Les délices de Turquie (roman).
Il ne souffre aucun doute que Jan Wolkers est un des auteurs les plus populaires et les plus achetés de tous les Pays-Bas. Dans les années soixante, la production était surabondante; il publiait des romans et des récits qui étaient absolument symptomatiques de l'état d'esprit quasi cynique de l'auteur (également actif et connu comme peintre et sculpteur), mais non moins de celui de la jeunesse néerlandaise de l'époque. Sa personnalité turbulente, sa manie de se confesser sans pudeur, ainsi que sa prédilection pour le macabre et ses règlements de comptes impitoyables avec son éducation réformée qu'il ressentait comme bornée à l'extrême, correspondaient à un fond de culture avide de s'exprimer (aux Pays-Bas, moins en Flandre) et faisaient de lui l'auteur de loin le plus lu de la jeunesse néerlandaise. Sa popularité tout à fait spécifique était tellement grande qu'en 1969 son éditeur parvint à publier un choix de textes sélectionnés dans son oeuvre entière, sous un titre qui en dit long: Het afschuwelijkste uit Jan Wolkers (Les séquences les plus horribles de J.W.).
Vers ce temps-là les rumeurs autour de Wolkers s'étaient un peu apaisées et ses fanatiques durent encore attendre jusqu'en 1974 la publication depuis longtemps annoncée mais chaque fois différée d'un nouveau roman de leur auteur favori.
Quand ce roman parut enfin (De Walgvogel, c.-a.-d. l'oiseau qui a et/ou provoque des nausées), pas moins de 75.000 exemplaires furent vendus sur prospectus, ce qui est énorme, que l'on n'en doute pas, pour le marché des livres néerlandophone.
Néanmoins, ce fut une désillusion, parce qu'il s'avérait clairement que l'auteur n'avait plus rien à dire. Avec le recul de ces quelques années, on constatait sans équivoque que l'ouragan Wolkers s'était tout doucement apaisé et que l'auteur avait atteint le sommet de son pouvoir artistique avec deux livres de jeunesse: Terug naar Oegstgeest et surtout Turks fruit.
C'est ce dernier roman que Belford présente maintenant au lecteur francophone, qui ne sera pas influencé par l'esprit de l'époque à laquelle le livre parut pour la première fois, ni par son succès auprès des jeunes lecteurs néerlandais, mais pas non plus par les livres moins réussis, parce que trop rabâchés de l'auteur.
Les délices de Turquie ont pour objet le thème éternel d'un amour qui s'enflamme subitement et qui s'éteint de la même façon inattendue, brusque et inévitable. Mais si le thème n'a rien de surprenant ni d'excitant en lui-même, Wolkers (ici vraiment au niveau de sa réputation) le fait échapper au banal par son talent d'observation infaillible, son maniement excellent de la langue quotidienne, les situations originelles surprenantes et, surtout, l'équilibre peu habituel entre le froid dépouillement des sentiments et une tendresse que l'auteur ne réussit jamais à étouffer complètement.
Jan Deloof.
Les délices de Turquie, par Jan Wolkers, traduit du néerlandais par L. Roelandt. Ed. Pierre Belfond, 3bis, passage de la Petite-Boucherie, Paris 6e - 1976 - 188 p.