Quant au second volume, Menuet de Louis Paul Boon, le problème de l'introduction aura vraisemblablement été plus grand, le préfacier n'ayant pas comme c'était le cas pour Daisne, l'appui de deux films tirés des romans de l'auteur. Jacques De Decker me semble avoir résolu le problème avec brio, en sollicitant Claire Etcherelli, très proche du Boon des premières années, à la fois par ses thèmes, qui sont très engagés, et par son souci de rénovation formelle. Elle a accepté d'emblée, et avec enthousiasme, de présenter Menuet, après en avoir lu le manuscrit une seule fois. Elle n'épargne pas ses louanges, comme en témoigne le passage suivant de la préface, qu'elle intitule Les Scaphandriers:
‘Il y a dans la construction de ce roman une sorte de perfection qui s'apparente à l'écriture musicale. Mesures, rigueur, lenteur, vigueur, harmonie, chant léger, solo assourdi semblable à la voix frêle que nous renvoie l'écho, final éclatant.
Mais le plus frappant c'est que sur cette litanie de gestes quotidiens, sur ces observations patientes d'un univers feutré tombent comme des lames meurtrières les drames des autres. D'autres êtres. L'homme qui arrose la rue de billets de banque, la jeune fille attachée nue à un arbre dans la neige, le livre relié en peau de femme, la femme qui vend ses enfants pour un litre de vin, le monstre étrangleur, le prophète, l'inconnu, le sang, la torture, la mort, l'horreur de ce qui n'arrive qu'ailleurs.. Ceux-là aussi vivaient comme nous tous dans leurs caves frigorifiques, revêtus de leur scaphandre et quelque événement est venu briser leur coque de glace. Ces deux mondes, celui des drames et l'autre, celui des vies uniformes des “quatre mille pas” entre le domicile et le lieu de travail, semblent se côtoyer sans se toucher, sans s'atteindre. L'énumération sèche des faits divers chapeaute le récit. Libre au lecteur de les mêler, d'interrompre l'un pour reprendre l'autre; ils s'ignorent et se complètent pourtant.
Pas un mot inutile dans ce livre. Tout y est précision, exactitude; la phrase court, limpide et brève. Ainsi nous apparait d'autant mieux le déchirement de ces êtres que nous avions crus tranquilles, installés. Par des notations délicates, subtiles, légères comme des feuilles que le vent aurait déposées là, Louis-Paul Boon nous aide à pousser la porte des gouffres que ses personnages s'efforcent de tenir verrouillée.’
Avec ses deux premiers volumes, la collection Le plat Pays débute sous de bons augures. Jacques De Decker a la ferme intention de continuer dans la même direction. Il veut réaliser un compromis entre ce qui risque d'intéresser le public de langue française et une certaine objectivité à l'égard de la littérature néerlandaise dans son ensemble. Il n'envisage nullement de limiter la collection aux auteurs flamands, mais veut y inclure également les auteurs hollandais. Plutôt que la nationalité belge ou hollandaise, il veut faire jouer la valeur intrinsèque de l'oeuvre et il estime que certains auteurs doivent absolument figurer dans cette collection, même si en dehors des qualités littéraires rien ne les destine à être appréciés au premier abord des francophones. Il espère alors que, de toute façon, on rendra tôt ou tard justice à la qualité.
Comme nous espérons à notre tour que la collection Le plat Pays deviendra une vraie galerie de tout ce qui vaut la peine d'être connu dans la littérature néerlandaise contemporaine.
Jan Deloof