précisément cette force vitale qui, à la fois forte, éphémère et fragile, est paradoxalement aussi ‘ce sel vital: fugitivité’. Dès ses premiers poèmes, le paradoxe domine le lyrisme vital de Verbeeck: la conscience de la fugacité de toute chose confère force et saveur à la vie.
Ce sens fervent de l'unité paradisiaque, que pénètrent cependant la mélancolie et le soupçon de la fugacité, ne durera pas. L'expérience communautaire de la guerre brisera l'élan vital de Verbeeck, contribuera à élargir son vitalisme individualiste et à l'enrichir d'une dimension tragique. Evoquons, en passant, la figure de Paul Eluard, le grand chantre de l'amour et de la femme auquel Verbeeck fait parfois songer, tant par ses thèmes que par son expression. Bien sûr, Eluard est plus lyrique, plus complexe, plus engagé socialement et politiquement que le poète serein qu'est Verbeeck. Celui-ci adoptait une attitude plutôt prophétique alors qu'Eluard s'est engagé personnellement et passionnément dans le communisme. Le poème Gebed 1940 (Prière 1940) illustre cet aspect prophétique, cette flamme intérieure. Le désarroi, l'exclamation ‘Que surgisse l'incertitude!’ et, principalement, la conscience que le poète vit
‘entre un monde qui se meurt
et un monde impuissant encore à se lever’,
témoignent d'un vitalisme mûri et élargi. Huit ans plus tard, Verbeeck publia le recueil Op het spalier der maanden (1948 - Sur l'espalier des mois), qui contient une poésie plus sereine, celle d'un homme qui semble faire le bilan de sa vie.
Il fallut attendre 1964 avant que le poète ne se remît à écrire. Les quatre recueils qui parurent depuis constituent la partie la plus importante de son oeuvre. Le poète s'est fait plus classique, moins mystérieux et moins littéraire encore. Toutefois, rien d'essentiel n'a changé, ni pour le fond ni pour la forme. Le recueil De zomer staat hoog en rijp (1965 - L'été est haut et mûr) évoque l'été de la vie. Il s'agit, une fois de plus, d'une glorification vitaliste de la vie mûre et mûrie, mais déjà la mort guette. Deux vers lui suffisent pour exprimer cette idée:
‘L'été de la vie est haut et mûr
et bientôt viendra l'heure de la guêpe’.
Le paradoxe d'autrefois, ‘ce sel vital: fugitivité’ subsiste toujours. Verbeeck écrit une sorte de Cantique des cantiques sur l'amour conjugal, aux métaphores parfois bibliques, du reste, et à l'expression parfois légèrement archaïsante. En réalité, il n'a jamais changé de sujet, sauf dans le désarroi de la guerre, qui menaçait le sentiment d'unité de la vie, cette connivence avec l'univers entier. Du point de vue anecdotique, il peint dans ce recueil toute la vie, toute sa vie: un premier amour, les enfants, la joie et la peine, les soucis, l'amour mûri. Une fois de plus, la vie et l'amour ne semblent faire qu'un. L'amour est en quelque sorte une victoire sur le néant. Le poème Ik van de soort die als vlam (Moi dont la nature était flamme...) est tout simplement une confession de ce genre. Le poète y parle de son vitalisme romantique qui s'exprimait antérieurement dans un désir d'évasion que, grâce à la femme, il a su vaincre: ‘dans des mots je me serais dissipé sans vous’. La femme, la bien-aimée et l'épouse a préservé le poète - à la nature plutôt labile et inconstante,
‘tel un oiseau qui se donne
mais qui toujours s'échappe et survole de ses appels
les domaines de la réalité
comme il l'écrivit dans ‘Les amants’ - la femme, disions-nous, a préservé le poète