Septentrion. Jaargang 1
(1972)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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[Nummer 3]les constantes de la politique étrangère des pays-basj.h. heldringNé en 1917. Il fit ses études de droit à l'Université de Leyde. De 1945 à 1972, avec une interruption de quatre années pendant lesquelles il fut directeur du Bureau d'Information des Pays-Bas à New-York, il travailla pour le journal Nieuwe Rotterdamse Courant, dont il fut rédacteur en chef à partir de 1968. En 1972, il fut nommé directeur de l'Association néerlandaise d'affaires internationales. Napoléon a dit: ‘La politique d'un Etat est dans sa géographie’. Même à une époque où la technique a diminué les distances et vaincu d'autres limitations physiques, et même pour un petit pays, ce principe reste valable. Les traditions, les souvenirs et les réflexes jouent en effet un rôle très important dans la politique d'un pays. Tous ces éléments remontent à un passé lointain, à une époque où le facteur géographique exerçait une influence plus directe sur la politique du pays.
Il est naturel qu'un peuple comme le peuple néerlandais, habitant les estuaires de quelques-uns des plus grands fleuves de l'Europe occidentale et la côte de l'une des mers les plus fréquentées au monde, ait sur le monde un regard de négociant et de navigateur de commerce. Dès l'origine, en effet, sa situation géographique prédestinait le pays à devenir l'entrepôt commercial du monde connu alors. Une fois le pays devenu indépendant, ces éléments ont évidemment déterminé sa politique.
Mais où peut résider la cause de la grande différence entre l'histoire des Pays-Bas et celle de la Belgique, dont la situation géographique est quasi identique et dont les villes commerciales ont également joué un rôle considérable? Cette question est d'autant plus justifiée qu'aux Pays-Bas on parle la même langue que dans la partie la plus grande et longtemps la plus prospère de la Belgique contemporaine, la partie septentrionale. Les différences dans l'histoire des deux pays ne peuvent être expliquées par une différence de culture.
Selon le célèbre historien Pieter Geyl (1887-1966), le facteur géographique a été décisif là aussi. Les grands fleuves, | |
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la Meuse, le Waal et le Rhin qui traversent et découpent les Pays-Bas, auraient finalement formé une barrière infranchissable pour les armées espagnoles, barrière derrière laquelle s'est retranchée la République des Sept Provinces. Celle-ci a réussi à consolider son indépendance récente sous l'aiguillon d'une minorité calviniste qui n'était plus menacée et devait devenir bientôt dominante. Le peuple néerlandais habitant au sud de ces fleuves est resté catholique et soumis. Dans les provinces du Brabant septentrionale et du Limbourg, il était soumis à l'autorité néerlandaise, dans les territoires de la Belgique actuelle à l'autorité des Habsbourg.
Il ne nous appartient pas ici d'examiner si la théorie de Geyl est l'unique théorie exacte qui puisse expliquer tous les aspects de la question. C'est un fait que vers la fin du seizième siècle naquit dans le nord des Pays-Bas de cette époque-là un Etat indépendant, dont la politique fut déterminée surtout par les intérêts des commerçants qui étaient en même temps les Régents - c'est à dire les magistrats - des villes commerçantes de l'ouest du pays, la Hollande proprement dite. Ces intérêts étaient en premier lieu des intérêts commerciaux. Ne nous étonnons donc pas si, selon l'avis du plus grand homme d'Etat du ‘Siècle d'Or’, Johan de Witt (1625-1672), représentant éminent de cette classe de régents: ‘l'intérêt de cet Etat réside dans le calme et dans la paix et dans un commerce qui n'est pas troublé’. Il est évident qu'à cette époque ‘le calme et la paix’ ne règnaient pas partout et qu'un pays prospère et puissant comme les Pays-Bas devait en tenir compte. Il ne pouvait se limiter au seul commerce Johan de Witt (1625-1672), pensionnaire des états d'Hollande (portrait de Hanneman).
tranquille. Qu'il le voulût ou non, il devait, en tant que facteur de puissance, participer au jeu des grandes puissances européennes. Mais ses intentions étaient fort différentes de celles des autres joueurs. Les Pays-Bas n'aspiraient pas à ces expansions territoriales, dont les autres semblaient vouloir faire leur raison de vivre. A certaines époques, les Pays-Bas n'auraient guère eu de difficultés à faire des conquêtes du côté des Flandres ou aux frais d'une Allemagne impuissante, mais les Régents hollandais s'y sont toujours opposés. Ce ne furent pas des motivations d'ordre moral ou idéologique qui les retinrent, mais ils se rendirent compte qu'au sein d'un pays plus vaste, l'influen- | |
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ce relative des villes hollandaises aurait été plus faible. (Liée aux dynasties continentales, la Maison d'Orange aurait bien voulu mener une politique d'expansion, mais les Régents tenaient les cordons de la bourse fermement dans leurs mains.)
Les Pays-Bas n'ont donc jamais pratiqué une politique de la force au sens propre du terme. L'expansion néerlandaise fut presque exclusivement déterminée par des facteurs d'expansion commerciale. De ce fait historique découlent les constantes qui caractérisent la politique des Pays-Bas jusqu'à nos jours.
En premier lieu, une politique déterminée surtout par les intérêts du commerce signifie que le regard des Néerlandais se tourne plus vers l'ouest, vers l'outre-mer que vers le continent. En effet, d'une manière générale, les Pays-Bas ont presque toujours manifesté une certaine répugnance à l'égard de la politique continentale.
En deuxième lieu, une politique inspirée par des intérêts commerciaux nécessite un certain ordre légal international, ‘le calme et la paix’ dont parlait Johan de Witt. Ce n'est pas un hasard que Hugo De Groot, dit Grotius (1583-1645), auteur de De Jure Belli et Pacis (1652 - Du droit de guerre et de paix) soit issu précisément de la classe des négociants néerlandais. L'accent que la politique néerlandaise a toujours mis sur l'importance de ce droit légal - qu'on devait atteindre sinon à l'échelle mondiale, du moins à un niveau régional - répond finalement à des intérêts spécifiquement néerlandais. D'habitude, on perd bien vite de vue le rapport entre les intérêts et l'idéal. Il en va de même aux Pays-Bas, où, de surcroît, les influences religieuses, calvinistes Hugo de Groot - Hugo Grotius (1583-1645).
surtout, déterminaient le moralisme politique - horreur de la politique de la force, aspiration à un ordre légal international. L'idée que les Pays-Bas aient un message particulier pour un monde guidé par une rude politique de la force n'a pas encore entièrement disparu.
Dans la pratique, qui tient peu compte de cette aversion et de ces aspirations, une politique de ce genre se résumera souvent à une tentative permanente de reconstituer un élément d'équilibre entre les Etats avoisinants. Jusqu'aujourd'hui, cette recherche de l'équilibre est l'une | |
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des caractéristiques de la politique néerlandaise. Toutes ces caractéristiques sont parfois contradictoires; il arrive aussi que la morale serve de prétexte à l'intérêt, et réciproquement. Tout cela retrouve dans la politique que les Pays-Bas ont menée après la seconde guerre mondiale à l'égard des mouvements unificateurs de l'Europe. Cet ordre légal international auquel ils avaient aspiré, les Pays-Bas en voyaient un début dans la réalisation des structures européennes. Dans une Europe supranationale surtout - du moins le croyait-on -, les décisions ne dépendraient plus longtemps d'influences exercées par des Etats puissants ou moins puissants, mais elles seraient prises chaque fois conformément aux exigences de l'affaire concernée. Un siècle de politique de neutralité, jusqu'à la seconde guerre mondiale, avait renforcé cette croyance au pouvoir du droit et de la morale dans les relations entre les Etats. D'un autre côté, cependant, les Pays-Bas ont toujours espéré que la Grande-Bretagne adhérerait à la Communauté Européenne. Deux considérations fortifiaient ces efforts. En premier lieu, l'adhésion de la Grande-Bretagne était considérée comme une garantie supplémentaire que l'Europe unie ne se déferait jamais de ses liens étroits avec les Etats-Unis, que les Pays-Bas considéraient comme indispensables à sa sécurité. Là se manifeste la tradition ‘maritime’, la tradition d'outremer de la politique néerlandaise. En deuxième lieu, à l'intérieur de l'Europe, la Grande-Brteagne devait, dans la pensée néerlandaise, constituer le contre-poids nécessaire au poids de la France et de la République fédérale. Ici se manifeste la traditionnelle politique d'équilibre. Les observateurs étrangers n'ont pas manqué d'observer qu'il y avait une contradiction entre l'idéal supranational néerlandais et les efforts accomplis par le pays en faveur de l'adhésion britannique, la Grande-Bretagne n'étant point, en effet, spécialement encline à la pratique d'une politique supranationale. En réalité, les Pays-Bas étaient prêts à mettre de l'eau dans leur vin supranational pour que la Grande-Bretagne fût intégrée dans l'Europe. Cela signifie qu'ils préféraient en dernière instance l'adhésion de la Grande-Bretagne à la Communauté Européenne au caractère supranational de cette Communauté. La même attitude s'est manifestée lors de la participation néerlandaise à la Force nucléaire multilatérale (MLF) mort-née: placés devant le choix, les Pays-Bas ont donné la priorité à l'intégration atlantique plutôt qu'européenne, bien que cette préférence n'ait jamais été formulée explicitement. Au contraire, de source officielle on a toujours assuré qu'il n'y avait pas de contradiction entre les objectifs atlantiques et européens de la politique néerlandaise: l'unité européenne renforcerait l'unité atlantique et vice versa. Ces réticences et contradictions ont incité de nombreux observateurs étrangers à supposer quelque stratagème machiavélique. Robert Bloes notamment, auteur d'un livre intéressant sur le conflit franco-néerlandais au sujet de l'Europe, estime que pour le ministre Luns, - qu'il appelle un ‘habile négociateur’ - ‘la supranationalité servait tout au plus de couverture, de prétexte, et qu'au fond il n'y croyait pas plus que le général De Gaulle ne le désirait lui-même’Ga naar eind(1). Il y a sûrement des raisons de croire que monsieur Luns, conservateur pour lequel | |
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l'intérêt national était primordial, n'était pas un ‘supranationaliste’ convaincu. Cependant, ces prises de position supranationalistes qu'il a défendues lors de la concertation européenne ne suffisent pas à faire de lui un politicien machiavélique. La vraie raison doit être cherchée dans le
J. Luns, Ministre des Affaires étrangères aux Pays-Bas, et le Président Charles de Gaulle.
fait qu'obéissant à la tradition légaliste de la politique néerlandaise, le parlement néerlandais attendait de lui qu'il protestât de cette manière contre l'Europe des Etats du général De Gaulle. C'est la même raison qui, lors de la conférence au sommet de Paris en octobre 1972, a poussé le Premier ministre néerlandais, monsieur Barend Biesheuvel, et le successeur de monsieur Luns, le ministre Schmelzer, à insister des heures durant auprès de leur collègues européens pour que les institutions européennes soient renforcées. Chez eux, toutefois, il y a tout lieu de croire que leurs professions de foi supranationalistes sont plus sincères.
L'adhésion de la Grande-Bretagne à la Communauté Européenne a supprimé en fait la base - ou du moins la crédibilité - du point de vue spécifiquement néerlandais en matière d'intégration européenne. Aussi longtemps que les augures européens considéraient les aspirations supranationalistes des Pays-Bas, - ils le laissaient entendre -, comme la couverture habile d'intérêts typiquement nationaux, cette manière de voir jouissait encore d'une certaine crédibilité. Maintenant que ce point important pour l'intérêt national, l'adhésion britannique, est réalisé, la politique européenne des Pays-Bas a perdu presque toute sa crédibilité, même si les Néerlandais y croient encore eux-mêmes.
Cette crédibilité n'en devient pas plus grande si on observe comment les politiciens néerlandais - de haut en bas - souscrivent à l'objectif d'une fédération européenne, tout en refusant tous, sans exception presque, d'entrevoir la conséquence logique d'une telle fédération - une force nucléaire eurpoéenne -, ne fût ce qu'en tant qu'exercice intellectuel. L'aversion morale, en l'occurence pour les armes nucléaires, prend le pas sur une réflexion lucide sur les aspirations et possibilités. Et cela est également conforme à une tradition néerlandaise. |