Roeping. Jaargang 25
(1948)– [tijdschrift] Roeping– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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Guy Chastel
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trice de la Tour du Pin possède la clef d'or qui ouvre la porte du rêve et ne se prive pas du plaisir de nous y introduire. En retrouvant, dans une somme de poésie, cette Quête de joie qui lui avait acquis tant de suffrages, nous retrouvons aussi, dans l'ensemble, le climat originel de ses méditations:
Vers un obscur et bas pays
Troué de chapelets d'étangs,
Un pays de bois d'où le soir
Ma meute blanche s'égarant
A la poursuite des renards
Revenait vers moi dans la nuit.
Et déjà nous savons que ce domaine secret n'est point limité à quelques arpents, mais qu'au delà des haies immédiates, il ouvre sur les guérets, les landes, les forêts, atteint la masure ou le château et, malgré les allées lumineuses qui peuvent y conduire, garde jalousement ses points d'ombre et de recel:
Je porte ma nuit, mais ma transparence,
Mes parois pourries, mais mon feu secret.
J'entraîne mon mal partout où j'avance,
Et je ne sais rien encore de ma terre
Qu'un mystère creux que je remplirai
Très patiemment de mon beau mystère.
Ces derniers vers nous livrent le secret de l'ouvrage. S'il est une somme de poésie, il est aussi un édifice. Les parties en sont juxtaposées avec des interludes qui en forment les joints et comme la rupture reposante. Mais tout y est constructif. On y passe de la Genèse au Jeu du seul et au Royaume de l'Homme, pour aborder l'Ecole de Tess et connaître les richesses de la Vie recluse en poésie, la Quête de joie, les Psaumes, les Belles Sciences...
C'est pour une retraite en forêt que j'appelle
Tous les êtres aimés à venir avec moi...
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On ne sera pas surpris de trouver, dans cette idéale reclusion, les fleurs les plus pures, celles qui se rapprochent de l'humilité des champs, ou les fleurs les plus rares, celles qui ne se cueillent que sur les cimes inviolées. On ne sera pas surpris non plus d'y trouver un bestiaire dont M. Patrice de la Tour du Pin était seul à pouvoir imaginer les espèces. Mais, dans les fantaisies mêmes de ces êtres imaginaires qui s'élèvent jusqu'aux anges, il y a une progression, mieux, une élévation continue. Je crois qu'il ne faut jamais oublier ce point de vue: une mystique informe toute l'oeuvre de M. Patrice de la Tour du Pin. S'il s'élève, c'est pour nous associer nous-mêmes au triomphe du sacrifice divin, c'est pour aboutir au règne du Christ. Il le dit avec une âme palpitante de chrétien:
Il fait grand froid sur les étoiles,
Il fait triste dans tous les yeux...
Dire que nous avions aux moelles
Une nostalgie d'être heureux!
Notre affaire d'homme est tragique,
Il fait surtout mélancolique
Partout où l'on croyait voir Dieu...
Il convient, d'ailleurs, de citer intégralement le poème consacré à la Vierge de l'Annonciation, à la Vierge de l'Incarnation:
Un jour du monde,
La terre reçut un des plus grands anges
Sur un courant très caché de son sang,
Mais réservé dès le commencement
Pour cet échange
De l'amour de Dieu et du Monde.
L'Annonciateur,
Avant salué la Dilection de Dieu,
La préférée de la Beauté suprême,
La fiancée de l'Amour telle qu'il l'aime,
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Reçut l'aveu
De la mise au jour du Seigneur.
O fête! fête!
Que nulle oreille alentour n'entendit,
Que nul écho d'abord ne put reprendre,
Ce trouble de la terre à son point le plus tendre,
Il s'étendit
Pour que notre joie fut complète.
Pour que sur terre,
Il se propage une race d'amour
Depuis la Vierge et son consentement,
Et qui s'engendre à l'infini des temps
Jusqu' à ce jour
Où nous ferons corps à la lumière!
Il faut ici le remarquer: si M. Patrice de la Tour du Pin a, pour le fond, sa mystique, il a aussi, pour la forme, une coupe prosodique qui lui est propre. Peu soucieux de la rime traditionnelle, il obéit à ce rythme intérieur qui le porte et sur lequel il se plait à se laisser porter. Sa poésie est celle d'un visionnaire, voire d'un visionnaire apocalyptique. Les images apparaissent au décours de son oeuvre, vives, pressées, abondantes, surabondantes mêmes, si personnelles, qu'assez souvent le visionnaire est seul à pouvoir s'y reconnaître. Et toute cette poésie aurait quelque chose de trop tendu, de trop volontairement poussé vers les sommets si, dans les jeux par lesquels le poète retrouve son état d'enfance, il n'y avait un heureux retour à la simplicité. Penché sur le sort de la laide, il fait sur elle une chanson: Je balaie le pas des hommes;
- A balai, balai que veux-tu?
Qui me frôlent toujours comme
S'ils avaient perdu la vue.
Le long des neuf livres que comporte Une Somme de poésie apparaissent sous des noms divers, assez surprenants, des | |
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personnages qui ne sont autres que la projection de l'auteur, dans les types nombreux qui apellent consécration ou condamnation. Au vrai, ce lent périple n'a été qu'une montée spirituelle où l'on peut dire qu'à chaque pas le poète est possédé par la hantise d'un retour aux virginités de la pure enfance. Assuré du côté de sa foi, il était normal, il était naturel qu'il aboutit à l'amour. C'est à ce thème délicat qu'il consacre son dernier livre. La femme n'y apparait que pour y être la mère et c'est l'enfant qui donne à l'ouvrage tout entier sa radieuse couronne.
Elle porte son nom de Joie;
Je voudrais finir par ce mot
Ma longue histoire naturelle;
Et je l'ai inscrit tout en haut
De la grille qui clôt mes bois
Et n'ouvre plus que sur le ciel,
Où Annie et moi lentement,
L'un à l'autre, dans ce sourire
Divin, qui a su nous conduire,
Nous cherchons à prendre lumière,
Et verrons en nous retournant
Qu'il fait plein amour sur la terre...
Telle est cette oeuvre exceptionnelle. Certains se plaindront, à juste titre, d'une obscurité qui les empêche de distinguer aussi rapidement qu'ils le voudraient les perles qui y foisonnent, mais peut-être à la façon des étoiles qui ont besoin de la nuit pour briller. |
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