Septentrion. Jaargang 6
(1977)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Qu'est-ce que le néerlandais?Omer VandeputteNé en 1933 à Marke (Flandre occidentale). Licencié en philologie germanique. Professeur à Kortrijk (Courtrai). A traduit en néerlandais Antigone de Bertholt Brecht. Collaborateur de la revue Ons Erfdeel. Nous avons l'habitude d'établir un rapport direct entre le nom d'une langue et celui d'un pays. Ainsi le français est la langue de la France, l'allemand celle de l'Allemagne et l'anglais celle de l'Angleterre. A première vue, ce raisonnement nous semble l'évidence même. Toutefois, il s'agit là d'une façon de présenter les choses qui témoigne d'une certaine simplicité. En effet, ces langues sont aussi parlées ailleurs, c'est-à-dire dans des pays autres que celui auquel elles sont naturellement associées par leur nom même. De plus, dans chacun de ces autres pays sont encore parlées une ou plusieurs autres langues. Pour le profane, ou disons plutôt pour l'étranger, cette approche de la situation réelle est cependant tout à fait exacte: le français est, effectivement, en premier lieu la langue qui est parlée en France, et dans la plus grande partie de la France, on ne pratique point d'autre langue. Il n'empêche que cette manière d'associer spontanément une langue à un pays déterminé constitue une habitude qui peut nous induire en erreur et paraître dérisoire ou vexatoire à beaucoup de gens. Les frontières nationales ne coïncident pas toujours purement et simplement avec les frontières linguistiques! Poser la question Qu'est-ce que le néerlandais? ne soulève pas uniquement le problème de la situation géographique précise de cette langue. La dénomination même de la langue, ainsi que des territoires où elle est parlée, constitue déjà un problème à elle seule. La consultation des dictionnaires ne nous apporte guère de clarté sur ce pointGa naar eind(1): Néerlande, Pays-Bas, Hollande, néerlandais, hollandais, flamand, bas allemand, etc... C'est une confusion on ne peut plus babylonienne. Les exemples que nous pourrions donner de cette confusion, plus amusants ou plus pénibles les uns que les autres, sont légionGa naar eind(2). De nos jours, le terme de Pays-Bas désigne | |
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le Royaume des Pays-Bas - les équivalents de ces deux termes dans la langue même du pays sont Nederland et Het Koninkrijk der Nederlanden -, dont la ville d'Amsterdam est la capitale. Les Pays-Bas actuels comptent onze provincesGa naar eind(3). Il arrive encore que pour désigner cet ensemble, on emploie le terme de Hollande, qui s'applique, à proprement parler, à deux provinces seulement des Pays-Bas, à savoir la Hollande septentrionale et la Hollande méridionale qui, depuis le seizième siècle, ont joué un rôle prédominant, tant sur le plan économique que sur le plan culturel, par rapport aux régions environnantesGa naar eind(4). Celui qui se sert du terme de Hollande lorsqu'il veut parler des Pays-Bas recourt donc à une figure de style, à savoir la pars pro toto (la partie pour le tout, métonymie), qu'il serait préférable d'éviter parce que, présicément, elle ne fait qu'ajouter à la confusionGa naar eind(5). Du point de vue historique, le terme de Pays-Bas est le nom d'‘un Etat de l'Europe occidentale qui comprit, de 1815 à 1830, les pays qui sont aujourd'hui la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg’. Et, au sens le plus large, il designe ‘l'extrémité occidentale de la plaine de l'Europe septen- | |
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trionale, comprenant les Pays-Bas actuels, la Belgique, le grand-duché de Luxembourg et le Nord de la France (Pays-Bas français)’Ga naar eind(6).
D'autre part, les termes de Flandre ou de Flandres se trouvent, eux aussi, à l'origine de conceptions partiellement ou totalement erronées. En effet, outre les deux provinces belges que sont la Flandre orientale et la Flandre occidentale, la région géographique à laquelle ces termes se rapportent comporte aussi la Flandre française, qui fait partie du territoire de la France, ainsi que la Flandre zélandaise, qui relève politiquement des Pays-BasGa naar eind(7). Toutefois, en Belgique, le terme de Flandre s'emploie de la façon la plus courante dans un sens nettement élargi. Dans le contexte actuel, il désigne la partie nord de la Belgique, c'est-à-dire la région située au nord de la frontière linguistique telle qu'elle a été établie par la législation de 1963, ou encore l'ensemble des provinces de Flandre occidentale, Flandre orientale, Anvers, Limbourg et Brabant (du moins la partie nord de la province, ou Brabant flamand)Ga naar eind(3).
Le lecteur aura déjà senti à quel point les notions de Pays-Bas, de Hollande et de Flandre(s) sont variables et susceptibles de s'appliquer à des réalités nettement différentes. Ceux qui sont quelque peu au courant de l'histoire de nos contrées ne s'en étonneront pas. A l'exception des frontières orientales, dont les modifications n'ont pas influé sur la dénomination de ces régions, les frontières des Etats n'ont été fixées qu'en 1815. Il est impossible de se retrouver dans l'imbroglio des termes désignant les langues, les pays et les régions, si l'on ne dispose pas d'une connaissance élémentaire de leur origine et de leur évolution géographique, historique et politique.
Le néerlandais est la langue officielle de ce que nous avons appelé plus haut ‘les Pays-Bas actuels’ et l'une des langues officielles de la Belgique, à savoir celle de la Flandre ou de ‘la région flamande’, comme on dit plus couramment dans le contexte politique actuel. Ce que nous appelons de nos jours ‘dialectes néerlandais’ est un ensemble de parlers locaux d'origine germanique. Les parlers germaniques sont apparentés aux parlers romans ainsi qu'aux parlers celtiques, grecs, slaves et indiens, et ils constituent tous ensemble la famille indo-européenneGa naar eind(8). A la suite de ce qu'on appelle la ‘première mutation consonantique’, les parlers germaniques se sont écartés du reste des langues indo-européennes, et cela plusieurs siècles avant notre ère. Au sein de la famille des langues germaniques encore vivantes à l'heure actuelle, nous distinguons les parlers germaniques du Nord ou scandinaves et les parlers germaniques de l'Ouest. Ce dernier groupe se subdivise, d'une part, en parlers anglais et frisons et, d'autre part, en parlers germaniques continentaux. La différenciation entre les dialectes haut-allemands et les dialectes germaniques continentaux du Nord (les dialectes bas-allemands et les dialectes néerlandais), qui s'est terminée vers 700 après J.C., résulta principalement d'un processus appelé la ‘deuxième mutation consonantique’Ga naar eind(9). Celle-ci a commencé dans la partie sud des régions germaniques continentales. Elle a influencé les dialectes des régions germaniques méridionales (la Suisse, l'Autriche et le Sud de l'Allemagne actuelle), s'est étendue aux régions germaniques centrales pour s'arrêter, enfin, sur l'axe Aix-la-Chapelle - Düsseldorf - Cassel - Magdebourg - Francfort-sur-l'OderGa naar eind(10).
Nous ne nous attarderons pas, dans le cadre du présent article, à donner une description exhaustive des différences qui existent entre les deux branches du groupe des dialectes germaniques continentaux. Nous nous bornerons à en donner | |
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quelques illustrations. La consonne [p] commune aux dialectes germaniques continentaux, est devenue, suivant la place qu'elle occupait dans le mot, [pf] ou [f] dans les dialectes haut-allemands, alors qu'elle s'est maintenue telle quelle dans les dialectes continentaux du Nord. Ainsi les mots néerlandais: paard, slapen, correspondent aux mots haut-allemands: Pferd [pf], schlafen [f]. La consonne originale [t] s'est transformée en [ts] ou [s] dans les dialectes haut-allemands, alors qu'elle s'est maintenue dans les dialectes néerlandais. Comparons les mots néerlandais: tien, eten, avec les mots haut-allemands: zehn [ts], esen [s]. En | |
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outre, dans certains dialectes haut-allemands, [d] est devenu [t]; en néerlandais: dag [d], en haut allemand: Tag [t].
On voit que ce sont les dialectes hautallemands qui se sont de plus en plus écartés du système phonétique germanique primitif. Nous pouvons donc affirmer, sur ce point, que les dialectes néerlandais représentent un stade antérieur, c'est-à-dire qu'ils sont restés plus proches de l'ancienne langue germaniqueGa naar eind(11). Les dialectes parlés à l'extrémité occidentale des régions germaniques continentales - en d'autres termes les dialectes parlés dans les territoires formant aujourd'hui les Pays-Bas, la Belgique et le Nord de la France, qui n'ont pas été atteints par la deuxième mutation consonantique - se trouvent à l'origine de la langue néerlandaise, tandis que, de son côté, la langue allemande s'est développée à partir des dialectes haut-allemands. L'allemand et le néerlandais remontent donc à des groupes de dialectes différents, qui n'étaient pas seulement distants les uns des autres sur le plan géographique, mais qui se caractérisaient, en outre, par de nettes différences d' ordre linguistique. Au cours des dix-huitième et dix-neuvième siècles, l'allemand a fini par devenir la langue de culture non seulement dans les régions où l'on parlait les dialectes haut-allemands, mais aussi dans l'Allemagne du Nord, où avait jusque-là régné le bas allemandGa naar eind(12) etGa naar eind(13). Reste la question de savoir pourquoi l'on continue de confondre les termes de hollandais, de flamand et de néerlandais: ‘... Aujourd'hui, c'est le hollandais qui est enseigné dans la Belgique flamingante, sous le nom de néerlandais (nederlandsch)’Ga naar eind(1). Affirmons d'emblée que c'est le néerlandais, et non pas le hollandais, qui est enseigné aussi bien en Belgique flamingante qu'aux Pays-Bas. Le dictionnaire confond ici dialecte et langue,
Jacob van Maerland (1221/1235- ± 1300) à Damme en Flandre occidentale.
ce qui, en l'occurrence, nous induit en erreur. Tel qu'il est enseigné aujourd'hui, tel qu'il est pratiqué comme langue officielle dans la vie publique en France, sauvegardé et promu par l'Académie française, le français est une langue de culture distincte, en tant que telle, des parlers gallo-romans comme le champenois, le picard ou le francien. C'est le francien, le dialecte de l'Ile-de-France, qui s'est trouvé à l'origine du français. Par sa diffusion et par son utilisation comme langue officielle et comme langue usuelle commune en de hors de l'Ile-de-France, le français a fini par mener l'existence d'une langue indépendante. Nous n'avons pas besoin d'énumérer ici les avantages que présentent la maîtrise et la pratique d'un tel langage usuel. Après tout, qu'il s'agisse du français, du néerlandais ou de toute autre langue, c'est la nécessité d'un moyen de communication dépassant les parlers locaux, les dialectes, qui explique la naissance | |
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Le ‘Statenbijbel’, imprimé à Leyde en 1637.
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de toute langue de culture. Qu'en France le francien se soit trouvé à l'origine de ce moyen de communication supralocal, cela n'est pas dû à des raisons d'ordre linguistique. Cela résulte du simple fait que la région prédominante, aussi bien du point de vue politique que sous l'angle économique, est imitée par les autres régions, y compris en ce qui concerne son parler. Dès lors, les autres parlers voient décliner leur prestige. Tout au plus apporteront-ils encore quelques accents, quelques termes ou tournures à l'idiome commun.
Avant la naissance et la généralisation d'une langue néerlandaise usuelle, les dialectes néerlandais étaient désignés sous le nom de Dietsche dialecten ou Duytsche dialecten, soit dialectes thiois, le mot Dietsch ou Duytsch signifiant ‘du diet’, c'est-à-dire: du peupleGa naar eind(14). Ils se distinguaient ainsi des dialectes étrangers, c'est-à-dire du latin et des dialectes wallons (au sens de français). La pluralité des dialectes thiois n'exclut nullement que même au Moyen Age, on ait aspiré, déjà, à un langage plus uniforme. Ceux qui écrivaient, notamment, désiraient en général avoir le plus grand nombre de lecteurs possible. Aussi évitaient-ils les tournures et les mots qui leur semblaient trop particuliers, trop locaux, pour les remplacer par d'autres, dont ils savaient ou croyaient qu'ils seraient compris en dehors de leur propre région. ‘En ce qui concerne la langue aussi, les centres importants et les couches supérieures de la population font autorité...’... ‘La langue dans laquelle sont écrites les oeuvres littéraires est aussi la langue de la région, même si certains auteurs (un Jacob van Maerlant, par exemple), s'efforcent d'éviter des termes trop exclusivement régionaux afin de rendre leur oeuvre accessible à un cercle plus large d'intéressés’Ga naar eind(15). Au Moyen Age, les dialectes flamands
Joost van den Vondel (1587-1679).
vont jouer assez tôt un rôle considérableGa naar eind(16), parce que grâce à des villes comme Ypres, Bruges et Gand, le comté de Flandre s'est acquis un grand prestige sur le plan économique et politique et, partant, dans le domaine culturel. Le comté de Flandre est limitrophe de la France. Il entretient d'étroites relations commerciales avec celle-ci et il est un fief du roi de France. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les Français sachent que le flamand existe et ils recourent aussi à ce terme pour désigner les autres dialectes thiois, c'est-à-dire néerlandais, qui sont parlés au-delà du comtéGa naar eind(17). Initialement, la Flandre donnait le ton et, par là même, le flamand, c'est-à-dire les dialectes parlés en FlandreGa naar eind(18). ‘Le succès des romans de chevalerie flamands, du Reinaert (version néerlandaise du Roman de Renart) et surtout des nombreux écrits de Jacob van Maerlant, appuyé sans doute par l'autorité de la langue des villes | |
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Pieter Corneliszoon Hooft (1581-1647).
flamandes importantes, conférait à la langue littéraire flamande une certaine supériorité sur la langue littéraire brabançonne’Ga naar eind(19). C'est l'ensablement de l'estuaire du Zwin qui devait provoquer le déclin du port maritime et du centre commercial maritime qu'était la ville de Bruges. Au quinzième siècle, l'hégémonie passe aux régions brabançonnes. Les différentes régions où sont parlés les dialectes néerlandais appartiennent grosso modo aux ducs de Bourgogne. Anvers devient le port mondial de l'époque, le Grand conseil siège à Malines. Bruxelles devient une ville résidentielle et Louvain est choisi comme siège de l'université qui vient d'être créée. Il résultera de cette nouvelle situation économique et politique que les auteurs enricheront dorénavant d'éléments principalement brabançons la langue littéraire à prédominance flamande, qui comportait aussi des mots de leur région d'origine.
L'hégémonie du Brabant ne durera pas non plus. Les XVII provinces, réunies par Charles-Quint, comprenaient grosso modo le Benelux actuel, à l'exception de la principauté de Liège, mais avec en plus une partie importante du Nord de la France, c'est-à-dire le comté d'Artois et l'évêché de Cambrai. La répression de l'insurrection des Pays-Bas méridionaux sous Philippe II, avec la prise d'Anvers en 1585, mit fin non seulement à l'hégémonie du Brabant, mais aussi à l'unité des Pays-Bas telle que l'avait voulue Charles Quint. La région septentrionale s'émancipa pour former par la suite les Provinces-Unies, où devaient se refugier des dizaines de milliers de personnes qui, refusant de se soumettre à l'autorité de Madrid, pour des motifs d'ordre politique ou religieux, fuyaient les Pays-Bas espagnols. Elles furent très nombreuses à s'établir en Zélande et surtout en Hollande, plus particulièrement à Amsterdam. ‘Aucune autre ville néerlandaise, depuis la fin du seizième siècle, n'a attiré autant d'étrangers provenant aussi bien des autres provinces que de l'étranger, aucune ville n'a exercé autant d'influence sur la genèse du néerlandais tel que nous le parlons et l'écrivons à l'heure actuelle’Ga naar eind(20). En 1637 paraît à Leyde le Statenbijbel, c'est-à-dire la traduction néerlandaise de la Bible, à laquelle avaient collaboré non seulement des Hollandais, mais aussi des Flamands et des Brabançons. ‘Ces contacts vivants devaient forcément aboutir à une certaine interpénétration sur le plan linguistique; la langue mixte qui naît ainsi des langues brabançonne et hollandaise constitue le prototype du néerlandais’Ga naar eind(21). Si la grande masse des Hollandais continue de se servir couramment du dialecte hollandais, les classes supérieures sont plutôt enclines à épurer leur langue en abandonnant | |
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Jan-Frans Willems (1793-1846).
les particularités locales: les Hollandais (et parmi eux Pieter Corneliszoon Hooft, écrivain hollandais qui a contribué à former la langue classique de son pays) se mettent à parler davantage le flamand brabançon, tandis que, de leur côté, les Flamands et les Brabançons (et notamment Joost van den Vondel, grand poète hollandais) se tournent davantage vers le hollandais. Ce mélange d'éléments hollandais et flamando-brabançons servira de modèle à tous ceux qui veulent se servir d'une langue raffinée et en généraliser l'emploi, avec cette restriction, toutefois, que dans sa forme parlée, elle conservera principalement son caractère hollandais, alors que les influences flamando-brabançonnes persisteront dans sa forme écriteGa naar eind(22). Le néerlandais ainsi constitué franchira les limites d'Amsterdam et de la Hollande pour être accepté finalement par les personnes cultivées dans les autres provinces. Enfin, par l'intermédiaire de l'administration et de l'enseignement, qui se chargent d'en assurer le prestige et de le diffuser, ce néerlandais deviendra la langue officielle des Pays-Bas. Du point de vue historique, il est dès lors parfaitement compréhensible que même au vingtième siècle, on ait encore tendance à recourir au terme hollandais, pour désigner le néerlandais. Toutefois, il s'agit là d'une confusion qu'il est préférable d'éviter.
La république des Provinces-Unies du dix-septième siècle et le royaume des Pays-Bas tel que nous le connaissons au vingtième siècle ne comprennent pas l'ensemble de tous les territoires où se parlent les dialectes néerlandais. Au régime espagnol (1598-1713) succéda le régime autrichien (1713-1790). En 1795 vinrent les Français, auxquels les Pays-Bas avaient déjà dû céder des territoires importants, à savoir l'Artois et une partie de la Flandre. Sur toute l'étendue des Pays-Bas méridionaux, la langue officielle de l'administration sous les régimes espagnol, autrichien et français, n'est pas le néerlandais mais le français. Sur ce point, il y a lieu de parler d'une barrière entre les couches inférieures de la population et une partie des classes supérieures qui s'exprimaient en français ou qui, du moins, se prétendaient francophones. Il ne s'agissait donc pas, en l'occurrence, d'une barrière linguistico-géographique, mais d'une barrière linguistico-sociale. Telle était la situation en 1815, après la défaite de Napoléon à Waterloo, lorsque les Pays-Bas méridionaux et les Provinces-Unies septentrionales se trouvèrent à nouveau réunis, après une séparation de plus de deux siècles, pour former le royaume des Pays-Bas (1815-1830) sous le roi Guillaume ler. En 1819, le gouvernement promulgua un décret stipulant qu' à partir de 1823, le néerlandais serait l'unique langue officielle dans les provinces de Flandre occidentale, Flandre orientale, Anvers et Limbourg. Quatre ans plus tard, le décret fut étendu à la | |
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Guido Gezelle (1830-1899).
partie flamande de la province du Brabant, c'est-à-dire aux arrondissements de Bruxelles et de LouvainGa naar eind(23). A un moment donné, tout semblait indiquer qu'à l'exception du Nord de la France, le néerlandais couvrirait officiellement l'ensemble des territoires où étaient parlés des dialectes néerlandais.
L'attitude énergique qu'adoptait le roi Guillaume ler en cette manière devait amener l'aristocratie et les fonctionnaires francophones ou francophiles en Flandre à se sentir lésés. Craignant qu'avec le néerlandais - le hollandais, comme on disait dans le contexte de l'époque - ne s'introduisît aussi le calvinisme, le clergé catholique, lui aussi, s'opposait à cette politique. Tous ceux, ou presque, qui disposaient de quelque autorité en Flandre se firent les adversaires déclarés de la politique de Guillaume lerGa naar eind(24). La révolution belge de 1830 devait accentuer encore davantage ces sentiments antihollandais. La Belgique deviendrait un Etat de langue française. Les législateurs se rendaient compte, cependant, que la grande majorité de la population du nord du pays ne parlait ou ne connaissait pas le français. Alexandre Gendebien, qui était membre du Gouvernement provisoire et du Congrès national, déclarait: ‘Le gouvernement s'est occupé de cette question qui n'est pas sans présenter des difficultés. Il faudrait publier une traduction dans tous les dialectes flamands (marques d'étonnement). Sans doute, et ces dialectes sont très nombreux. Je ne m'y connais pas, mais des gens experts en cette matière nous l'ont assuré. Le gouvernement provisoire a abandonné le soin des traductions aux autorités locales’Ga naar eind(25).
Le romantisme, qui porte un intérêt particulier à tout ce qui concerne le peuple et à ce qui lui est propre, va provoquer un désir de plus grande ‘authenticité’, notamment quant à l'utilisation de la langue populaire, et cela va inévitablement se retourner contre la prédominance d'une langue étrangère, en l'occurrence le français. C'est là qu'il faut situer l'un des éléments essentiels qui ont abouti au Mouvement flamand, que ses adversaires, en manière de reproche, qualifiaient de flamingantisme. Initialement, les flamingants n'étaient pas d'accord entre eux sur le point de savoir quelle langue de culture devait, en Flandre, se substituer au français. En effet, il n'existait pas dans la région nord de la Belgique de langue flamande partout admise, qui pût se superposer aux différents dialectes. D'aucuns, que l'on appela les particularistes, voulaient créer cet idiome flamand commun. Ce fut le cas notamment du poète Guido Gezelle, aux yeux duquel seul un néerlandais teinté d'éléments empruntés aux dialectes de la Flandre occidentale pouvait | |
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Première édition (1864) du Dictionnaire de la langue néerlandaise.
être à même de préserver le peuple de tout ce qui lui apparaissait comme étranger, c'est-à-dire aussi bien le hollandais calviniste que le français libéral et libertin. Mais chez d'autres, comme Jan-Frans Willems, père spirituel du Mouvement flamand, à qui n'avait pas répugné la courte réunion de la Belgique (et plus particulièrement de la Flandre) et des Pays-Bas, le souvenir des origines communes, de la parenté ethnique et linguistique se trouvait ravivé. Ainsi, le particularism elinguistque dut céder peu à peu devant le désir d'alignement sur la langue néerlandaise telle que, depuis les seizième et dix-huitième siècles, elle s'état développée sans interruption dans les milieux cultivés aux Pays-Bas.
Après quelques décennies se réalisa de nouveau un rapprochement entre Néerlandais et Flamands, rapprochement que devaient favoriser notamment les congrès biennaux organisés depuis 1849 et auxquels participèrent des linguistes du Nord et du Sud. C'est à l'occasion de ces congrès que fut notamment conçue la publication du Groot Woordenboek der Nederlandse Taal (Grand dictionnaire de la langue néerlandaise), dont le premier fascicule devait paraître en 1864. L'élaboration de l'ouvrage nécessitait l'usage d'une orthographe uniformisée. La première orthographe commune, due à De Vries et Te Winkel, fut adoptée en 1864 par la Belgique et en 1883 par les Pays-Bas.
Parallèlement à l'émancipation graduelle des Flamands, sur le plan social et politique, au cours des cent dernières années, fut élaborée en Belgique une législation qui devait contribuer à la néerlandisation progressive - on disait alors flamandisation - de l'enseignement, de l'administration, de la justice, de l'armée et des entreprises. Cette évolution aboutit à la reconnaissance de l'entière autonomie culturelle des deux communautés linguistiquesGa naar eind(26). Il est évident que ce processus s'est heurté à de fortes résistances, comme devaient encore le prouver récemment les réactions suscitées par le décret du 6 septembre 1973 sur l'emploi des langues dans les entreprises, voté à l'unanimité par le Cultuurraad flamand. Celui-ci possède, comme son homologue, le Conseil culturel français, le droit de légiférer dans son domaineGa naar eind(27). Le processus de néerlandisation de la Flandre a été couronné officiellement par le décret du 10 décembre 1973 fixant la dénomination officielle de la langue employée par la Communauté culturelle néerlandaise de Belgique, publié au Moniteur belge du 10 avril 1974, et qui stipule en son article ler: ‘Cette dénomination est le néerlandais ou la langue néerlandaise’ Ga naar eind(28).
En résumé, le terme de néerlandais dé- | |
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signe la langue de culture commune au royaume des Pays-Bas et à la Belgique septentrionale. Le terme de hollandais s'applique aux différents dialectes parlés dans les provinces de Hollande septentrionale et de Hollande méridionale. Le terme de flamand recouvre, dans l'usage actuel, l'ensemble des dialectes néerlandais parlés en BelgiqueGa naar eind(29). L'utilisation des termes de flamand et de hollandais pour désigner le néerlandais est dès lors erronée parce qu'imprécise et dépassée. Le néerlandais, langue de culture au Nord comme au Sud, coexiste avec les dialectes dont il est né, auxquels il se superpose et dont il continue à se nourrir. Grâce à lui, on s'achemine vers l'intégration culturelle du ‘Delta d'or’, dont l'importance sera de plus en plus manifeste au fur et à mesure que se réalisera la Communauté européenneGa naar eind(30). Entourés de trois communautés linguistiques importantes - française, allemande et anglaise -, Flamands et Néerlandais réunis constituent une communauté non négligeable de quelque vingt millions de personnes parlant une seule et même langue: le néerlandais. | |
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Nous tenons à exprimer ici notre gratitude à tous ceux qui ont voulu lire le manuscrit et nous ont fourni de précieuses observations, plus particulièrement à P. Brachin, C. Moeyaert, P. Paardekooper, G. Geerts, L. Fessard, A. Vanneste et W. Devos. Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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