Septentrion. Jaargang 8
(1979)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Le cinéma en FlandreWim de PoorterNé en 1939 à Blankenberge (Flandre occidentale). Licencié en philologie germanique à l'Université de l'Etat de Gand. Professeur de néerlandais, de mass-media et d'esthétique cinématographique à l'Athénée royal de Sint-Michiels-Brugge. Auteur du Filmlexicon (1975) et de Film (1976). Publications sur la littérature et le cinéma notamment dans Tijdschrift van de Vrije Universiteit Brussel et autres hebdomadaires. Collaborateur permanent pour le cinéma de Ons Erfdeel. | |
1. Premières années.Dans les premiers temps, on ne parlait que de films belges. Cette production cinématographique belge qui se développait lentement dans les années trente était au début une affaire qui se déroulait principalement en français. Cela n'étonnera personne parmi ceux qui sont tant soit peu familiarisés avec l'évolution historique, socio-économique et culturelle de la Belgique unitaire telle qu'elle est née en 1830. Il a fallu attendre le milieu des années soixante pour que fût officiellement reconnue une production cinématographique flamande autonome de langue néerlandaiseGa naar eind(1). Ce furent néanmoins deux Flamands, Charles Dekeukeleire et Henri Storck, qui se manifestèrent en ces toutes premières années du cinéma belge comme les premiers cinéastes doués d'un accent personnel
A l'époque du cinéma muet, déjà, ces talentueux documentaristes dominaient la production cinématographique. De 1930 (Beelden van Oostende - Images d'Ostende) à 1970 (Paul Delvaux of de vervreemding - Paul Delvaux ou l'aliénation), Henri Storck réalisa une série impressionnante de prestigieux documentaires, parmi lesquels notamment Borinage (1933), qu'il fit en collaboration avec le célèbre cinéaste néerlandais Joris Ivens. Charles Dekeukeleire, lui aussi, s'aventura à tourner un film flamand, Het kwade oog (1937 - Le mauvais oeil), d'après un scénario de l'auteur flamand Herman Teirlinck. Du point de vue dramatique, ce n'était guère une réussite, mais l'approche cinématographique témoignait d'un talent remarquablement original. En tournant les scènes d'extérieur dans un décor naturel avec des acteurs non professionnels, Dekeukeleire se montra un précurseur du néoréalisme italien, qui ne devait naître qu'une quinzaine d'années plus tard. Le montage expérimental, la remarquable photographie de François Rents et l'impressionnante | |
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Senne Rouffaer dans ‘L'Homme au crâne rasé’ d'André Delvaux.
partition de Marcel Poot firent de Het kwade oog le premier film de fiction flamand d'un niveau artistique.
L'échec commercial que connut le film de Dekeukeleire s'explique en premier lieu par sa forme expérimentale osée, et tranchait net avec l'immense succès récolté quelques années auparavant par le film De Witte (1934 - Filasse) de Jan Vanderheyden. Cette version filmée du populaire roman régional (1920 - paru en traduction française sous le titre Filasse, 1935) de l'auteur flamand Ernest Claes, qui raconte les aventures et espiègleries d'un garçon du peuple de quatorze ans, doit, aujourd'hui encore, son immense popularité en premier lieu au jeu parfaitement naturel du héros, interprété par Jef Bruyninckx. Vanderheyden pensa avoir trouvé la bonne formule du succès et tourna par la suite, généralement en collaboration avec Edith Kiel, une série de films populaires folkloriques en dialecte anversois. L'acteur Charles Janssens était garant du succès très local dont ils bénéficiaient.
En 1952, les pouvoirs publics accordèrent pour la première fois une aide financière au secteur cinématographique. Des productions reconnues comme ‘films belges’ pouvaient dorénavant prétendre à une prime qui consistait en un pourcentage - 75% pour un long métrage - de la taxe sur les réjouissances publiques levée sur les représentations commerciales du film. Ce système dit de détaxation existe toujours. En 1957, il a été lié à des normes de qualité fixées par une commission ad hoc.
Toutefois, il a fallu attendre l'année 1955 pour que trois jeunes gens, Rik Kuypers, Ivo Michiels et Roland Verhavert, s'efforcent de sortir le cinéma flamand de l'impasse du film folklorique en prenant pour base un scénario qu'ils avaient eux-mêmes élaboré. Leur film Meeuwen sterven in de haven (1955 - Les mouettes meurent au port) s'inspirait surtout du free cinema anglais. Il reçut un accueil favorable de la part des critiques et fut même présenté au festival de Cannes en 1956. Le désintérêt du grand public qui n'avait d'yeux que pour les films américains était la cause d'une distribution très limitée même en Belgique. Il fut vendu à l'Union soviétique, où il connut un succès surprenant.
Outre la création de la Télévision flamande en 1953, le premier Festival du film belge, organisé à Anvers en 1954, fut un stimulant décisif pour la mise sur pied d'une production cinématographique flamande proprement dite. L'échec commercial du film Meeuwen sterven in de haven entraîna toutefois une période de stagnation. Ce n'est que dix ans après le premier festival que fut élaborée une véritable politique de subventions officielles. | |
2. Autonomie flamande en matière de films.L'année 1964 doit être considérée comme | |
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Willeke van Ammelrooy en Jan Decleir dans ‘Mira’ de F. Rademakers d'après le roman de Stijn Streuvels.
le début du cinéma belge de langue néerlandaise officiel. L'arrêté royal du 10 novembre 1964 tendant à promouvoir la culture cinématographique d'expression néerlandaise créa une Commission de sélection de films culturels de langue néerlandaise (Belgique). Celle-ci est chargée d'émettre des avis concernant l'aide financière octroyée par les pouvoirs publics pour des projets cinématographiques. Initialement, le budget était très restreint: il s'élevait à quatre millions de francs belges en 1965. Il fut majoré graduellement, jusqu'à soixante-dix millions en 1977. En fait, cela signifiait que les pouvoirs publics intervenaient pour environ soixante pour cent du budget de la production des projets approuvés. Jusqu'en 1964, le secteur cinématographique avait été le monopole des francophones, qui voulaient créer un Institut national du cinéma belge. Lorsque l'on proposa du côté flamand de fonder la structure de l'Institut sur la base de l'autonomie culturelle, ce fut la rupture, après quoi la production cinématographique flamande suivit son propre chemin. L'arrêté royal dont nous avons parlé impliquait aussi, dans le cadre de l'intégration culturelle, la possibilité de coproductions avec les Pays-Bas. Bien que la politique de subventions fût entravée par un appareil administratif compliqué - certains cinéastes ont attendu jusqu'à trois ans avant de se voir accorder définitivement l'aide publique -, le cinéma flamand pouvait enfin prendre son élan.
Les premiers films subventionnés, Y mañana (1966) d'Emile Degelin et Jilali (1966) de Rik Kuypers étaient des productions inachevées, qui témoignaient d'un certain talent technique mais suscitèrent à peine l'intérêt. L'année 1966 connut aussi la première de deux films flamands qui annoncèrent un véritable tournant: De man die zijn haar kort liet knippen (L'homme au crâne rasé) d'André Delvaux et Het afscheid (L'adieu) de Roland Verhavert. Avec son film réalisé pour la télévision, Delvaux prouvait que la Flandre disposait effectivement de talent cinématographique. En Belgique, la version filmée de l'important roman réaliste magique de Johan Daisne (1948, paru en traduction française sous le titre L'homme au crâne rasé, 1965) eut droit au mépris, mais il reçut un accueil favorable à l'étranger. Les milieux cinématographiques parisiens se montrèrent absolument enthousiastes et les critiques des célèbres Cahiers du cinéma crièrent au chef-d'oeuvre. Le film de Roland Verhavert, réalisé d'après le roman d'lvo Michiels (1957), prouva lui aussi, fût-ce dans une moindre mesure, que le cinéma flamand était parvenu à l'âge adulte.
Comme première coproduction flamandonéerlandaise il faut mentionner le film antimilitariste De vijanden (1967 - Les ennemis) à côté du premier film en couleurs Palaver (1968 - Palabre), qui constituait plutôt une expérience, d'Emile Degelin. Le film le plus important de ces premières années fut incontestablement Monsieur Hawarden (1968) de Harry Kümel, d'après le roman de Filip de Pillecyn (1935, paru en traduction française en 1967). Monsieur Hawarden demeure jusqu'à nos jours un modèle de transposition cinématographique d'une oeuvre littéraire. | |
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Elisabeth Tessier et Jan Decleir dans ‘Rolande ou la chronique d'une passion’.
L'excellente photographie en noir et blanc, le montage impeccable et l'interprétation précise et sobre portèrent le cinéma flamand au niveau international.
Toutefois, les tentatives réussies de cinéastes talentueux tels qu'André Delvaux et Harry Kümel se heurtèrent à l'attitude récalcitrante et décourageante du public flamand.
D'autant plus étonnant fut dès lors l'énorme succès commercial qu'enregistra la coproduction flamando-néerlandaise Mira (1971) d'après le roman De teleurgang van de Waterhoek (1927, paru en traduction française sous le titre Le déclin du Waterhoek, 1943), de Stijn Streuvels. Tourné par le cinéaste néerlandais Fons Rademakers, Mira avait tout, en effet, pour conquérir un vaste public: un scénario passionnant de Hugo Claus - la lutte contre la construction projetée d'un pont dans un hameau isolé, combinée avec une dramatique histoire d'amour -, d'excellents interprètes populaires tels que la Néerlandaise Willeke van Ammelrooy et le Flamand Jan Decleir, un dialogue bien conçu et une somptueuse photographie en couleurs d'Eddy van der Enden, qui évoquait la vie et le décor pittoresque de la Flandre aux alentours de la belle époque comme un rêve folklorique. Le public y retrouvait le climat des feuilletons télévisés populaires qui avaient contribué à entretenir sa prédilection pour des histoires et des récits situés dans un passé relativement récent. Il voulait voir sur le grand écran et en couleurs ce qu'il avait aimé et admiré sur le petit écran. La télévision avait créé un genre dont la grande masse connaissait les ingrédients, qu'il reconnaissait donc sans problèmes et où il se retrouvait avec aisance. Grâce à Mira, qui n'en constituait pas moins un pas en avant par rapport aux films populaires folkloriques de Jan Vanderheyden et d'Edith Kiel et, plus tard, jusqu'en 1962, de Jef Bruyninckx et de Joris Diels, la production cinématographique flamande semblait avoir demarré pour de bon. Un regard nostalgique jeté sur le passé ainsi que le recours à une oeuvre littéraire connue semblaient, aux yeux des producteurs, devoir garantir le succès. Ces éléments-là devaient déterminer bientôt en grande partie la nature même du cinéma flamand. | |
3. La transposition cinématographique d'oeuvres littéraires.Le succès inattendu, et jusqu'aujourd'hui inégalé, de Mira inaugura un genre que suivirent la plupart des producteurs jusqu'en 1975. On cherchait à attirer le public en lui proposant la version filmée d'oeuvres littéraires connues. Ce sont surtout les producteurs de Kunst en Kino et le cinéaste Roland Verhavert qui acquirent leur réputation en filmant Rolande met de bles (1972 - Rolande ou la chronique d'une passion) d'après le roman de Herman Teirlinck (1944 - Rolande à la houppe), De loteling (1973 - Le conscrit) d'après le roman de Hendrik Conscience (1850, paru en traduction française en 1854, réédité à plusieurs reprises dans l'ensemble de ses oeuvres complètes en français) et Pallieter (1975) d'après le roman archiconnu en Flandre de Felix Timmermans (1916, paru en traduction française en 1923, réédité en 1975). Malgré le soin particulier apporté aux | |
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Nellie Rosiers dans ‘Mort d'une nonne’.
costumes et la photographie à prétention esthétique réalisée en de splendides sites ruraux, ces films ne parvinrent pas à égaler la popularité de Mira, bien que du point de vue filmique, Rolande lui fût nettement supérieur. Frans Buyens, au demeurant excellent documentariste, avec Het dwaallicht (1972 - Le feu follet) d'après le roman de Willem Elsschot (1946), et Martin Marcel avec Golden Ophelia (1975) d'après le roman du très productif romancier à succès qu'est Ward Ruyslinck (1966), se rendirent compte à leur grand dam des difficultés que pose la transposition adéquate à l'écran d'une oeuvre à intention littéraire prononcée.
C'est l'absence de scénaristes maîtrisant bien leur métier, d'une part, et la grande confiance qu'ont les cinéastes et les producteurs dans le succès commercial que garantit la transposition à l'écran d'oeuvres littéraires connues, d'autre part, qui expliquent ce recours à une telle oeuvre comme base d'un scénario. L'évolution de l'oeuvre cinématographique du duo Paul Collet et Pierre Drouot, qui ne sont certes pas dépourvus d'esprit commercial, illustre clairement le deuxième élément dont nous parlons. Après leur début - d'un style assez ‘amateur’ - Cash! Cash! (1967) et un film érotique parlé français L'étreinte (1969) qui ne manqua pas de faire scandale, ils se mirent, avec Louisa, een woord van liefde (1972 - Louisa, un mot d'amour), à suivre quant à l'atmosphère l'exemple donné par Mira, même si le scénario était original. Le film n'ayant pas apporté le succès financier escompté, ils tournèrent en 1975 Dood van een non (Mort d'une nonne) d'après le best-seller de Maria Rosseels (1962, paru en traduction française sous le titre La passion de Sabine Arnauld, 1964) qui était connue en tant qu'auteur et critique de cinéma. Ils réussirent à obtenir dix millions de francs belges pour cette coproduction flamando-néerlandaise de vingt-deux millions. Les cinéastes, bons commerçants et athées, réduisirent le roman d'inspiration profondément religieuse axé sur un sentiment de culpabilité, à un film ambigu où les fidèles aussi bien que les incroyants pouvaient s'identifier à l'un ou l'autre des héros. En dépit de leur expérience cinématographique, Collet et Drouot n'ont pas réussi à éviter l'écueil des dialogues littéraires qui dépare généralement ce genre de littérature filmée.
Le seul cinéaste flamand à avoir réussi jusqu'à présent à faire d'oeuvres littéraires des films d'un niveau remarquable, ce fut et c'est encore Harry Kümel. Après son Monsieur Hawarden, il attira l'attention du public avec Malpertuis (1972), coproduction belgo-francoallemande dans laquelle jouaient, à côté d'acteurs flamands, des vedettes internationales telles qu'Orson Welles, Susan Hampshire, Mathieu Carrière, Michel Bouquet, Jean-Pierre Cassel et d'autres encore. Le film est tiré du roman magique réaliste du romancier flamand Jean Ray (1962), qui doit sa renommée internationale à son oeuvre écrite en français. Malpertuis évoque un monde métaphysique de dieux grecs dégradés en petits-bourgeois. Dans un rêve hallucinant, | |
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Mathieu Carrière et Susan Hampshire dans ‘Malpertuis’.
le protagoniste Yan (Mathieu Carrière) est confronté à des archétypes, parmi lesquels notamment la figure centrale de Cassavius (Orson Welles). Kümel a fait de ce roman particulièrement complexe un film très baroque et chargé de symboles, dont la perfection technique est unique dans le cinéma flamand. Pour les spectateurs qui n'avaient pas lu le roman, le film devait paraître assez hermétique, ce qui explique son insuccès commercial. En collaboration avec le scénariste français Jean Ferry, décédé depuis, Kümel a encore réalisé, pour la télévision flamande BRT, De komst van Joachim Stiller (1977, La venue de Joachim Stiller) d'après le roman de Hubert Lampo (1960). Grâce à un style filmique varié et à un excellent montage, le cinéaste a évoqué à merveille, dans cette série de trois épisodes qu'il espérait pouvoir refondre en un film destiné aux salles de spectacle, l'atmosphère de réalisme magique de l'oeuvre originale. Pour Kümel, filmer c'est surtout jouer avec tous les moyens cinématographiques possibles. Le but final, c'est de faire du spectacle au vrai sens du terme. C'est par là qu'il se distingue aussi bien du courant de littérature filmée que des cinéastes qui cherchent à illustrer et à comprendre la société contemporaine au moyen de scénarios originaux plus ou moins engagés. | |
4. Scénarios originaux: la caméra scrutant l'époque actuelle.Les années soixante-dix virent naître une réaction de plus en plus ouverte à la Schönfilmerei romantique. Avec des scénarios originaux autour d'une thématique actuelle, on voulait donner un visage moderne au film flamand. Le premier à se distancier des scénarios littéraires, après Cash! Cash! de Collet et Drouot, fut l'acteur Wies Andersen, qui, avec son début Jonny en Jessy (1972) s'était surestimé en tant que cinéaste. Quelques scènes de violence et de sexe filmées dans un style plutôt ‘amateur’ ne réussirent pas à sauver du fiasco tant financier qu'artistique ce film qui traitait des jeunes à la dérive du fait de la boisson et des drogues.
Vers la même époque, le cinéaste anversois Robbe de Hert mit la dernière main à Camera Sutra. Appelé souvent l'enfant prodige mais aussi le cinéaste maudit du cinéma flamand, Robbe de Hert avait déjà prouvé ses talents dans nombre de courts métrages et de documentaires. Par sa structure moderne, Camera Sutra of de bleekgezichten (Camera Sutra ou les visages pâles) laissait loin derrière lui toutes les productions flamandes. Fort influencé par Jean-Luc Godard, De Hert ne se contente plus de raconter une histoire par l'intermédiaire du film. Dans son film de montage, où alternent la fiction et le documentaire, il présente une image de la société flamande telle que la considéraient les jeunes contestataires vers la fin des années soixante, et en premier lieu Robbe de Hert lui-même, qui joue dans le film son propre rôle. Sur un ton extrêmement pamphlétaire, Camera Sutra prenait pour cible la Flandre contemporaine où l'establishment - l'Eglise, le roi, le capital - maintient l'ordre et où la culture - sous la forme de manifestations sportives (courses cyclistes), de nationalisme flamand (l'annuel pèlerinage de l'Yser) et de fêtes de la bière (la fête d'Oberbayern | |
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‘Camera Sutra ou les visages pâles’ de Robbe de Hert.
à Wieze) - sert d'opium à la masse. Un épisode de fiction où un groupe de jeunes gens tente (mais la tentative avorte) de voler des armes dans un dépôt de munitions illustre l'impuissance face à cet état de choses. Le film est un document d'époque sur les enfants de mai 1968, qui cherchent dans la violence une issue à leurs désillusions.
L'image traditionnelle du film flamand fut également contestée par Luc Monheim qui, dans le film à budget limité Verloren maandag (1973 - Way out, Lundi perdu), retraçait la vie de quelques marginaux dans la métropole d'Anvers. D'autres productions importantes furent Salut en de kost (Salut et merci) de Patrick Le Bon et Verbrande brug (Le pont brûlé) de Guido Hendrickx. Salut en de kost fut le seul film de fiction à être tourné dans une salle de spectacle en 1974. A l'époque, Patrick Le Bon avait collaboré avec De Hert à l'un des premiers reportages dits off TV de Fugitive Cinema - des documentaires qui, à cause de leur engagement agressif, furent bannis de la télévision flamande -, notamment S.O.S. Fonske (1968), sur les conséquences de la faillite d'une compagnie d'assurances pour l'homme de la rue. La thématique socialement engagée ne surprit dès lors personne. Le conflit des générations, le problème des travailleurs immigrés, les conditions de travail dans le secteur de la construction et notamment le thème de l'avortement surchargeaient le scénario au point que le film en perdait son unité dramatique. Verbrande brug (1975) était le résultat d'une initiative prise par le ministère de la Culture néerlandaise pour venir en aide à des cinéastes qui se proposaient d'élaborer, en collaboration avec un écrivain, un scénario original. Pour son film, Hendrickx collabora avec le poète et romancier Marcel van Maele. Tous deux séjournèrent pendant plusieurs semaines au lieu-dit ‘Verbrande brug’ à Grimbergen (à proximité de Vilvorde, dans le Brabant flamand), où ils puisèrent leur inspiration dans le contact avec la vie quotidienne de ce quartier ouvrier. L'histoire, mise sur pied d'une manière originale autour d'un ménage à trois, au dénouement dramatique dans un décor ouvrier on ne peut plus authentique, est remarquablement construite et filmée. Hendrickx surprit par son style nouveau pour le film flamand, caractérisé surtout par de longs plans s'étendant parfois sur des séquences entières. Ce procédé à l'américaine servait parfaitement le talent d'acteur de l'interprête principal Jan Decleir, une des grandes vedettes du cinéma flamand des années soixante-dix. Toutefois, ni le film rude et naturaliste qu'était Verbrande brug ni Salut en de kost ne trouvèrent grâce auprès du public qui, une fois de plus et en dépit d'une critique particulièrement favorable, brillait par son désintérêt. Entre-temps, la crise économique qui sévit en Europe occidentale ne manquait pas de se répercuter sur la production cinématographique flamande. Il est évident qu'un secteur déficitaire comme le cinéma flamand n'attire guère ni les pouvoirs publics - pour la production à succès que fut Mira, ceux-ci n'ont récupéré que 1.600.000 francs sur les quatre millions de subsides accordés - ni les investisseurs | |
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Hanny Vree et Hans Rooyaards dans ‘Salut et merci’.
privés. Que l'initiative privée baisse les bras est compréhensible. Il est plus difficile d'accepter que le ministère du Budget ait fait suspendre les subventions. C'est un fait qu'en Flandre, du moins, le film est considéré avant tout comme un produit de l'industrie des loisirs et qu'aux yeux des autorités publiques, il revêt une importance culturelle moindre que l'opéra et le théâtre, ce qui se reflète clairement dans la politique de subventions. Le résultat du blocage des subventions fut qu'après Verbrande brug, il a fallu attendre de 1975 jusqu'à 1978 pour assister à la première de nouveaux films de long métrage flamands. Et encore les cinéastes ont-ils dû protester énergiquement pour que la production puisse redémarrer. | |
5. Crise dans le cinéma flamand?L'arrêté royal de 1964 était incontestablement un pas en avant et a créé la possibilité d'une production cinématographique flamande à part entière. La question se pose de savoir si la stimulation de réalisations cinématographiques a été abordée de la bonne manière. En premier lieu, la procédure des subventions est trop complexe, ne fût-ce que parce que plusieurs départements ministériels - ceux de la Culture, du Budget et des Affaires économiques - sont concernés. Des voix s'élèvent, depuis plus de cinq ans, en faveur de la création d'un Fonds de production tel qu'il en existe un aux Pays-Bas. Ce fonds disposerait librement de l'octroi des subventions, qui pourrait se faire dans des délais beaucoup plus courts. En outre, le choix en faveur de coproductions avec les Pays-Bas n'est pas demeuré sans résultats. La participation tant financière qu'artistique des Pays-Bas à de nombreuses productions constitue l'unique chance pour la Flandre face à des pays à forte tradition cinématographique tels que la France. Mais dans ce domaine aussi, le calvaire administratif que doit suivre tout projet de film demeure un grave handicap.
Par ailleurs, la coopération de la télévision flamande - aujourd'hui la BRT - à la réalisation de films de fiction est une nécessité absolue.
Jusqu'à présent, l'exploitation de tout film flamand demeure une entreprise extrêmement risquée. La raison en réside non seulement dans l'indifférence du public pour des productions de son cru mais aussi dans le domaine linguistique restreint - environ vingt millions de spectateurs potentiels pour les Pays-Bas et la Flandre ensemble. Il faut souligner en outre que le film flamand n'a pour ainsi dire aucune chance d'être mis en circulation à l'étranger, ni même, ou guère davantage, aux Pays-Bas. De plus, contrairement à ce qui est le cas aux Pays-Bas, les productions non commerciales flamandes ne peuvent pas s'appuyer sur un circuit parallèle non commercial. Entretemps, on s'est rendu compte de tous ces éléments qui freinent le développement d'une industrie cinématographique flamande. Les cinéastes et producteurs soumettent régulièrement leurs griefs aux autorités. En dépit de la bonne volonté du service du film du département de la Culture néerlandaise, la situation n'évolue qu'avec une extrême lenteur. | |
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Jan Decleir dans ‘Le pont brûlé’.
Toutefois, en dépit de ces conditions difficiles, des cinéastes enthousiastes n'en continuent pas moins à réaliser des films. Cela permet d'espérer qu'un jour, il sera possible, dans un meilleur climat, de créer une production cinématographique continue.
La production de 1978 semble prouver que la période de la littérature filmée est définitivement révolue. In alle stilte (En toute intimité) de Ralf Boumans et In kluis (L'enclos) de Jan Gruytaert ont été tournés d'après des scénarios originaux. Il en est de même pour Het verloren paradijs (Le paradis perdu) de Harry Kümel, d'Een vrouw tussen hond en wolf (Une femme entre chien et loup), coproduction flamando-française d'André Delvaux, et Exit 7 d'Emile Degelin.
Jusqu'à présent, le talent cinématographique incontestablement présent en Flandre ne s'est fait valoir à l'étranger que par l'intermédiaire des films d'animation de Raoul Servais - cf. Septentrion, 1ère année, no 2, octobre 1972, pp. 23-30 -, de courts métrages - Gejaagd door de winst (Autant en emporte l'argent) de Guido Hendrickx, couronné au festival d'Oberhausen en 1978 - et de documentaires - In naam van de Führer (1977 - Au nom du Führer) de Lydia Chagoll avec la collaboration de Frans Buyens. Il est probable que dans un proche avenir, il pourra se manifester également dans le domaine du film de fiction. Une condition importante est que les cinéastes flamands puissent disposer non seulement de moyens financiers suffisants, mais aussi de scénarios intéressants qui distinguent leurs films de productions étrangères et leur confèrent une image propre.
Provisoirement, le film flamand continue, laborieusement mais avec ténacité, à se chercher une issue. Dans l'Europe touchée par la crise économique, c'est là une entreprise qui nécessitera une grande persévérance. Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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