qualités des ouvrages présentés. C'est déjà un trait caractéristique de Kees Verheul qu'il n'a pas fait chorus avec les protestations générales. Toute cette agitation autour de traductions littéraires est parfaitement symptomatique du monde littéraire néerlandais, où le classement des best-sellers et les jugements subjectifs l'emportent sur d'autres aspects fondamentaux. En littérature, il devrait s'agir avant tout, en effet, d'une vision déterminée, d'une tension entre la fiction et la réalité plutôt que d'une compétition où un livre déterminé obtient un meilleur score qu'un autre. Au demeurant, en 1978 Kees Verheul obtint le prix Busken Huet, décerné par la commune d'Amsterdam, pour ses essais réunis en 1976 dans le recueil Verlaat debuut (Début retardé)). Kontakt met de vijand (Contact avec l'ennemi) nous présente les souvenirs fragmentaires de Verheul pour l'année 1967, lorsqu'il habitait alternativement Moscou et Leningrad pour s'y documenter en vue de sa thèse de doctorat. Outre des fragments sur des écrivains connus tels que Nadjezjda Mandelstam et Lydia Tchoukovskaia et le poète lossif Brodski, qui a vécu en Occident depuis lors, le livre comporte des chapitres consacrés à des citoyens soviétiques anonymes, parmi lesquels beaucoup d'étudiants. A Moscou, Verheul a séjourné quelque temps dans un gigantesque complexe universitaire. A Leningrad, il est logé dans des conditions beaucoup moins confortables: une chambre dans un vieil immeuble pour étu- | |
[pagina 54]
| |
diants, qu'il doit partager avec un garçon russe. Le chapitre De kamergenoot (Le compagnon de chambre) nous présente dès lors le problème crucial auquel est confronté Kees Verheul. Depuis sa jeunesse, il s'intéresse passionnément, presque obsessionnellement, à la Russie. Il aura la possibilité d'apprendre quelque chose sur les idées des Russes, et cela non seulement auprès des dissidents, car il sera introduit dans les familles de ses amis. Mais au moment où les contacts s'intensifient, il y a deux éléments qui le freinent: la question de savoir s'il peut avoir confiance en la personne de son interlocuteur et sa propre attitude réservée due principalement à sa nature homosexuelle. Lorsqu'un jeune étudiant en physique lui rend visite dans son studio à Moscou, puis l'invite souvent chez sa mère très hospitalière (le père est décédé) et montre clairement qu'il apprécie Verheul aussi bien pour sa personne que pour ses connaissances, les sentiments de Kees Verheul demeurent ambivalents: ‘Je pensais que si je lui disais que je ne me fiais pas tout à fait à lui, cela signifierait automatiquement la fin de notre amitié. Mais l'idée du choc immérité que je lui causerais s'il était innocent - et venant d'un étranger ami, ce choc serait d'autant plus dur - me retenait.’ Ce sont de nouveau ces deux facteurs restrictifs qui interviennent lors de la rencontre avec deux garçons homophiles dans un restaurant à Moscou. Ils invitent Verheul à les retrouver dans un petit parc où ils rencontrent toujours des natures apparentées, et après un séjour à Leningrad, il rencontre aussi une personne avec laquelle il va ‘se promener’. Inutile, en l'occurrence, de s'inquiéter, mais le jeune homme est d'un niveau tout différent et, de plus, c'est un ‘passionné’ des traditions nationales russes. Le risque est trop grand: ‘Que pouvais-je attendre d'une amitié avec lui? L'éloignement de tous mes autres amis, l'incertitude, peut-être même un scandale avec la police et l'expulsion de Russie? Et cela pour un garçon avec lequel je ne pouvais même pas parler.’
Une amitié très vive se noue entre Kees Verheul et le poète lossif Brodski, qui a le même âge que lui, ce qui rend les contacts avec lui plus faciles qu'avec les ‘grandes dames’ que sont Nadjezjda Mandelstam et Lydia Tchoukovskaia, auprès desquelles il doit constamment être sur ses gardes, exposé à des observations inattendues, mais qui, en outre, étaient brouillées entre elles, bien que Nadjezjda Mandelstam donne à son jugement un caractère favorable en observant: ‘C'est une personne bien, et cela ne court pas les rues ici.’ lossif Brodski veut voir confirmées par Verheul, qu'il admire - et il ne s'en cache pas auprès de ses connaissances -, ses propres conceptions: ‘Seulement, je doutais souvent qu'il m'écoute: tout ce que je disais appartenait peutêtre, pour lui, à un monologue.’
Les contrastes qui se manifestent dans les mémoires des étudiants anonymes, auteurs et poètes connus, les différences qui séparent le monde néerlandais de l'univers russe, trouvent leur point culminant dans le dernier chapitre, où est analysée l'amitié, toujours présente au second plan, avec Cees, qui est resté à Amsterdam. En dépit de l'isolement et de l'éloignement de Cees, Verheul parvient à se maintenir, grâce à une conversation et un échange de vues permanents avec le Cees ‘fidèle et attaché’ qu'il se crée luimême. Kees Verheul mélange des descriptions très détaillées et imagées - l'hiver russe, des quartiers de Moscou et de Leningrad - avec l'analyse de ses émotions personnelles. Ainsi ce livre n'est-il pas devenu un portrait ‘de la Russie’ ou ‘des Russes’, mais il nous présente un autoportrait littéraire dont l'analyse extrêmement maîtrisée force le respect.
Après Kontakt met de vijand se posait la | |
[pagina 55]
| |
question de savoir si une écriture pareille permettrait d'atteindre encore le même niveau, parce que le décor étrange et inconnu de l'Union soviétique constitue un élément essentiel du livre. Kees Verheul travaille actuellement à un roman sur une période de sa vie antérieure à son séjour en Russie. ‘Je n'ai pas besoin d'inventer une histoire. C'est toujours une question de souvenirs’, a-t-il déclaré cette année dans un entretien. Un vaste extrait du roman parut l'année dernière, sous le titre Bij meneer Prinsen (Chez monsieur Prinsen), dans l'importante revue littéraire néerlandaise De Revisor. L'histoire se déroule dans le village de sa jeunesse, où le ‘moi’ jeune rend de plus en plus fréquemment visite à un vieil homme ‘malade’. Lorsque la femme et la fille de celui-ci sont parties, le garçon d'environ onze ans a tout le loisir de raconter en long et en large à son ami âgé les événements de la classe ou de l'école du dimanche. La sensation d'un milieu tout à fait différent de son milieu familial se trouve encore renforcée par le contact physique. Le caractère spécial de ce qui a paru jusqu'à présent ne réside pas uniquement dans l'extrême soin du détail, dont témoignait déjà Kontakt met de vijand et qui actualise pour ainsi dire le passé, mais aussi dans le sujet, qui n'est certes pas insolite en littérature (Lolita!) mais qui, en l'occurrence, est décrit du point de vue de l'enfant. C'est toute une performance que de décrire avec précision, clarté et une extrême délicatesse un épisode aussi chargé émotionnellement qui s'est déroulé dans un passé lointain.
Les essais sont très proches des traductions. Tout comme les oeuvres de prose, ils sont très détaillés et élaborés et dépassent ainsi le niveau de la critique journalistique. Cela présente notamment l'avantage que Kees Verheul peut parler des auteurs qui sont ses préférés, qu'il trouve importants et qui, souvent, sont peu connus. C'est notamment le cas pour les écrivains russes dont il parle. Ce groupe s'apparente beaucoup à des auteurs néerlandais tels que Gerard Bilders, J. van Oudshoorn, Arthur van Schendel, Chr. J. van Geel, Jan Emmens et Wilfred Smit, parce que chez eux aussi, il s'agit davantage de la beauté qui réside dans le langage même. Il est très important que des poètes qui n'avaient guère été appréciés jusqu'ici tels que Van Geel, Smit et Emmens et leurs oeuvres nous soient présentés. Il se pourrait en effet ‘qu'ils soient les précurseurs d'une nouvelle génération’ et qu'ils aient été pendant longtemps sous-estimés par suite de la ‘confusion des goûts et des esprits’ que la génération des poètes des années cinquante a provoquée dans la poésie néerlandaise.
Dans son oeuvre, Kees Verheul prouve que ses oeuvres créatrices s'accordent parfaitement avec ses traductions et ses essais consacrés à des écrivains, grâce à quoi il parvient à satisfaire à une définition formulée par lui-même dans l'article consacré à Wilfred Smit: ‘... créer aussi une voix là où il n'y a que des lettres’. Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
|