Queeste. Tijdschrift over middeleeuwse letterkunde in de Nederlanden. Jaargang 2004
(2004)– [tijdschrift] Queeste– Auteursrechtelijk beschermd
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Naar aanleiding van...Hadewijch a-t-elle jamais été traduite?Ga naar voetnoot*
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Canticles, un manuscrit du nord de la France sans doute quelque peu postérieur à Hadewijch; dans un bref avant-propos, l'auteur Boris Todoroff justifie ce choix éditorial en relevant quelques parallèles entre l'inspiration de ces magnifiques enluminures et celle ayant présidé aux oeuvres de Hadewijch. L'essentiel de l'ouvrage offre à lire divers passages des quatre ‘livres’ attribués à Hadewijch, texte original accompagné en regard des traductions de Frans van Bladel. Ce dernier a révisé les extraits qu'il emprunte à sa traduction des Brieven publiée voici un demi-siècleGa naar voetnoot5; il explique dans une postface qu'il a eu la volonté de donner à lire ce qu'il y a de ‘plus beau’ dans le corpus et précise qu'il n'a pas hésité à intervertir l'ordre de certaines strophes des poèmes afin de leur conférer une nouvelle cohérence. Fidèle à sa vocation première, Uitgeverij P a pour sa part publié, également dans une édition bilingue, seize des quarante-cinq Strofische Gedichten, les Mengeldichten XIII et XV mais aussi les XXI et XXVIII qui ne font pas partie du corpus hadewijgien proprement dit. La table des matières les attribue à cette Hadewijch II qui n'a jamais existée mais qui a le don de réapparaître périodiquement. On doit ce choix de poèmes et leur traduction à la poétesse flamande Lucienne Stassaert. Minne is wonderzoet in al haar stormen - le titre du volume est la traduction du premier vers du Mengeldicht XIII - se referme sur une post-face recensant quelques caracteristiques des poèmes strophiques ainsi que sur une brève note de la hertaalster évoquant la stratégie qui commande sa traduction. Des trois ouvrages que nous évoquons ici, Ende hier omme swighic sachte répond à un dessein bien différent. Les divers extraits traduits viennent en fait illustrer un propos plus large: après un survol des acquis de la recherche, la première moitié du livre s'intéresse en effet à la dimension musicale des textes de Hadewijch, et plus précisément au rapport qu'entretient le texte avec la musique, tant dans les Strofische Gedichten que dans les autres textes dits ‘en prose’. Un des mérites de ces pages, qui annoncent un travail universitaire plus consistant portant essentiellement sur les Brieven, est de souligner ‘le caractère vocal de cette littérature’, ‘l'aspect physique des textes médiévaux’, l'importance des mécanismes mnémotechniques qui influencent la syntaxe ou encore le rôle de la respiration dans la composition des textes. Il y a bien plus de parenté entre la ‘prose’ et la ‘poésie’ de Hadewijch qu'on ne voulait bien le dire, et cette parenté ne réside pas essentiellement dans le sens que revêt ce qui est dit mais dans la façon dont cela est dit. En d'autres mots, le travail d'Anikó Daróczi met en lumière des données qui n'ont guère été prises en considération par les multiples traducteurs, non plus d'ailleurs que par les exégètes. Un auteur mystique continue de vivre dans et à travers son oeuvre à condition qu'on ne réduise pas celle-ci à du simple récit. Le XXe siècle a déterré Hadewijch des bibliothèques, le XXIe va peut-être la restituer en chair et en os à ceux qui n'ont pas accès au texte original. Un seul coup d'oeil jeté sur les traductions des fragments des Brieven permet de voir qu'Ellen Hennink ne s'est pas contentée de traduire ces passages comme s'il s'agissait de coupures de presse ou d'un texte littéraire quelconque de notre époque: on constate en effet qu'il y a une remise en cause de la ponctuation moderne introduite dans l'original et une présentation du texte par unités syntaxiques. Or la disposition typographique trahit à elle seule une conception du texte; en adoptant systématiquement la typographie qui a le plus cours de nos jours, les traducteurs précédents ont simplement adhéré implicitement, et sans doute inconsciemment, à une stratégie traductive qui situe, pour ainsi dire, toute la sémantique dans le sens des mots. Malgré sans doute des lacunes dans la concrétisation de leur dessein, Darókzi et Henninck ont le grand mérite de nous faire pressentir et même saisir l'importance fondamentale de ce qu'on peut appeler la prosodie: ‘La prosodie est l'organisation consonantique et vocalique des chaînes qui font le discours, l'organisant en paradigmes et en syntagmes, participant inséparablement aux effets de sens, sans être du sens.’Ga naar voetnoot6 Reste à savoir comment traduire tout ce qui peut constituer ‘une sémantique prosodique’. On s'est souvent caché derrière la difficulté de la phrase hadewijgienne pour ne pas faire l'effort de | ||||||||||||
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comprendre l'enjeu de la traduction de cette oeuvre. Il ne s'agit pas dans cette affaire de discuter de la pertinence d'un mot donné pour rendre un terme moyen-néerlandais, discussion pour le moins vaine. Ce qui importe, c'est de savoir ce que l'on fait. Encore une fois, la traduction elle-même trahit une stratégie donnée qui peut être tout simplement une carence de stratégie. La plupart des traducteurs de Hadewijch ne sont guère diserts sur leur approche. Frans van Bladel ne déroge pas à la règle; it entend donner à goûter la langue de Hadewijch, ‘het mooiste’ van Hadewijch. Des mots subjectifs et bien vagues qui traduisent en fait le flou qui entoure l'acte de traduire et qui annoncent une réduction du texte moyen-néerlandais à du récit, selon une rhétorique qui n'a rien à voir avec le fonctionnement de l'original. Dans sa note en fin de volume, Lucienne Stassaert, pour sa part, pane brièvement de rimes et de strophes (rijmschema, rijmklanken, mannelijke en vrouwelijke rijmen) avant de préciser: ‘Un rythme aussi naturel que possible et pulsateur, qui prend en compte le phrasé que suivrait une voix, voilà ce qui m'a guidée.’ Comme chez beaucoup d'autres commentateurs et/ou traducteurs, on relève ici l'évocation de la ‘musicalité’ du texte médiéval, mais sans que cela soit approfondi et tout en restant dans un schéma de pensée traditionnel qui envisage le langage comme signe, comme du discontinu, en termes de composantes abstraites et non comme un discours, comme du continu entre langue et pensée émanant d'un individu donné. On se demande ce qu'il en est des effets de répétition, des effets d'échos, des chaînes prosodiques, des accents rythmiques, des pauses, de l'organisation rythmique des signifiants. Force est de constater que les efforts entrepris jusqu'à présent répondent à une même conception du langage, une conception qui permet d'aboutir, si l'on veut, à des ‘traductions’, mais des traductions qui ne sont pas des ‘textes’ à proprement parler. L'option retenue par H.W.J. Vekeman dans Het visioenenboek van Hadewijch ne me paraît pas devoir échapper à cette critique même si cet auteur remet en cause la ponctuation moderne qui encombre le texte médiéval et s'il envisage les différentes Visions comme un texte global.Ga naar voetnoot7 Cette conception inadéquate de la langue - il suffit de lire à haute voix la quasi-totalité des traductions ou, mieux encore, d'en chanter certains passages, pour prendre la mesure de l'inefficace de la stratégie mise en oeuvre: ce qu'on entend, ce n'est pas la traduction, c'est tout ce qui cloche -, c'est aussi celle sur laquelle se fondent en général les commentateurs des traductions ou encore Helen Rolfson, dans une des rares contributions abordant la problématique de la traduction des textes mystiques brabançons.Ga naar voetnoot8 Or, à la fin des années soixante, un théoricien avait commencé à remettre radicalement tout cela en question. En publiant chez Gallimard en 1970 un premier ouvrage théorique, Pour la poétique I - dans lequel it écrivait déjà par exemple: ‘Lire la poésie médiévale ou “classique” seulement en fonction de leurs rhétoriques serait un faux historicisme. Les oeuvres ont toujours transcendé leurs rhétoriques’ (p. 110-111) - et un premier volume de traductions, Les cinq rouleaux, Henri Meschonnic lançait son combat contre la vision du langage défendue tant par les linguistes que par les spécialistes de la littérature. Redevable aux poètes Hopkins et Péguy ainsi qu'à Marcel Jousse, il n'a cessé depuis lors de porter sa pensée plus loin en mariant travail de réflexion sur la traduction - c'est-à-dire en peaufinant une poétique - et traductions de textes, le tout pour saisir la totalité du fait littéraire. Lire le poète-théoricientraducteur Meschonnic, c'est d'abord abandonner la religion du primat du sens, le dualisme fond/forme, et remettre en cause le contenu de nombre de concepts: poétique, rythmé, oralité, sens, autant de choses qu'il convient de redéfinir, d'envisager sous un jour nouveau. C'est aussi renoncer à ces traductions commentées, annotées, décorées de résumés ou de titres - et aujourd' hui illustrées -, etc., qui montrent que l'on réfléchit beaucoup sur ce que le texte peut vouloir dire mais pratiquement pas sur | ||||||||||||
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ce qu'est la traduction, sur ce que le texte fait. Quelle que soit la nature du texte - roman, poésie, théâtre, texte sacré, texte mystique - et quelle que soit son époque d'apparition, les principes et concepts de base de la traduction restent les mêmes. Ces principes et ces concepts forment ce que Meschonnic appelle une ‘poétique du traduire’. Tout traducteur talentueux y recourt de manière insciente. Cette approche qu'on peut qualifier de révolutionnaire est d'autant plus intéressante pour le traducteur de Hadewijch qu'elle retient comme champ expérimental la Bible. Si l'hébreu n'est pas le moyen néerlandais, it n'en reste pas moins que la tâche qui attend le traducteur de Hadewijch est très proche de celle accomplie par Meschonnic: tenter ‘une traduction qui fait du rythme le signifiant majeur du discours’. (Meschonnic 1981, p. 44). Tâche très proche car les oeuvres de Hadewijch, tout comme la Bible, présentent de manière marquée une rythmique qui constitue ‘l'ordonnance même du texte, sa ponctuation, sa sémantique, sa mélodique en même temps que le rythme’ (Meschonnic 1981, p. 35). Les solutions qu'avance cet auteur doivent permettre de ne plus répéter les mêmes erreurs. ‘Ne plus traduire du “sens”, ne plus traduire de la “forme”, parce que la réalité empirique et banale des discours n'a rien à voir avec cette représentation abstraite qui se donne, culturellement, pour la nature du langage.’ (Meschonnic 1981, p. 34) Le traducteur de Hadewijch a souvent confondu travail de traduction et travail d'exégète. Or traduire, ce n'est pas interpréter. Car ‘si interpréter précède traduire, apparaît une contradiction insurmontable entre le texte et sa traduction: le texte est porteur de la chaîne interprétative et porté par elle; la traduction, seulement portée’ (Meschonnic 2001, p. 20). Interpréter, c'est réduire le langage à un instrument, à du sens et, éventuellement, à du son. C'est réduire le texte aux concepts de la langue et du savoir. Dire qu'un texte est difficile - et combien de fois n'a-t-on pas affirmé que les oeuvres de Hadewijch étaient difficiles? combien de fois n'a-t-on pas cru bon de corriger ce qu'elle a écrit alors que sa virtuosité et son expérience du divin font que c'est à nous de faire l'effort d'aller vers elle et non pas à elle d'être défigurée, amputée? - c'est le lire uniquement sous l'angle du sens. De l'herméneutique. Or, la question: ‘qu'est-ce que cela signifie?’ est insuffisante à rendre en totalité des textes comme ceux de Hadewijch. Il y a dans ces textes plus que le sens lexical des mots, plus que leur signification en situation pour un émetteur et un destinataire. Ce n'est pas la prose mortifère de nos vénérés journaux. Il y a ce qui tient ensemble une syntaxe, une rythmique et une prosodie, c'est-à-dire une organisation et une diffusion d'effets à l'état indéfiniment naissant. Il y a ce qui porte les mots, les traverse, les joint, les disjoint, les englobe. Autrement dit un ‘continu en mouvement’, ce que Meschonnic appelle ‘un continu de sémantique sérielle’ du texte. Traduire dès lors n'est plus traduire de la langue. C'est traduire un discours, un discours d'une langue, un discours propre à un auteur, à un sujet, discours qui ne relève pas de ce que disent les mots mais de ce qu'il fait lui-même. Non plus son sens seulement, mais sa force (Meschonnic 2001, p. 15). La traduction doit faire ce que fait le texte original. Le discours n'est pas un emploi de la langue: la langue est ce qui arrive par le discours. Le langage est du je, du discours, du ‘continu’. La même chose doit se produire dans l'activité du traducteur. Autre façon de le dire: traduire, c'est traduire l'énonciation et non pas l'énoncé. L'énonciation, c'est la présence et l'activité de l'énonciateur dans son langage. Ou encore: traduire, c'est traduire non pas le sens, mais le mode de signifier. Cette dimension est à mon sens présente intuitivement dans les travaux d'Anikó Daróczi. En partant de la musique, son étude permet de mieux comprendre ce que font les textes de Hadewijch. La chercheuse hongroise évite aussi le travers de cette exégèse, de cette interprétation qui précèdent la lecture réelle de l'oeuvre. Car quand on interprète, on résume la langue à du sens, à du signe. C'est ne pas faire droit au texte qui ne dit pas seulement ce qu'il dit, mais fait ce qu'il dit. Une pensée fait quelque chose au langage, et c'est ce qu'elle fait qu'il faut traduire. Cela rend caduque la distinction entre langues source et langue cible, laquelle rejoint la distinction entre signifiant et signifié gouvernée par une vision du langage elle-même gouvernée par le signe. S'il y a une source, c'est ce que fait un texte, s'il y a une cible, c'est faire dans l'autre langue ce que fait le texte. Traduire, c'est traduire ce que les | ||||||||||||
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mots ne disent pas, mais ce qu'ils font. Henri Meschonnic appelle cela ‘le rythme’, non pas au sens habituel de cadence, non pas le rythme conçu comme ‘figure de la forme’ (‘le panpan traditionnel’): ‘Le rythme est dans le langage l'inscription de l'homme réellement en train de parler’ (Meschonnic 1989, p. 22), c'est ‘l'organisation continue du langage par un sujet’ (Meschonnic 1989, p. 111). Ce qu'il convient de traduire, c'est ce que H. Meschonnic appelle ‘la pensée poétique’: ‘la manière particulière dont un sujet se transforme, en s'y inventant, les modes de signifier, de sentir, de penser, de comprendre, de lire, de voir - de vivre dans le langage. C'est un mode d'action sur le langage. La pensée poétique est ce qui transforme la poésie (...) C'est cela qui fait la modernité d'une pensée, même pensée il y a très longtemps. Car elle continue d'agir. D'être active au présent.’ (Meschonnic 1999, p. 30). Cela est d'autant plus crucial quand il s'agit de traduire la voix d'un mystique; cela veut dire que la pensée de Hadewijch ne peut-être ‘active au présent’ dans les traductions traditionnelles. Cette poétique du traduire suppose aussi de revoir la vision qu'on a en général de l'oralité. On doit abandonner le dualisme traditionnel écrit-oral. Il convient de distinguer l'écrit, le parlé et l'oral. Il y a une oralité du texte. ‘L'oralité est le primat de ce rythme dans la parole. Pas du son, du sonore, mais une spécificité qui se donne à entendre.’ (Meschonnic 2001, p. 17). C'est ce qui solidarise la littérature et le parlé. La voie qu'emprunte le livre Ende hier omme swighic sachte sera la bonne si on ne retombe pas dans les conceptions et les concepts ancrés dans nos esprits, si on envisage par exemple l'oralité au sens où l'entend Meschonnic. Ce sera aussi la seule façon de faire que Hadewijch devienne moderne dans nos différentes langues, de la restituer dans son altérité et non plus de la réduire à nos présupposés. Ceci devra sans doute aussi s'accompagner de nouvelles éditions scientifiques de chacun des quatre textes, outils premiers et indispensables qui succèderont aux valeureux travaux de Jozef van Mierlo.
Adres van de auteur: Département de Néerlandais, Paris IV - Sorbonne, 108, Bd Malesherbes, F - 75850 Paris cedex 17
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