Roeping. Jaargang 25
(1948)– [tijdschrift] Roeping– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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Guy Chastel
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J'ai senti mon coeur battre, ayant vu, dans ce lieu,
Facile à reconnoître un coin d'ancienne Terre,
Parcelle de l'Eden et dont tout le mystère
Etait une beauté portant marque de Dieu.
Nous voici donc partis la découverte du monde. Car il s'agit de rien de moins que de recevoir de la bouche du poète des révélations sur des splendeurs que les yeux du commun des hommes sont incapables d'apercevoir. Le danger était ici de voir trop grand et trop haut, en un mot, sous prétexte de collines, de chercher à se tenir uniquement sur les sommets. Certes, M. Serge Barrault sait y monter et, ce qui est mieux, s'y maintenir. Mais, comme il sait aussi, chemin faisant, abaisser les yeux sur le caillou, l'insecte, la fleur, la plus humble des choses créées qui, elles encore, comme les plus grandes, ne cessent de chanter la gloire de Dieu! Les verdures d'été tout le monde les connaît, chacun les célèbre. Il me plait de trouver sous la plume de M. Serge Barrault l'éloge des Verdures d'Hiver:
Louange aux bons lauriers qui nous restent fidèles,
Aux fusains empesés, aux vénérables buis,
Verdure qui persiste et feu sombre qui luit
Dans le désert pâli de la plaine mortelle.
Portiers des vieilles tours qui font l'ombre autour d'elles,
Survivants des jardins et compagnons du puits,
Louange aux bons lauriers qui nous restent fidèles,
Aux fusains empesés, aux vénérables buis.
Partis, tous les frissons, comme les hirondelles!
Mais dans le chemin creux, sous l'approche des nuits,
Entends-tu, secouant leur glacial ennui,
Frémir avec un bruit d'humbles plumes et d'ailes,
Au vent, les bons lauriers qui nous restent fidèles?
Plus modestes encore sont les pâquerettes de printemps dont le charme frais émeut si aimablement le poète: | |
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Des pensions de pâquerettes
Ont choisi comme promenoir
La pelouse du vieux manoir
Clos de persiennes bien discrètes.
Dans l'herbe neuve aux mille aigrettes,
Il bouscule, le merle noir,
Les pensions de pâquerettes
S'ébattant sur le promenoir.
Et j'admire (de ces retraites
Lourdes d'ombre où je vins m'asseoir),
Tournant sous la fraîcheur du soir
Nuques frêles et collerettes,
Les pensions de pâquerettes.
S'agit-il des bouleaux aux chairs de satin?
Ils sont les chevaliers-orphées
Qui, savent accueillir les fées
Dont nos rêves peuplent les bois;
Et leur sveltesse végétale
A travers l'atmosphère étale
Fuit, suave comme une voix.
Mais s'il s'agit des sapins ‘hautains’ qui escaladent la muraille impassible élevée par Dieu sur les hauteurs du Jura,
Les sapins, troupe sombre, enfoncent à la fois
Leurs milliers de piques en bois
Dans le roc ou dans l'herbe en contournant l'abîme.
Auront-ils le château sublime?
Comme on le voit, M. Serge Barrault promène son désir des collines éternelles avec une oreille, un regard, une âme, pleins d'attention et surtout pleins d'amour pour toutes les richesses de la nature. Il en a l'intime et juste perception. L'image survient sous sa plume, suggestive et rapide. C'est la ‘nasse’ des peupliers d'hiver, c'est l'envol de corbeaux aux | |
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ailes noires comme des bords de ‘feuillets brûlés’, c'est la neige aux ‘plumes de silence’.... M. Serge Barrault goûte la nature en amant, il la respire en artiste, il incline même à la décrire en savant. Oui, la recherche du mot qui évoque mieux, du verbe qui rappelle le chant ou le cri, des inversions fréquentes, certain souci de l'effet ne laissent pas de rendre cette poésie savante. Elles aboutissent aussi à des réussites surtout quand elles s'appliquent au bestiaire campagnard qui fait du poète un antomologiste truculent et précis. Voyez plutôt les soins qu'il prend du hanneton, de la chouette et de toute autre bestiole! Ecoutez même ce qu'il dit de la chèvre:
Dans l'ombre elle allume ses yeux
Verts; et que droites sont les cornes
De la chevre à l'étable qu'orne
Un pelage roux et soyeux!
Par les chemins silencieux,
Mordillant la folle viorne,
A l'ombre, elle allume ses yeux
Verts. Et que droites sont ses cornes!
Et quand vient le soir soucieux,
L'idiote à l'oeil louche et morne
Qui, massive autant qu'une borne,
Suit ses détours capricieux,
Lui fait maints discours anxieux.
Mais debout comme une licorne
Contre le buisson broussailleux,
L'âpre bête allume ses yeux
Verts: et que droites sont ses cornes!
Mais jamais M. Serge Barrault n'est mieux inspiré que lorsqu'il trouve ses ouvertures du côté du ciel de poésie. Alors, il s'évade, il prend de l'aile, il monte en plein air, nous y montons avec lui, notre coeur entend tout près du sien
La plainte vague du grand vent
Dans la solitude nocturne.
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Ce sont les poèmes concentrés qui retiennent nos préférences. Ainsi, mettons-nous très haut les courtes strophes que M. Serge Barrault a placées sous ce titre: Le Chemin de la Mer:
J'ai lavé mes mains dans le fleuve.
Qu'il porte mon rêve à la mer!
Le présent est toujours amer.
L'avenir a la face neuve.
L'eau qui court, fût-elle un ruisseau
Connu des seules scabieuses,
Rend nos âmes ambitieuses
De l'onde où s'élance un vaisseau.
Sous la forêt lointaine et haute,
Le petit flot qui chante et saute
Mime l'enfance d'un géant:
Il annonce Neptune à l'homme
Et nous appelle à l'océan
Comme le sentier mène à Rome.
Le Désir des Collines Eternelles est un livre d'amour. Aussi bien, ce premier recueil ne fait-il qu'annoncer ceux qui seront consacrés à l'architecture, à la cité, à l'art, au problème de notre destinée où nous retrouverons le Grand Portail des Morts, à l'amour enfin, à l'amour que peut inspirer au poète, c'est-à-dire à l'homme même, tous les êtres qui lui sont chers. La haute qualité du livre que nous venons de lire nous donne, à nous, le désir de ceux qui doivent le suivre et compléter ainsi une ‘Divine Comédie de l'Ame humaine’. |
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