Septentrion. Jaargang 8
(1979)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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autant pour que nous le découvrions. Pourtant, homme du Nord, rédacteur en chef de l'Humanité, membre du Comité Central du Parti Communiste français, membre de l'Académie Goncourt, auteur d'une oeuvre qui compte une dizaine de recueils de nouvelles, autant de romans, quelques essais et trois dramatiques pour la télévision, le tout couronné par le Prix populiste en 1967, il aurait mérité que nous nous intéressions plus tôt à lui. Mais voilà, l'institution de la littérature est ainsi faite que le lecteur, même le plus curieux, n'est informé que d'une certaine production. Le silence, dans une partie de la presse du moins, s'explique sans doute à la lumière du verdict que rend une célèbre Histoire vivante de la littérature d'aujourd'hui: ‘Pierre Daix et André Stil ne sont guère que des romanciers populaires, qui mettent en formules romanesques, avec plus ou moins d'adresse, les mots d'ordre du parti’. Rien de tel de toute façon dans le roman Dieu est un enfant. Peut-être parce que ce n'est pas vraiment un roman, mais plutôt une biographie, ou une autobiographie. C'est l'histoire de l'enfance et de la jeunesse de Bernard, dernier-né d'un père mineur et d'une mère autrefois ouvrière, maintenant ménagère. Le narrateur semble très, très proche de ce Bernard, aussi proche (et aussi lointain) que peut l'être l'adulte de l'enfant qu'il a été. Aussi le lecteur a-t-il tendance à lire le récit à la troisième personne comme une confession à peine déguisée: cette technique narrative donne au livre une tonalité unique où se fondent les informations discrètes sur un village minier du Nord dans les années 1920 à '40 et les impressions les plus intimes du protagoniste. La langue aussi relève à la fois du français le plus pur et le plus raffiné et du français régional, largement nourri du patois picard.
Le narrateur se plaît à valoriser les mots et expressions intraduisibles du parler de son enfance: ainsi ‘l'enfant ouaté’ ajoute une belle image tactile au concept de ‘l'enfant gâté’, ‘la berce’ suggère bien mieux le mouvement que la mère imprime à la poussette que ‘le berceau’, les ‘pétotes’ sont bien plus appétissantes que de banales pommes de terre. Le même parti pris de subjectivité met en valeur le paysage parfois affreux, avec ses coins connus des enfants seuls, l'étang, le tunnel... Bernard vit comme un Dieu dans ce monde de misère, bouleversé en plus par la crise des années 30, crise dont il ne s'aperçoit même pas. Ce n'est que lorsque, grâce à l'obtention d'une bourse, il entrera au lycée qu'il verra son passé d'un oeil neuf. Les beaux souvenirs s'étiolent et font place à d'autres, ignorés jusquelà, les plus amers: l'enfant n'est plus ‘Dieu’, l'enfant se sent ‘nu’, c'est-à-dire que le monde chaleureux qui le couvait s'écroule et se dévalorise à mesure qu'il s'intègre dans l'autre, celui des intellectuels et des nantis. Histoire donc d'une formation pareille à tant d'autres mais qui capte le lecteur par son authenticité: les pages où Bernard découvre le monde du haut des épaules de son père, où il s'ouvre aux mystères de la nuit, où il apprivoise un arbre, sont à la fois les plus poétiques et les plus vraies du livre. Il nous semble que seul un ‘roman poétique’ comme celui-ci peut faire ressurgir dans la conscience du lecteur l'enfant qu'il a été et qu'il faut qu'il redevienne, même s'il est marxiste...
Vic Nachtergaele. André Stil, Dieu est un enfant, roman. Bernard Grasset, Paris, 1979, 242 p., 362 BF. |
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