Teksten Handschrift
Tekst van het handschrift van Jules Supervielle
Tu dois être content, mon cher Max, que de jeunes admirateurs hollandais t'offrent leurs hommages si spontanés et te demandent de venir parmi eux sans façons, assister à une fête en ton honneur.
Les morts ne savent pas très bien où ils en sont. Même illustres, ils ont une tendance très marquée à se croire oubliés. C'est là leur complexe d'infériorité. En vérité, ce sont des timides et il faut beaucoup de tact pour ne pas les effaroucher. Il en faut encore davantage pour les mettre en confiance, j'allais dire pour les apprivoiser. Mais quand ils sentent autour d'eux, comme aujourd'hui, dans cette Revue justicière, les forces miraculeuses de l'amitié, ils cessent d'être les plus grands invalides de la vie pour venir de nouveau parmi nous, sur leurs jambes de vingt ans.
Cher et grand Max, tu ne t'es jamais occupé de ta gloire. C'était bon pour Victor Hugo (qui d'ailleurs la méritait bien, soyons justes). Ce qui compte après la mort, n'est-ce pas, c'est qu'on se fasse encore de nouveaux amis et voilà qu'il t'en pousse de tous côtés de par le monde. Toi qui as tant fait pour faire connaître tes amis personnels, par exemple, le cher Apollinaire, toi qui donnas confiance en eux mêmes à tant de jeunes poètes inconnus, il est temps qu'on te donne des affections toutes fraîches. Et cela te rajeunirait encore si tu n'avais toujours eu - même maintenant - de la jeunesse à revendre ou plutôt à donner, toi qui fus un parfait distributeur d'espérance, toi qui la jetais sans compter sur le pauvre marché de l'anxiété humaine.
JULES SUPERVIELLE
Février 1954.