La maison sur l'eau (Bert Peleman).
Dans la Collection bilingue de La Renaissance du Livre, à Bruxelles, est paru un nouveau recueil de traductions de poésie de Jeanne Buytaert. Cette fois il s'agit de poèmes de Bert Peleman, nom dont la présence dans cette collection suscite pour le moins une certaine surprise. Je ne veux guère insinuer qu'il n'y serait pas à sa place - éditeur et traducteur, surtout, doivent avoir la plus grande liberté dans la sélection de ce qu'ils désirent publier et traduire! -, mais il est un fait que Peleman, en tant que poète, est rarement mentionné dans les aperçus littéraires en Flandre, a fortiori aux Pays-Bas.
Bert Peleman, né en 1915, débuta avec des vers épiques au caractère exubérant, typiquement brabançon, terrestre, populaire et baroque. Par la suite, son style est devenu plus sobre et le contenu plus introverti, comme en témoigne le beau recueil Bij zandloper en zeis (1948 - Auprès du sablier et de la faux), qui contient des poèmes de qualité tels que Het afscheidsmaal (Le repas d'adieu) et Celnachten met de bruid (Nuits de cellule avec la nouvelle mariée).
Le recueil La maison sur l'eau est introduit par René Verbeeck (cf. Septentrion, mai 1977, p. 89-90). ‘La force vitale’, déclare l'introducteur, ‘et la réminiscence d'un état primitif en union intime avec la nature sont également présentes’ dans ce dernier recueil, comme dans toute l'oeuvre précédente, mais elles ont abouti à ‘un univers métaphorique dont l'Escaut fournit les éléments...’ Peleman s'est détourné des ‘cités ardentes’ de la folle humanité et ‘la maison sur l'eau’ est devenue son refuge.
‘Son langage’, ajoute Verbeeck, ‘est simple et aisé... Il n'éprouve pas le besoin de rechercher des effets poétiques dans des expérimentations de langage. Ses métaphores s'offrent à lui avec une naturelle abondance; il n'a qu'à prendre la peine de les cueillir, comme ce fut aussi le cas de Verhaeren et d'Hammenecker, ces deux autres envoutés par l'Escaut’.
Il est évident que cette spontanéité, cette abondance naturelle précisément feront de la traduction de la poésie de Peleman un coup d'audace du premier degré. Les métaphores sans afféterie, mais ancrées dans le génie même de la langue néerlandaise, sont loin d'être la pierre d'achoppement la plus négligeable. Willy Courteaux, qui a traduit les oeuvres complètes de Shakespeare en néerlandais, pouvait s'offrir le luxe d'appeler le dramaturge un poète généreux: ‘Il peut perdre une fortune entière de bijoux et rester riche pourtant...’ Cela ne me semble nullement le cas de Peleman. Le moindre affaiblissement ôte toute plasticité à son vers pictural.
...al werd mijn staf tot scherpste speer...
...waaraan de steiger staat der dromen...
est tout autre chose que:
...et ma houlette et mon tourment...
...près de l'appontement des rêves...
Parfois Jeanne Buytaert réussit à rendre l'atmosphère du texte original, comme dans Paix du Soir. Parfois elle ne réussit pas, comme c'est le cas, à mon avis, dans Silence vespéral dans l'arche.
Mais évidemment, la traduction de poésie restera toujours une aventure hasardeuse et chaque réussite, même partielle, une raison de gratitude.
Jan Deloof.
Bert Peleman: La maison sur l'eau. Traduit du néerlandais par Jeanne Buytaert. Introduction de René Verbeeck. Bruxelles, La Renaissance du Livre, Collection bilingue, 1977, 83 p.