Septentrion. Jaargang 4
(1975)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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les açores, îles flamandes?liliane woutersNée à Ixelles (Bruxelles) en 1930. Institutrice à Ixelles. Elle a publié des recueils de poèmes: La Marche forcée (Editions des Artistes, 1954), Le Bois sec (Gallimard, 1959), Le Gel (Seghers, 1966), Point mort (en préparation); des traductions: Belles heures de Flandre (poésie, Seghers, 1960), Guido Gezelle (collection ‘Poètes d'aujourd'hui’, Seghers, 1964), Bréviaire des Pays-Bas (Editions Universitaires, 1974); Reynart le goupil (Renaissance du Livre, 1975); théâtre: Oscarine ou les Tournesols (Rideau de Bruxelles, 1964), La Porte (festival du Jeune Théâtre, 1967). Elle a reçu les prix littéraires suivants: Scriptores Catholici (1955), Renée Vivien, Société des Gens de Lettres, Paris (1955), Polak, de l'Académie, Bruxelles (1956), Nuit de la Poésie, Paris (1956), Triennal de Littérature du Gouvernement, Bruxelles (1962), Louise Labé, Paris (1967). Prépare un roman qui se passe au XVème siècle, en Flandre et aux Açores et une anthologie de la poésie française de Belgique à paraître sous peu chez Jacques Antoine. Elles sont neuf, comme les Muses. Comme ceux des Muses, qui d'entre nous pourrait citer leurs noms? Mais plus qu'aux soeurs de Phoibos, elles font penser à Eole. Pas de bulletin météorologique qui ne mentionne leur existence. Pour le bon peuple du petit écran, leur royaume est celui des Vents. Ai-je l'âme insulaire? Les îles, toujours, m'ont fascinée. Plus particulièrement celles de l'Atlantique. Enfant, je rêvais sur les cartes, nappes mauves parsemées de taches aux noms magiques: Désolation, Tristan da Cunha, Sainte-Hélène. Archipel du Cap Vert, Madère, Açores. Il n'y a guère, j'eus un choc en feuilletant le guide Nagel: ‘Henri le Navigateur (y) fit venir beaucoup de Flamands et c'est surtout eux qui colonisèrent les îles.’ La petite phrase traça en moi un long sillage. Franchit l'espace. Balaya le temps. Les voiles des caraques se gonflèrent - à moins que ce ne fussent des caravelles. Les tours de Bruges disparurent à l'horizon: Notre-Dame, le Bourg, Saint-Donatien. Mes Flamands faisaient route vers leurs îles. Combien étaient-ils donc? Qui étaient-ils? Quand débarquèrent-ils là-bas? Pourquoi nos manuels scolaires ignorent-ils leur existence? Je décidai de retrouver ces explorateurs méconnus. Le Guide Bleu donnait déjà plus de détails: ‘Parmi les premiers habitants se trouvèrent ainsi non seulement des paysans des diverses provinces du Portugal, mais des Flamands amenés par des capitaines tels que Jacome de Bruges (Terceira), Willem van der Haegen (São Jorge) et Josse de Hurtere (Fayal), ce dernier ayant implanté à Fayal, en 1466, 2000 artisans et laboureurs des Flandres’. Deux mille? Diable! L'aventure prenait corps. ‘Deux mille, des deux sexes’ précisait Claude DervennGa naar eind(1). Quant à 't SerstevensGa naar eind(2), il allait encore plus loin: ‘...ce n'est pas non | |||||||||||||||||||||||
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Conformément à l'opinion de nos cartographes du XVIe siècle, qui attribuaient erronément aux Flamands la découverte des îles Açores, on observera, vers le centre droit de ce fragment d'une mappemonde de Mercator, que l'archipel est appelé Açores insulae, alias Flandriae (Musée Plantin-Moretus, Anvers).
plus de Bretagne que sont venus les grands moulins à quatre ailes qu'on voit un peu partout dans la région. Il faut bien qu'ils aient été importés ici comme à Fayal et à Pico par les milliers de colons venus au XVe siècle de Bruges et d'Ostende’. Des milliers de colons dont notre histoire n'aurait gardé aucune trace? Il s'avérait urgent de retourner aux sources. Quels historiens avaient abordé le sujet? Pas un mot dans Pirenne, rien chez les biographes des ducs de Bourgogne. Sans doute nos Açoréens sommeillaient-ils entre les pages de quelques livres poussiéreux, mémoires chargés d'ans, vieilles publications d'Académie. Ils y étaient. Enfouis dans un labyrinthe d'affirmations contradictoires. J'écartai tout de suite les témoignages non contrôlés, susceptibles de complaisance, hâtifs. Prétendre, comme le firent les SiegenbeekGa naar eind(3), ReiffenbergGa naar eind(4) et autres VoisinGa naar eind(5) qu'un certain Josué Van den Berghe, de Bru- | |||||||||||||||||||||||
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ges, découvrit cet archipel relève évidemment de la plus haute fantaisie. Déclarer que les îles furent données à l'épouse de Philippe le Bon, Isabelle de Portugal, est tout aussi erroné. La duchesse a-t-elle, de ses deniers, soutenu les premiers colons? C'est peu probable. Mais son rôle dans leur départ (peutêtre à l'instigation de l'infant Dom Fernando), ou tout au moins l'influence exercée par sa suite portugaise paraissent moins sujets à caution. J'aimerais rapprocher ici deux événements dont la coïncidence ne semble avoir frappé personne: le grand exode (?) cité par des compilateurs de deuxième ou de troisième main se situerait vers les années 1465. C'est-à-dire peu après qu'une mésentente avec Philippe le Bon eut poussé la duchesse de Bourgogne à se réfugier quelque temps dans le couvent des Soeurs Grises qu'elle venait de fonder à Nieuport... Rejoignons le domaine des certitudes. En dépit d'une certaine imprécision - et bien qu'ils aient fait la part trop belle à l'imaginaire, le premier surtout -, P.J. BaudetGa naar eind(6) et Em. Van den BusscheGa naar eind(7) apportent nombre de détails intéressants. Mais le meilleur ouvrage consacré à la question me semble être celui de Jules MeesGa naar eind(8): clair, objectif, appuyé sur des documents irréfutables. Il est dommage qu'en son temps, outre ses recherches à Londres, Munich, Naples et Vienne, Jules Mees n'ait pu se rendre aux Açores. Quel jeune chercheur d'aujourd'hui, disposant des facilités de notre époque, mais aussi tenace, aussi scrupuleux que Mees pourrait aller sur place et y étudier, par exemple, la pérennité de la présence flamande? Car c'est incontestable: nos compatriotes jouèrent leur rôle, sinon dans la découverte, du moins dans la colonisation d'une partie de l'archipel. ‘Insulae Flandricae, Isles Flamandes, Vlaemsche Eylanden’ sont, au XVIe siècle synonymes des Açores. Par extension, pourrions-nous dire, seules trois îles ayant droit à cet adjectif, à savoir Terceira, Fayal, São Jorge. Terceira, liée effectivement au nom de Jacome de Bruges, São Jorge à celui de Willem van der Haegen, Fayal dont quatre générations de Hurtere présidèrent au destin. Que savons-nous exactement au sujet de ces hommes? Récits plus ou moins authentiques, traditions incontrôlables: la tentation est forte d'y prêter l'oreille. Bornons-nous donc à recenser des faits. L'archipel fut ‘redécouvert’ dans son entièreté pendant la première moitié du XVe siècle. Toutes les îles étaient désertes. N'y vivaient que des oiseaux de proie que les navigateurs prirent pour des ‘açors’ (vautours). Avant même l'arrivée des colons, on y débarqua du bétail. Pour favoriser le peuplement humain, les rois de Portugal créèrent la charge de capitaine-donataire accordée soit en récompense de services rendus, soit en vue d'obtenir des investissements. En ce qui concerne Jacome (ou Jacques) de Bruges, figure très réelle mais qu'il est difficile de cerner, tant l'histoire se mêle à la légende, il est acquis 1) qu'il fut bien le premier capitaine-donataire de Terceira 2) qu'il s'établit dans l'île aux environs de 1450 sur le territoire appelé Praya - l'autre, celui d'Angra, fut colonisé plus tard par Alvaro Martins Homem - 3) qu'il mourut vers les années 1470 dans des circonstances restées mystérieuses 4) qu'après sa mort le Portugais João Vaz Cortereal lui succéda dans sa charge, mais choisit la capitainerie d'Angra tandis qu'Alvaro Martins Homem entrait en possession de Praya 5) qu'un certain Pero Goncalves, se disant fils naturel de Jacome (lequel était mort sans postérité connue) revendiqua la charge du Brugeois mais, ne pouvant appuyer ses prétentions, se vit débouté de sa demande. C'est peu, et c'est beaucoup. Quel roman | |||||||||||||||||||||||
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l'on pourrait tirer de ces données! De Willem van der Haegen, nous savons moins encore. Bien qu'à son nom soient associées maintes anecdotes. Et que BaudetGa naar eind(6) produise son arbre généalogique - ou plutôt celui de sa descendance. Le fait est que ce van der Haegen, devenu ‘Vanderaga’ puis ‘da Silveira’ a laissé son patronyme à beaucoup d'Açoréens. D'où venait-il? Peutêtre de Bruges ou de Gand, plus probablement de Maastricht. S'il vécut surtout à São Jorge, on le vit aussi quelques années à Florès - la plus lointaine des îles. Les historiens portugais lui font la part belle, dans leurs chroniques, et c'est assez flatteur pour notre orgueil national. Etait-il, ou n'était-il pas l'époux d'une certaine Marguerite Sabuya? C'est bien possible. Mais il est plus difficile d'admettre qu'‘il fit venir de Flandre deux vaisseaux chargés de monde, d'ouvriers de diverses professions, et de provisions de toutes sortes’Ga naar eind(9). Pourquoi nos archives seraient-elles muettes à ce sujet? Comme, d'ailleurs, à propos du départ des 2000 colons qui auraient accompagné Josse de Hurtere? Arrêtons-nous plus particulièrement à ce dernier. D'abord parce qu'il est beaucoup plus aisé de suivre sa trace. Ensuite parce que c'est à Fayal que le rôle des Flamands a été le plus important. Ce n'est pas sans raison que, sur son globe célèbre (1492), Martin BehaimGa naar eind(10) baptise Fayal ‘Neu Flandern’. Qui donc était ce Josse dont le patronyme serait à l'origine du nom de la capitale de l'île, ‘Horta’? Fils de Léo, bailli de Wynendale et seigneur de Haegenbrouc, Josse de Hurtere appartenait à une noble famille de la région brugeoise. En 1336, Louis et Barthélémy de Hurtere sont échevins du Franc de Bruges, fonctions que remplirent, après eux, plusieurs de leurs descendants. Josse partit aux Açores vers 1465. Quitta-t-il Bruges avec des centaines, voire des milliers de concitoyens? C'est improbable. MeesGa naar eind(8) cite les noms de quelques-uns des compagnons de Josse: ‘Guillaume Bersmacher, Tristão Vernes, ancien habitant de la ville de Bruges, N......, Affonso “mestre d'un navio”, Antonio Brum et Joz da Terra’. Sans doute était-ils plus nombreux. En connaîtrons-nous jamais davantage à ce sujet? Sur le départ de Hurtere, je ne résiste pas au plaisir de citer Claude DervennGa naar eind(1). Certes l'Histoire, dans ces lignes, ne trouve pas son compte. Mais qu'elles sont évocatrices! ‘Voyez-le, ce Josse en pourpoint, attaché à la maison de Bourgogne, et qui a entendu à la cour de Bruges, un certain franciscainGa naar eind(11) raconter merveille de ces îles qu'il croit être les Cassitérides en lesquelles il “y avait moult argent et étain”. Josse partit avec ses trois frères qui pensaient s'enrichir. A Lisbonne, une fille d'honneur de l'infante, la sage et noble Brites de Macedo accepta de l'épouser et de le suivre dans l'île déserte qu'il allait peupler. Lorsqu'elle débarqua dans cette anse, songeant aux angoisses qui l'avaient assaillie durant la traversée à la pensée que des bêtes féroces pouvaient vivre en son île, elle remercia Dieu de n'y trouver que des oiseaux et fit bâtir un oratoire là où s'élève aujourd'hui l'église de la Vierge des Angoisses, Angustias.’ Il est exact que Josse avait trois frères (et même quatre) mais douteux qu'ils partirent avec lui. Par contre, il épousa bien cette Brites de Macedo, attachée à la maison de l'infant Dom Fernando, et de laquelle il eut plusieurs enfants. Capitaine-donataire de Fayal, il connut, dit-on, des débuts très difficiles mais se montra excellent administrateur. Il mourut vers 1495, laissant sa charge à son fils aîné et homonyme - en portugais Jobs de Hutra, plus tard d'Utra. Celui-ci était devenu le gendre de João Vaz Cortereal (successeur de Jacome de Bruges à Terceira). | |||||||||||||||||||||||
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Il exerça ses fonctions pendant plus d'un demi-siècle - jusqu'en 1549. Lui succédèrent: d'abord son fils, Manuel de Hutra Cortereal, ensuite son petit-fils Jeronimo, dernier capitaine-donataire de la lignée. Comme celle des Silveira, la descendance des Hutra (d'Utra, Dutra) a essaimé dans toutes les îles. Où l'on trouve également des Brum (Bruyn?), Grota (De Grote?), da Rosa (De Roze?), Dulmo (van den Olm?). Seule une étude locale pourrait nous renseigner avec précision. Qu'ils furent des dizaines ou des milliers, que nous importe? Leur aventure mérite d'être mieux connue. Voilà cinq siècles, des gens de nos plaines ont débarqué là-bas, frappés sans doute par les hautes falaises noires sans cesse battues des flots, les montagnes aux flancs de pierre ponce, les laves, les tourbières, sous lesquelles sommeillait pourtant un sol fertile. Et que nous reste-t-il d'eux, aujourd'hui? Au bout de trente ans, ils ne parlaient plus leur langue - rien de surprenant à cela, l'élément portugais étant de loin le plus nombreux. Pourtant, bien des signes demeurent; on est tenté de dresser un inventaire à la façon de Jacques Prévert:
Sans compter tout ce que nous ignorons encore. Toujours fascinée par les îles atlantiques - surtout par les Açores, Dieu sait, oui, cela existe, l'atavisme! - l'auteur de ces lignes espère bien, quelque jour, poursuivre nos colons non plus entre les feuilles des grimoires mais sur l'archipel même. Pour retrouver - peut-être - au milieu des azujelos et des hortensias bleus, quelque authentique souvenir venu de Flandre. N.B.: Il va sans dire que cette bibliographie est loin d'être exhaustive! |
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