Roeping. Jaargang 30
(1954-1955)– [tijdschrift] Roeping– Auteursrechtelijk beschermd
[pagina 111]
| |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 113]
| |||||||||||||||||||||||||||||
GedichtenAmour enterré
Moi, patient sous le fouet de solitude amère,
je me dévêts de l'eau de ton amour, puits caché!
De ta petite oreille j'oublie les longs secrets,
ton sourire d'enfantelet, l'éphémère
qu'on n'ose pas baiser, tes paupières
aveuglées par mes lèvres, sources claires du destin,
froides, chaudes comme la lune en juin.
Imperturbable oubli, vers une autre penchée
de la même douceur pour le trouble d'un autre,
tu naîtras le matin pour un nouveau péché,
altérée des lèvres salées d'un homme.
Ton miroir est signé par moi et tu le donnes!
Ju me quittes avant que ne me quitte la vie!
Par moi ton âme était scellée et tu la donnes à la forêt
mais mon lierre s'enlace, où montaient mes suppliques
et tes pas ne pourront jamais que t'égarer...
Je cache hors de ta vue, douce comme la prière,
une vie, comme une forte fleur de la mer.
Je serais si petit amant que de me plaindre
que le temps est moint prompt à désunir qu'à joindre?
Vois! à travers le monde les Hauts Dieux vont descendre.
La grâce du Seigneur est une ombre chargée.
Une épaule brillante échauffe mes vergers.
Saisi, débarque un ange stalactite
parfait! il foule à ma mesure une beauté rapide.
| |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 114]
| |||||||||||||||||||||||||||||
Eternite dans l'enfer
... sans que ma peau fumant sous les aigres tisons
ait le soulagement même des pâmoisons.
Brûlé vif et pour mieux souffrir ressuscitant
Tu peux te retourner sur ton lit maintenant
Après tant de mensonge et tant de jeu de l'oie
Tu la trouves enfin la posture qui es ‘toi’
Parle donc, ventriloque ...et ton confiteor?
Tu cries? je n'entends pas! l'homme a l'oreille dure
Est-ce que l'on entend Sirius ou Mercure?
Ce cri incoercible a pris l'accord des corps
Ton hurlement de peur est leur etat-civil
Etoiles, vous ronflez comme flambe un fournil
et sans couvrir les heurts des cymbales de fer
que sont les plaintes de l'enfer
C'est ainsi! c'est ainsi! les diables t'incinèrent
au registre fermé des goufres nécessaires.
J'imagine un cosmos comme en tapisserie
et là, moi, rouge et or! les diables m'injurient.
Oublié! oublié mais non pas les démons
Les enfants deviendront vieillards et centenaires
la guerre aura rempli de sang les catacombes
les tropiques seront neige et les forêts charbon
la terre sera mer, l'océan sera terres
les granits seront creux, les abîmes comblés
les villes ne seront que terrines cassées
les saharas seront des villes entassées -
- que mes cris accrochés à la Grande Poulie
se métamorphoseront encore en mélodies
sans que ma peau fumant sous les maigres tisons
ait le soulagement même des pâmoisons.
| |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 115]
| |||||||||||||||||||||||||||||
A la vierge de Saint-Benoit-sur-Loire
Hivers des fleuves lents allés
d'une rive à l'autre incertaine!
Terre aux jardins n'a plus de veine
dure et sans buis près des allées.
Sourde ta voix appelle en plaine
le passeur de Loire étalée
- grasses langues de vivre vaines
quand sable et saules ont l'onglée.
Passeur d'Achéron! ta pirogue
où est-elle, passeur des morts?
et ta houlette quand tu vogues
dont s'éveille le flot qui dort?
Qu'importe le grand train du fleuve
vague en bosse, en lacis gourmand,
passeur! que la terre soit veuve
de ce qui n'est coudre ou sarment!
Passe moi, passeur! ma promise
Mignonne Vierge à Saint-Benoît
m'attend dans ce coin de l'Eglise
et l'Enfant-Dieu qui met un doigt
au bec de l'oiseau qu'il déserre!
Chétif, mon luth ne peut chanter
le docte regard de la pierre
dont, humble, est, le mien, aimanté,
- si bien qu'il n'est femme de chair
près du marbre dont je suis dupe
point d'enfants qui me restent chers
de maisons qui me préoccupent -
| |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 116]
| |||||||||||||||||||||||||||||
Suffit d'aimer! Qu'un autre écrive
si c'est Mommol, Charle, Alcuin,
ou quel sculpteur te fit captive
pour l'éternité dans ce coin!
Souffle, Boré! pousse, Notus,
le passeur des ondes mauvaises!
Qui sentirait gel ou mésaise
sur le flot qui mêne à Jésus?
| |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 117]
| |||||||||||||||||||||||||||||
BrievenBrieven aan Jean RousselotSt-Benoî, le 25 aoû 41 Mon cher Rousselot
Je ne puis vous écrire. Je suis submergé de touristes: les passants sont les moins encombrants. Des autres, il faut s'occuper à tous les instants. Excusezmoi... mais sachez que cette dédicace arrivant de vous jusqu'à moi rencontre un vieux coeur si fané par les souffrances qu'une telle attention s'y achemine et y pénètre. Je vous dirai tout cela quand j'aurai un quart d'heure de solitude. Espoir d'amitié Max Jacob
Savez-vous les raisons du silence de X... à mon endroit? Qu'ai-je fait? Qui'ai-je fait pour mériter le plus imprévu des châtiments?
*
2 Juin 42 St-Benoît [pas de cars le dimanche] Mon cher Jean, C'est à certains détails qu'on prospecte son époque. Il y avait Montparnasse et Montmartre; maintenant, il y a Orléans et Angers. Plus de distances! et díminution de Paris? Le ‘Nord-Sud’ était plus facile à prendre que les autocars. Tout de même! on n'avait pas toujours les trois sous du métro. Aujourd'hui, les poètes ont presque toujours les trente francs aller et retour... Orléans St-Benoît... Les déménagements coûtent des milliers de francs mais le papier monnaie ne coûte pas cher... et les livres se vendent cinquante francs: les poètes deviennent millionnaires... Encore... Orléans [pourquoi? pourquoi?] est destiné à être capitale: capitale de la Neustrie; on y a sacré roi Louis VI le gros. Vous allez pouvoir vous amuser à l'érudition, tous, aux dépens de Chilpéric et de Clotaire II et faire la légende des siècles de Frédégonde Brunehaut et de Dagobert sur place, et l'évangélisation par St-Altin. Nous étions aussi pauvres d'argent que d'érudition et Apollinaire nous étonna facilement parce qu'il lisait des vieux dictionnaires: | |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 118]
| |||||||||||||||||||||||||||||
Bayle et Moréré. Ce n'est pas difficile, l'érudition, et ça fait un effet transcendantal sur les populations et les éditeurs. Gallimard me disait: ‘Donnez-moi un roman historique et je l'imprime’. Oui, le portraitGa naar voetnoot* est beau et ressemblant. Tu as eu l'idée de mon physique et aussi de mon moral: j'appelle ce portrait: ‘le vieux de l'hospice’. Picasso me fit jadis en Lucullus avec une couronne et des joues en fleurs. Il m'a fait aussi en paysan breton [il prononçait beurton]. Tu ne me décevras pas. Je connais la date du 27 octobreGa naar voetnoot**. Trop de projets, un peu de politesse et de théâtre. Caractère honnête, délicat, voire chevaleresque et enfantin, goût des armes, défense de la solitude; de la violence par là-dessus. Erotologie et importance de l'érotologie. Joues maigrelettes, beaucoup de cheveux. Sport sans trop. Désir de la terre qui vous échappe sans cesse; appréciation d'un art très terrestre mais toujours combattu par le besoin d'idéalité. Mettre les gens au pied du mur et s'y mettre soi-même. Voilà! tu es prévenu de mon moi physique par le portrait de Roger. Quant au moral, je suis caméléon.
On s'embrasse, prévenus Max
Savais-tu que Paul Eluard est élève d'une école primaire supérieure - supérieure en effet - Il y aura à refaire l'histoire littéraire en divisant les auteurs en bacheliers et non bacheliers: Rimbaud était-il bachelier? en tous cas, Verlaine l'était. Salmon n'est pas bachelier. Apollinaire l'était. Toulouse ni Béalu ne le sont. J'ai peur de l'être un peu trop. Les surréalistes le sont tous. Et Cocteau, donc!
*
Le 3 Juillet 1942 St-Benoît
Cher Jean
Impossible de me souvenir d'une lettre de toi sur le baptême. Faut-il accuser ma mémoire ou la poste? J'ai reçu ta carte de Poitiers. Répète: bis repelita placent. Mon silence vient d'un grand travail pour attendre la venue d'un mécène qui ne vient d'ailleurs pas. Fatigue, sinon malaise. Aie confiance dans mon amitié. J'ai les mêmes amis depuis 40 ans. Silence | |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 119]
| |||||||||||||||||||||||||||||
signifie confiance. Je t'ai écrit sur ton dernier recueil. N'as-tu pas reçu??? J'ai eu une grande joie à voir le cher Salmon toujours le même. On me réaffirme que je n'ai rien à craindreGa naar voetnoot*. Je t'embrasse sans ambages Max Jacob
J'ai vu Marcel avec Charles Coulon de Viglain et avec joie. La N.R.F. de juin contient un article vide sur le jeune pienture et répond à l'article de Wlaminck contre Picasso. ‘On se soucie peu del'opinion de Wlaminck sur la peinture, malgré ses succès et les marchands. Il piétine Picasso comme il ferait d'un paysage ou d'un innocent bouquet de fleurs’. Je n'ose voyager sans étiquetteGa naar voetnoot** et je crains l'étiquette en voyage. Voilà le dilemme et la cause de mon statu quo.
* Le 14 Janvier 43 St-Benoît je suis en quête de pommes de terre et forcé de sortir Cher Jean,
Tes crises de santé sont désolantes et m'inquiètent plus qu'elles ne le font de oi-même. Encore leur devons-nous quelques une de tes poèmes car ‘que faire en un gîte à moins que l'on ne songe?’ Je suis moi aussi au coin de mon feu avec un grinchement boudeur et une crise d'asthme puisqu'il faut l'appeler par son nom, que je m'efforce de prendre pour un rhume ou une grippe: c'est de l'asthme, tranchons le mot, et qui ne rapporte pas le moindre poème. C'est une chose étrange que les poètes soient les meilleurs métaphysiciens car ils ont le droit de faire sauter le capsule, de retourner le gobelet au moment où on va faire apparaître la solution exigible des philosophes. Ta philosophie est celle de la Bible: la terre a été donnée à l'homme pour qu'il y règne, et tout est à tout le monde. Théorie des plus anarchistes! elle justifie les vols, les crimes et les révolutions. Tout cela est très beau et bien dit avec force.
Je prie pour toi Max Jacob | |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 120]
| |||||||||||||||||||||||||||||
B... a déjeuné ici lundi avec P..., que tu ne connais pas. Il m'a laissé un livre de Kafka qu'on s'efforce de trouver mystérieux et qui me semble clair.
Le 24 Février 43 Cher Jean
Polenta! J'ai horreur de la cuisine italienne ou espagnole. Pendant trente années, j'ai suivi mes amis Apollinaire et Picasso dans toutes les gargotentas peninsularas de Paris et j'ai mangé de la malaria gangrenata de luxe ou des poverellos. Rien que l'idée de la macaronata me lève le coeur. Ca sent la poisse, l'émigration au patchouli. Il fallait suivre l'amitié au prix de la savatellone et on ne me consultait pas sur mes goûts, moi qui n'aime que les crêpes bretonnes, le bouillon et le boeuf et les côteleettes de mouton pré-salé... Ne me parle pas de polenta ou parle m' en pour me faire apprécier le bonheur de manger les légumes du potau-feu et la langue de boeuf sauce moutarde. Oui! tu visiteras la Basilique dondaine et tu admireras ma science symbolique devant les chapiteaux. Je me souviens d'un dessin de Forain qui s'intitulait le ‘Beau Site’. On voyait une terrasse de café vide avec les garçons aux bras ballants, le patron navré et une chaine de montagnes également vide. J'y pense souvent devant le chef-d'oeuvre de l'art roman. Il est vrai que les chapiteaux sont éloquents et le déambulatoire exquis. Marcel vient quelquefois. Roger Toulouse est venu hier: il a approuvé le tableau en cours qui représente le Bois de Boulogne avec les voitures et les chevaux 1900, le lac. J'attends F.M., frère du romancier, qui est dans une immense douleur de veuvage prématuré et vient chercher le calme. Je ne le connais pas, ou si peu. On verra ce qu'il est. Il va s'ennuyer beaucoup et repartira vite. Je t'embrasse amicalement Max Jacob | |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 121]
| |||||||||||||||||||||||||||||
Brieven aan Roger Toulousele 1er Aoû 1939 8 Rue du Parc Quimper Cher Roger
Je ne travaille pas. Je vis à droite et à gauche, chez l'un chez l'autre dans ce beau pays. Dernierement en bateau avec six enfants de six à douze aus, on a joué a raconter des histoires. Une petité fille a improvisé: ‘Il y avait 3 petits poulets perdu sur une falaise; ils ont frappé du bec à une porte: c'était une maison abandonneè. Celui qui a dit “entrez” était une bique noire cachée derrière un fauteuil. Vous resterez ici le temps de fabriquer un poisson en bois, car je suis métamorphosée en bique jusqu'à ce que 3 petits poulets puissent fabriquer un poisson en bois; “Les poulets ont mis 3 ans à fabriquer le poisson en bois”.’ Il y a évidemment un vague souvenir de contes de fées, mais la bique cachée derrière un fauteuil est une invention géniale. Je ne sais quand je rentrerai... peut être plus tôt que je ne crois. Je m'ennuis. Il y a le monde, les gens bieu ou mal... les gens.
Je t'embrasse Max P.S.
Le monde m'étourdit, m'affole en dedans Le passé surgit en la personne d'X, Y, Z, munis de cheveux blancs et de souvenirs me concernant qui me sont étrangers ou ne me font pas me juger favorablement en retrospection. Il faut être aimable, c'est à dire se quitter soi-même. Je ne peux vivre qu'avec des jeunes gens, des jeunes filles ou des enfants - Le reste me laisse respectueux et glacé. M.J.
*
Le 10 avril 1941 St-Benoît
Je lis un livre sur l'argot. Rien de plus amusant que d'inventer des argots. Si c'est véran, c'est gahusard
va te recoquiller le jindre
bége contre le banlieusard
le matthieu ropille aux deux plingres
| |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 122]
| |||||||||||||||||||||||||||||
Lettre de M.: les horaires des trains l'empêchent de te voir
més il jimoille aux mires do coeré
Qui! il y a la conscience et l'inconscience: la conscience psychologique engendre l'autre, la conscience morale. Quand Judas s'est aperçu qu'il avait trahi il en a eu une telle horreur qu'il n'a pu supporter la vie! il s'est pendu. Pourquoi n'a-t-il pas eu cette conscience avant...! D'où nécessité de l'introspection continuelle. Il faut s'apercevoir avant. L'ouvrier poête } Mais oui! Ah! quelle erreur
le peintre ouvrier } Mais oui! Ah! quelle erreur
l'employé } Mais oui! Ah! quelle erreur
stupide de croire que la beauté et la nature sont faites uniquement pour les bacheliers. Voilà un siècle et demi qu'on est buté à cette imbécilité anti-humaine. Les gens de 1860 considéraient comme une tare une faute d'orthographe! Oui! On aurait pu avoir le plus grand génie... si on ne mettait pas l'orthographe, on ne valait rien. On peut à peine imaginer pareille folie! La bourgeoisie avit inventé ce galon pour se séparer... des... génies sans orthographes. Un homme d'esprit de la cour de Napoléon III fit faire une dictée à tous les seigneurs et leur prouva qu'ils avaient fait l'un 60 fautes, l'autre 40, l'autre 20 etc.... Le préjugé orthographique subsista. Je préfère un employé de chemin de fer qui aime ta peinture à un instituteur qui n'y pige que dalle ou ne l'aime pas parcequ'il t'aime. D'ailleurs je pense que l'employé de chemin de fer, bien que non bachelier, met l'orthographe. En principe laissons les gens aimer l'art qu'ils aiment. Une oeuvre qui plait a des mérites secrets! Si tu enseignes les règles a un amateur, tu te tues, tu lui apprends l'orthographe, il ne verra plus que l'orthographe dans un tableau. Il ne faut fabriquer des amateurs que là où il n'y a rien, mais là où il y a amour de la peinture il faut laisser l'instinct agir car l'instinct ne trompe pas. J'ai aimé Picasso avant de savoir ce qui est bien ou mal: si on m'avait enseigné ce qui est bien j'aurais détesté toutes ses premières oeuvres et même d'autres qu'on aime aujourd'hui à cause des dernières. Donc laissons les gens à leur instinct et ne les enseignons pas. On conseille aux médecins de ne pas communiquer leur science et le processus de la maladie au malade. Les gens du monde consultent les maîtres ès arts pour se faite une opinion ès arts. C'est pourquoi ils passant leurs vies dans l'erreur et fabriquent des gloires ridicules, s'ils n'avaient pas à cause de cela perdu l'instinct, ils ne se tromperaient moins. Je pense que tu me comprends et je t'embrasse. MAX JACOB | |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 123]
| |||||||||||||||||||||||||||||
P.S. - Paul PETIT est malade: il ne vient pas! il a à la fois l'instinct et la science et l'indépendance. La gouache bretonne finie n'est pas reconnaissable [et pas si mal]. Je vais faire une copie d'une mosaïque byzantine pour me désennuyer. Ma mère ayant trouvé des lettres de femmes dans ma malle d'étudiant fut indigneé... de quoi? parce que ces lettres étaient sans orthographe. Ma petite servante de 14 ans me dit:
‘Vous n'avez pas encore répondu à votre courrier? c'est votre heure pourtant!’ bayaffe le momaque dans le bouterne; le phonard sonnane à la tournante.
Quand un paysan voit un beau coucher de soleil, il dit: ‘Il fait beau ce soir!’ au lieu de penser à Claude Lorrain. Il n'a pas, Dieu merci, le don d'expression.
*
Saint Benoit reu Lovie
1943 Cher Roger
Pour le moment je suis vraiment malade. Ne t'alarme pas! ne viens pas! j'ai eu un vertige toute la chambre a tourné pendant une journée comme des chevaux de bois, jai été obligé de me coucher et je me relève aujourd'hui lundi après un samedi-dimanche au chaud du lit. Le médecin incrimine la fatigue et les émotions violentes [en effet ce matin encore un gendarme est venu voir si je n'ai pas la T.S.F. + aucune nouvelle ni de B. ni de la gouache + sans parler de la Société des auteurs qui dit que ma déclaration de judaïsme est mal faite ce qui ne me surprend pas vue mon état]. J'ai fait un dessin pour les étrennes d'un docteur de Montargis. Paul Petit dit qu'il viendra à Orléans aux aleutours de Noël-quand j'y serai, devant aller à Angers. Par la dessus! Les corvées quotidiennes! et une faiblesse d'esprit qui m'effraie. Espérons que je paurrai prendre l'autocar dans une dizaine de jours ou une quinzaine. MAX JACOB | |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 124]
| |||||||||||||||||||||||||||||
Brief aan Rene Guy CadouJuin 1940. Cher rené,
... J'ai passé des nuits et des jours capables de rendre fous, des nuits de bombardements où entre temps les autos sans essence s'arrêtaient: elles contenaient des mères qui avaient perdu leurs enfants, des familles riches qui n'avaient pas mangé depuis des jours, immobilisées sur la route, des suicidés qui s'étaient manqués [j'en ai soigné trois moi-même] cela au milieu des bagages jetés aux fossés [on a trouvé une sacoche pleine de pièces d'or]. Tout le mois de Juin on ne dormait plus! et les repas devenaient étranges. Enfin un comité s'est formé ici qui a rassemblé le bétail nomade, trouvé un boucher parmi les vagabonds campés sur les places et dans les écoles et les salles des fêtes [!?], fait marcher un moulin. Je commence à redessiner mais j'ai une espèce de sourire qu'on prendra longtemps pour un sourire aimable et qui est le sourire de la folie. Les vieux meurent prématurément mais je ne suis pas vieux, je suis mort. J'essaye exprès de lire des vers et j'éclate de rire. Est-ce possible que nous ayons pu croire en ce sanscrit, en cet hébreu?? mais-les-gens-meurent-comprends-tu que les gens meurent encore dans les hopitaux. Je n'écrirai plus ni vers ni prose ni dessin ni peinture. Faîtes votre vie s'il y a encore des amateurs de cela. Moi c'est fini, ah cette fois c'est bien fini. Toi tu ne seras pas allemand à Orthez. Je ne sais si la Loire occupée selon la prédiction de Nostradamus ne le restera pas plus longtemps qu'on ne croit. J'ai appris la mort d'un breton de mes amis, de 30 ans! ah oui il ne sera pas allemand non plus. Pour moi le rideau est baissé. Je t'aime et j'aime mes amis mais si tu entendais la musique militaire allemande jouer des valses avec la grosse caisse sous tes fenêtres et 3 officiers à califourchon sur les fenêtres applaudir bruyamment, tu comprendrais qu'il s'est passé quelque chose capable de briser une vie et même une cervelle. Je t'embrasse.
Max Jacob.
Prie pour moi afin que je comprenne - que je comprenne que je comprenne ce qui se passe. Voilà combien d'années qu'on ment. | |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 125]
| |||||||||||||||||||||||||||||
MeditatiesExcellence de la vertu6.½ Qu'est-ce que j'entends par excellence de la vertu? est-ce que je veux dire que la vertu est plus utile que le vice, que par exemple l'ivrognerie et la luxure mènent à l'abrutissement, raccourcissent la vie, amènent des maladies, que l'avarice empoisonne le bonheur, émiette les résolutions, fait le malheur des proches, constitue des procès et que le désir d'accumuler des richesses a amené la France à sa perte et l'Europe aux guerres les plus épouvantables qu'on ait vues sur la terre. Oui certes! l'orgueil bouche la vue alors que l'humilité rend clairvoyant, la libéralité amène l'amour et l'amour est le tout de l'union, de la paix. Mais ce n'est pas cela qu'il me faut penser par ces mots ‘excellence de la vertu’. L'excellence de la vertu est qu'elle est aimée de Dieu. Certes elle nous assure le Paradis puisque une seule vertu exercée héroïquement suffit à nous y mener comme on a vu de St Vincent de Paul ou d'autres que je ne connais pas mais ce n'est pas encore cela. Soyez parfait' comme votre père du ciel est parfait'. Voilà l'excellence de la vertu. Elle est l'apanage de Dieu et en imitant Dieu nous lui plaisons et en lui plaisant nous sommes ses amis ce qui ne peut être qu'excellent. Je voudrais envisager un autre point de vue. Les vices ne sont qu'aux gens qui ne se surveillent pas eux-mêmes. Un être qui se voit vivre accède à la vertu et le vice n'est qu'à ceux qui ne se voient pas vivre. Si un ivrogne se voyait il ne résisterait pas l'aspret de son ignominie; si un paresseux se comparait avec les cerveaux actifs de ses amis, il s'appliquerait à sortir de sa gangue; si un gourmand se voyait pareil à un porc, il essaierait de limiter son appétit. Notre vue nous effraierait! Regardons nous vivre! En nous regardant vivre, nous nous corrigerons de nos tares. Cela prouve que la vertu est supérieur au vice; car si nous regardant vivre nous préférions notre hideur, c'est que la hideur ne serait pas telle. Que ce vieillard vicieux se voit dans ses gestes, n'aura-t-il pas horreur de lui-même. Apprenons donc à nous voir, à nous écouter parler c'est le chemin des meilleurs voies et des progrès. Surtout n'oublions pas que le Bien c'est déjà Dieu puisqu'il est dit: Celui qui j'aime est celui qui m'aime MAX JACOB | |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 126]
| |||||||||||||||||||||||||||||
Les deux viesII h. 5
Il s'agit de vivre en chrétien ou en paien. La difference est nette, l'un est l'oppose de l'autre. Le chrétien est un enfant: on n'entre au Paradis que si on y entre en enfant. Le Chrétien ignore le système D. les trucs, la diplomatie dont le paien se targne. Cependant la prudence est une vertu phéologale. Le ‘conseil’ est un des dons du Saint-Esprit et la ‘discrétion’ était pour Saint Benoît dans sa règle une des premières vertus chrétiennes. Le tout est de distinguer la prudence du truquage. Si par égoïsme et pour me sauver je compromets quelqu'un, il n'y a plus ‘conseil discrètion et prudence il y a ‘système D’ et je dois repousser cette démarche. Consulter. Le païen se targne de son indépendance. Il se flatte de n'obéir qu'à luimême, d'être son maître et d'envoyer au diable ce qui le gène. Le chrétien tout au contraire aime mieux obéir que de commander ou s'il commande il obéit encore car il obéit à Dieu, à la sagesse, à la Raison. Le chrétien aime la règle, la discipline et s'y soumet avec joie. Son obéissance est prompte, sans murmure, sans jugement. Le païen se targne de ses relations, il recherche les accointences, les amitiés, les compagnies où il brille. Le chrétien prefère la solitude, il pratique la charité s'il en a l'occasion et trouve les occasions mais il ne s'en vante pas, il ne tue pas l'amitié en lui mais il s'agit d'amitiés en Dieu et où la vanité n'est pas au centre. En tous cas les titres et la richesse n'y sont pour rien: il trouve des vertus aussi bien chez les humbles que chez les grands et c'est à cause de ces vertus qu'il aime et non parcequ'il est flatté de hautes estimes. Le chrétien n'a pas besoin de toute cette chair et cette chaleur humaine: il se plaît en Dieu et avec Dieu. Mon Dieu donnez-moi cet amour et ce voisinage avec vous et que ce voisinage me soit tout. Que m'importe où je suis; si j'y suis avec vous. Le païen se plaît aux nouvelles. Il les apprend, les communique, le chrétien dit: rien de nouveau sous le soleil, il attribue à Dieu ce qui arrive; ne s'en met pas en peine et songe à son propre salut. Le païen n'aime pas la pauvreté: il donne aux pauvres pour se débarrasser d'un remord, par une pitié éphémère mais la pauvreté et les apparences de la pauvreté l'écoeurent. La pauvreté éveille dans l'esprit du chrétien l'image du Seigneur. Il n'a pas peur de paraître pauvre et s'habille avec la simplicité d'un pauvre ou même pis, il est loin de rechercher le luxe ou l'apparence du luxe; il ne collectionne pas les objets rares, loue Dieu dans la beauté des oeuvres humaines et n'a pas le désir de les posséder. Le païen est propriétaire, le chrétien ne l'est pas: il n'acquiert pas, il donne... Le païen veut primer, il prend le haut de la table, soutient ses thèses, s'obstine, élève la voix, fait de l'esprit, éclabousse les faibles, se moque, | |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 127]
| |||||||||||||||||||||||||||||
médit, juge, calomnie même. Le chrétien n'élève pas la voix avec éclat, ne tient pas à avoir raison, s'éclaire avec sagesse, consulte les autres, présente modestement ses opinions, lesquelles se forment de la vérité et non de l'effet à produire, il n'offense personne, défends les faibles, ne se moque pas, ne juge pas et se maintient à sa place Il ne se plaint pas, si on le plaint justement, il accepte, si on le plaint trop il proteste, soit dans les maladies soit dans les malheurs. Faites de moi un chrétien et détruisez tout ce qui est païen. | |||||||||||||||||||||||||||||
L'enfer.Comment osé-je me représenter votre présence, couvert comme je suis de scandales, de sensualités, de méchancetés; mais vous l'avez dit, tous les péchés seront pardonnés sauf le blasphème contre le Saint Esprit. C'est fort de cette miséricordieuse parole que je viens me prosterner devant votre grandeur infinie. Vous êtes toute perfection et je suis toute folie, toute perversité, toute faiblesse. Il s'agit sujourd'hui d'imaginer l'enfer. O Haamiach, par notre Seigneur J.C., je vous prie de me délivrer dès aujourd'hui de cet univers effroyable. Nous sommes dans les ténèbres, les ténèbres du dehors! Il y a ici l'odeur des cadavres, l'odeur de bitume brûlé, l'odeur de pétrole infect. Notre atmosphère est la fumée. Nous n'abordons qu'au pays des squales, notre horizon n'est que celui des tempêtes menaçantes, notre rivage est delui des hydres. Ne me débarquez pas où m'attendent les cannibales. La maladie demeure en moi la douleur est dans la moelles de mes os. Ce que sont mes bourreaux, je le suis aussi, peutêtre ai-je aussi cet aspect à cause de ma faiblesse dans les tentations. O humanité, o douceur de la terre, t'ai-je dit adieu pour toujours. A cause de ma sottise je n'ai pas pu renoncer aux plaisirs, à la médiocrité et me voici opéré sans anesthésie, me voici parmi les laveuses qui frappent sur mon corps à coups de battoirs sans que rien me défende de ces écoeurantes collectionneuses de cris. Et qui je ne craignais pas me couvre, m'abreuve de haine pendnat l'interminable maladie. L'outrage est leur jeu, la fange est leur lieu, l'écume venimeuse est leur respiration. Quand je m'amusais sur la terre elles me guettaient, elles savouraient d'avance la joie de me torturer et me voici possédé par les infernales puissances. Prendrons-nous patience? rêverons-nous de la fin des catastrophes? Nous avons laissé les consolations de la terre à jamais. L'enfer n'a pas de fin. Nous tiendrons nous par la main pour nous aider? L'enfer n'a pas d'aide. Imaginerons-nous un avenir qui s'adoucisse? L'enfer n'a pas d'espoirs. Nous souviendrons-nous d'une autre vie? L'enfer n'a pas de souvenirs. Implorerons-nous le secours des anges et celui du Dieu puissant: l'enfer n'a pas de Dieu et pas | |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 128]
| |||||||||||||||||||||||||||||
d'anges. ‘Cherchez-moi’ dit Dieu à la terre, mais ici nous le chercherions en vain. L'enfer signifie ‘abandon’. O messes matinales! o méditations sous le regard des anges! o communion des fidèles! Le temps n'est plus de la grâce. Dans l'état que j'ai mérité, il n'y a plus de ponts jetés entre le Paradis et moi. J'ai connu la vie sans secours, encore en avais-je un certain puisque la douleur m'a conduit à la conversion. Quel usage m'a garanti de la justice appesantie. Voici la vie sans secours mais cette fois pas d'illusions, Dieu, je l'ai bien détruit. Ce n'est pas lui qui me mène. Voici la vie sans secours, alors que j'en ai besoin pour sortir de l'insortable. O mon Dieu puisque mon amour pour vous ne suffit pas à me protéger contre moi-même, mettez dans mes moelles la crainte d'un univers se déchirant, que la peur de l'enfer soit ma tirelire, mon secret et que le reste ne soit que travestissement. Que préférerions-nous à la garantie d'une éternité moins épouvantable? | |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 129]
| |||||||||||||||||||||||||||||
MAX JACOB
Portret door Roger Toulouse | |||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 131]
| |||||||||||||||||||||||||||||
Conseils littéraires
|
1/ | Faire des exercices pareils à ceci: par exemple un poème où tout sera douleur [paysage, personnes, sujet, détails]; un poème où tout sera joie; un poème ôù tout sera... etc.... |
2/ | Ne jamais écrire prose ou vers sans songer profondément à la signification sentimentale de l'ensemble et s'il contient des exceptions non sentimentales ou d'un autre sentiment, en avoir une conscience réfléchie, nette, raisonnée. |
3/ | La poésie ne vit que de sentiments; elle n'a pas d'autre but. Un poème |
développe un sentiment. La poésie qui n'est pas telle doit en avoir conscience et savoir pourquoi. | |
4/ | Ce qu'on appelle inspiration est le fait d'être possédé d'un sentiment. Le bon style et l'expression différencie un poème d'une romance. |
5/ | Le lyrisme ou inconsciente poussée, et ‘crase’ de plusieurs poussées différentes est encore sous le signe du sentiment. |
6/ | Tout ce qui n'est pas ému est indigne de la poésie. |
7/ | La beauté est l'expression magnifique d'un sentiment humain ou sublime. |
8/ | S'offrir une journée de noble joie avec tout ce qui est noble joie. S'offrir une journée de tendresse... etc....
Ne faire de ces journées, de chacune, que ce qui est en rapport avec l'oraison du jour. |
9/ | REFLECHIR A CE QUE SIGNIFIENT LES MOTS: UNE BONNE LANGUE. |
10/ | Pour apprécier Oblomoff [??? ce que ça vaut??] songe toi-même à créer un type général aussi neuf, aussi synthétique. Cherche le contours de toi! avec les détails caractéristiques, etc.... Songe que le XIXème siècle n'a guère eu d'autre but. Songe que les créations de Balzac et de Molière sont des étiquettes derrière lesquelles il y a le creux et apprends ainsi à apprécier le travail des maîtres. Avant de parler légèrement des choses que les connaisseurs admirent et qui sont lues 100 ans après, demande-toi pourquoi on les admire. Ainsi feras-tu des progrès. |
11/ | Croire en soi-même est admirable mais ne croire que soi-même est une entrave au progrès. Je ne te demande pas plus de foi en moi que je n'en ai pour mon professeur de rhétorique mais songe que j'ai entendu parler beaucoup de très grands hommes et que mon professeur de rhétorique n'en pouvait pas dire autant... J'espère au moins t'avoir fait réfléchir: c'est l'essentiel. |
12/ | En peinture le dessin est ‘amour’: y a-t-il quelque chose de tel en littérature? |
13/ | En poésie il est plus important de songer sans cesse à la ‘grandeur’ qu'à quoi que ce soit. Qu'est-ce que la grandeur? Il ne s'agit certes pas du falbalas ni du pompier. |
14/ | L'ironie rapetisse et encore plus - rapetisse sans fin, sans fin! sans FAIM. |
15/ | Existe-t-il une oraison laïque?? C'est l'identification avec l'objet de l'oraison. |
16/ | L'humilité est la première condition du progrès. |
*
Je crois pouvoir te dire aussi d'éviter la satire trop facile: elle est aveuglante
comme l'orgueil. On ne va pas loin pour avoir dit: ‘les imbéciles! les bourgeois!’ et autres variantes. Crois bien que tout le monde est très parfait, il est très hygiénique de le supposer et de dégradeh petit à petit cette sphère individuelle en lui découvrant de petites tares. Ceci à l'opposé de ce qu'on fait depuis cent ans de supposer tout le monde mauvais. Les grandes ceuvres partent de l'optimisme: bien qu'il ne soit pas un artiste, son oeuvre est grande à cause du stupide pessimisme de Flaubert. Balzac qui voyait le génie partout était donc optimisme: bien qu'il ne soit pas un artiste, son oeuvre est grande à cause de l'optimisme. Réfléchis-y... Sache que tout en art est question de relief. Dis-le, crois-le, pratique-le, fais le dire autour de toi. Extériorise-toi.
*
La grande affaire est d'être toi-même. Ah! si tu savais être toi-même ne pas être autre chose! Le grand danger pour toi dans la vie sera d'être trop intelligent, alors que l'art c'est la candeur. Quand tu seras capable d'oublier ce qui n'est pas la candeur tu seras grand. Penses-y! Devenir cela est la suprême habileté mais tu n'en es pas encore à comprendre cela. La suprême habileté, c'est blanc partout et sans mensonge.
*
L'histoire ‘bourgeois, pas bourgeois, etc....’ est la plus grande bêtise du XIXème siècle. Il y a Adam et Eve, Adam et Eve, et toutes les étiquettes sont absurdes ou presque. Connais Adam et Eve avec optimisme.
*
As tu médité ce que je t'ai écrit sur l'optimisme en matière de jugement du monde? N'est-ce pas à toi que je l'ai écrit? Penser en sphère et non en pointe, c'est très important.
Songe aux mots. J'espère que tu n'as pas oublié le conseil de Tauber ‘Vivre la minute et non la précédente ni la suivante’. En appliquant cette méthode tu approfondiras ta sensibilité: ainsi acquerras-tu le mot qui n'est pas autre chose que la sensibilité approfondie. Cherche l'atmosphère du poème, c'est cela l'essentiel, cherche à donner une impression: par exemple l'impression du velours, ou celle de l'humide, ou celle du merveilleux, etc. etc. tout cela par les mots, par le mot. C'est très important.
*
Ce qui n'est pas le fond de toi-même ne compte pas et ce qui est le fond de toi-même est fatal. Veux-tu être un fabricant, c'est à dire un superficiel? Le lecteur existe certes! Si le lecteur de 1937 ne te comprend pas ce sera celui de
38 qui te comprendra. Stendhal en 1830 écrivait: ‘Je serai compris en 1880!’ Il ne se trompait pas. En 1907 j'étais un poète insudit. Aujourd'hui je suis de l'arrière-garde: on en a assez de moi, le lecteur existe! Tu auras ton heure, elle passera aussi, si bizarre que cela te paraisse. Ta discipline est de chercher le fond de toi-même par la méditation. Il n'y en a pas d'autre.
Désirer la gloire est un bon signe, le signe que tu l'auras. La mépriser est encore meilleur, cela veut dire que tu es au-dessus d'elle.
*
La grande affaire est le ou les sentiments: leur mobilité fait celle de la syntaxe, leur plénitude fait celle de la phrase. La précise exactitude des mots et l'abondance du vocabulaire font le style.
Imprime ces quatre lignes au front de tous les fronts. Je ne sais rien d'autre. Que les jeunes poètes gagnent ou non leur vie, ils ne trouveront rien d'autre.
1937
Extraits d'une préface á une Esthétique de Max JacobGa naar voetnoot*
1937-1944
AVRAI DIRE, tes lettres vivement décachetées, ô Max! j'y cherchais davantage l'anecdote, le sourire, le compliment, que ces volées de bois vert que tu m'infligeais en douce et tout en l'excusant.
Délaissant les livraisons pleines d'aventures policières chantées par le Mal-Aimé, il me fut donné de bavarder par écrit avec ce Pascal moderne mâtiné de Jarry dont la prose précise venait comme un raz-de-marée saper les bases confortables de mon ignorance.
Ayant mis par hasard le pied dans la toile d'Orphée, je connus d'un seul coup tout le tremblement de la lyre.
Qu'on n'imagine point Max professeur! professeur de quoi d'abord? De desseins vrais ou faux? de danse? d'outrecuidance? de syntaxe ou de style? ‘Le style, c'est l'homme’, disait-il, imitant Buffon.
La vérité de Max Jacob m'apparaît bien mieux maintenant que j'ai vu son cercueil porté à bras par quatre générations littéraires et celui-ci était lourd, comme il était lourd! de toutes les promesses que Max Jacob nous avait faites. faites.
... Qui saura dire l'héroïsme quotidien de Max Jacob dans sa retraite de Saint-Benoît-sur-Loire, ses continuels engagements avec sa conscience, avec sa logeuse, avec son Ange, avec les démons du Verbe, avec les gouaches craquelées avec le ‘Ravitaillement des années 40’ [‘Ma soeur est au camp de Compiègne et chaque colis coûte 100 fr’] Tout cela! et puis Drancy, un exil de cinq ans au cimetière d'Ivry avant la grande paix définitive en terre de Saint-Benoît.
Du XVème siècle par les Chants Bretons de Morven le Gaélique, du XVIIème et du XVIIIéme [Moliére, La Bruyére, Rousseau] par le ‘Cabinet Noir’ et la ‘Défense de Tartuffe’ [j'oublie ‘Cinematoma’] du XIX éme par son côté gothique et Fin de Satan, Max Jacob demeurera ce martyr du XXéme siécle continuellement de service sur ce poteau de couleurs mis à la mode par Rimbaud, où l'éternelle poésie le cloua.
Les outrances sont filles de raison. Nous les marierons sur une place de village, vers Bénodet ou bien Guichen. Et qu'on cesse de nous parler désormais
quand il s'agira de Max Jacob, de calembours, de coq à l'âne, d'écholalies et autre pilules puisque la santé fut au bout.
Et quelle santé! Pire que la santé! la santé retrouvée! Voilà ce que nous enseigne l'oeuvre de Max Jacob, oeuvre encore en partie dans les revues, dans les cartons, dans la mémoire ou la correspondance de ses amis, l'oeuvre des vingt dernière années...
Extraits d'une ‘Esthétique de Max Jacob’
1937-1944
Il faut apprendre à souffrir davantage et à se taire. Un vrai poète est tordu sur un bûcher en silence. Ne te plains pas d'être désespéré: c'est l'état de désespoir qui est désirable; Le XXeme siècle n'a pas souffert c'est pourquoi il n'a pas donné de poètes français [Milosz ni Apollinaire ne sont français]. Extérioriser trop tôt, c'est le contraire de la souffrance.
J'oserai aller plus loin: il ne faut pas chercher à écrire beaucoup mais au contraire chercher à se retenir, à ne pas pouvoir se retenir. C'est ce qui a été porté en silence qui compte et non pas ce qui a été cherché en tant que prétexte à écrire. Les sujets affluent: ne serons-nous pas difficiles sur leur choix?
*
Les heureux sont des insensibles et l'insensibilité tue la vie intérieure et encore plus la vie éternelle. Souffrons, recherchons la souffrance ou plutôt établissons la en nous d'une façon complète, définitive.
*
La vie s'apprend à coups de chagrins divers et de pardons inlassables. Si on en voulait à chacun, on n'aurait plus personne. Pardonne! pardonnons à force de compréhension psychologique.
*
Oui! mille fois oui! la Poésie est un cri mais c'est un cri habillé [!] Celui de mes poèmes qui ent le plus de succès est la Ballade de la Visite Nocturne. Pourquoi?
Parce que le sentiment qui l'anime est un sentiment qui a été énormément sincère.
*
Enrichis-toi d'impressions de la vie, prends chaque jour longuement des notes en les méditant, les développant; décris, définis, cherche le mot qui peint. C'est en écrivant chaque jour tes mémoires que tu trouveras chemin faisant des occasions de poèmes ou de prose.
*
Reste dans la vérité, dans ta vérité et tu es un grand poète pour longtemps. Surveille-toi à ce point de vue ‘vérité envers toi-même’ ainsi éviteras-tu le babillage de tous ceux qui ne sont pas vrais: c'est là la clé de l'excellent.
*
Tout ce que l'on comprend vraiment devient émouvant. Habitue-toi à comprendre profondément une seule chose plutôt qu'à en comprendre superficiellement deux.
*
Aie tes goûts à toi et aie la force de choisir tes voisins, ton domaine, ton théâtre, ton vocabulaire, ta nourriture, ta cravate, ton opinion politique, ton rythme, ta couleur, ta forme.
*
La poésie n'est rien que de se creuser les côtes. De tout cela on meurt comme de toutes les passions.
MAX JACOB
- voetnoot*
- Het portret van Max Jacob geschilderd door Roger Toulouse.
- voetnoot**
- Mijn geboortedatum.
- voetnoot*
- Bedoeld is: van de Duitsers. Helaas!
- voetnoot**
- Max Jacob noemde zo de Gele Ster waarvan de Duitsers de dracht verplichtend hadden gesteld voor Joden.
- voetnoot*
- In 1947 stelde René Guy Cadou zich voor om uit uittreksels van Max Jacob's correspondentie een reeks conseils-clés samen te stellen. Uit het archief van de heer Roger Toulouse ontvingen wij een uittreksel van het voorwoord en een deel van deze Esthetiek.