René Huyghe.
Le Prix Erasme, on en sait l'importance mondiale. Il fut récemment attribué à René Huyghe, digne fils de cette haute lignée. La Fondation Européenne de la Culture avait reconnu en lui cet éthicien d'élite que le prince Bernhard de Lippe félicita particulièrement.
Mais que nous dit le Who's Who (ou quelque annuaire) quant à ce haut académicien ‘bien de chez nous’? Huyghe, né le 3 mai 1906; originaire d'Hazebrouck (où il a encore sa maison, ses amis, sa famille même), naguère Conservateur en chef du Musée du Louvre, ce qui m'a permis alors de protester près de lui contre les trop nombreuses vivisections de ‘l'Ecole Flamande’ (vocable unique souhaitable).
Dans les diverses salles du Louvre, on voit en effet tant de curieuses sous-classifications: Ecole des... Anciens Pays-Bas, ancienne Ecole Flamande Néerlandaise, Hollandaise, de Belgique, de Flandre Française etc. etc... Pourquoi?
Je voudrais, je veux (trop sommairement hélas), mais avec un intense respect d'admiration, souligner l'importance vive d'un des trop rares Flamands Académiciens de France et je dis ceci avec un total consensus.
‘Par l'oeuvre d'art’, René Huyghe a essayé de découvrir aussi bien la nature intime d'un être dans son for intérieur que l'attitude fondamentale expliquant une civilisation ou tout autre groupement humain. De la première recherche, relèvent ses monographies (sur Vermeer, Watteau, Delacroix, Gauguin, Cézanne etc.), de la seconde, ses études d'ensemble. Au premier chef: ‘l'Art et l'Homme’ qui embrasse l'évolution humaine depuis la Préhistoire jusqu'à l'Art abstrait d'aujourd'hui; les chapitres personnels rédigés par René Huyghe (dans cet ouvrage collectif qu'il a dirigé) ont été édités sous le titre Sens et Destin de l'Art. L'oeuvre d'Art est constituée de deux éléments primordiaux: elle est d'abord une image chargée d'un certain sens, à la fois voulu et inconscient; où s'avouent les intentions et les obsessions d'un groupe ou d'un individu, où se dessinent les lignes de force de leur pensée ou de leur sensibilité. Mais, par ses formes, l'oeuvre d'art obéit à une structure qui, pour être visuelle, n'en traduit pas moins l'organisation mentale de son créateur, cette structure est donc parallèle à celle des idées, dans la pensée et même dans la science contemporaine?
Dans l'Art et l'Homme René Huyghe résume ainsi cette conception: ‘Face au monde, l'homme a la nécessité pour vivre, (et le moyen, par son intelligence) de s'organiser. Pour comprendre le monde et ses rapports avec lui, pour agir sur lui, il doit s'en constituer une représentation efficace, en avoir une conception, ce qui revient à lui donner forme.
Cette forme est à la fois mentale (dans la religion et la philosophie qui aboutissent à un système d'idées) ou visuelle, par l'Art, qui aboutit à un mode de figuration, ou sociale, par le régime qui aboutit à une organisation communautaire.
Plus on cherche à pénétrer la structure typique qui conditionne une époque, plus on aperçoit qu'elle s'incarne, identique en son principe, mais diverse par ses modes d'application, dans tous ses aspects.’
Huyghe écrit encore, dans le même livre:
‘L'Homme d'un temps et d'un lieu donnés projette dans les systèmes d'idées ou d'images par lesquels il entend s'exprimer, dans sa philosophie, sa littérature et son art, le reflet des mêmes préoccupations: ce sont, en des langages divers, celles de son époque, telle qu'elle est façonnée par les circonstances matérielles et morales, économiques, sociales et spirituelles.’
Le génie des individus ne fait que leur donner une portée plus universelle et éternelle par l'ampleur et la qualité qu'il parvient à leur conférer.
L'histoire de l'Art ainsi entendue, laisse lire par transparence celle même de l'Humanité, dans sa continuité et dans la diversité.
De ce fait, l'art est le témoignage le plus direct sur les hommes disparus. Il permet d'explorer le passé. Mais il permet aussi d'interpréter le présent et l'avenir en gestation. C'est pourquoi René Huyghe n'a pas cru devoir mener séparément l'étude de l'Art ancien et celle de l'Art moderne. Son Histoire de l'Art Contemporain, parue en 1935, avec le concours de nombreux collaborateurs français et étrangers, constitue la première grande étude d'ensemble internationale, axée sur la peinture. Elle faisait montre à la fois d'audace et de justesse, puisqu'elle publiait et analysait déjà les oeuvres les plus modernes et on y trouvait par exemple, les Kandinski abstraits peints l'année précédente.
Résumons l'Histoire de l'Art Contemporain, son Vermeer ou son Van Gogh, et j'y reviens, surtout peutêtre cette trilogie: Dialogues avec le Visible... L'art et l'Homme... L'Art et l'Ame. J'ai eu belle nourriture à relire ce qu'écrivait du maître Huyghe, Marcel Brion, parlant de l'Art Irlandais (mais cela s'adapte tout autant à l'Art Flamand).
Sur cet Art Irlandais, peu connu, citait Brion, l'explication de Huyghe fut magistrale: Osmose ininterrompue de la Méditerranée au cercle polaire, sur toutes pistes terrestres et marines, d'Extrême Occident à Extrême Orient. Cette faculté Flamande d'Osmose (suppose encore Brion) fait que René Huyghe a gardé le culte solide d'une élucidation bien autre que celle la latine, laquelle obtient la clarté qu'à force de nier l'obscur ou de l'ignorer’. Et sa monumentale Histoire de l'Art courra de la Réalité fantastique (Brueghel, Bosch etc.) à l'harmonieux équilibre de Rubens.
Je parlais de Flandre Française car avant Louis XIV, (dont certains ont fêté la victoire, alors que d'autres plus mesurés et subtils, se bornèrent à commémorer l'annexion des Flandres) avant le guerrier Louis XIV, nos Comtes de Flandre avaient (des l'an mil) su donner une plénitude de valeur réelle, celle de l'Ame et de l'Art, à notre terroir. Symétrique, ce terroir actuel à ces deux autres tronçons homologues d'une Flandre, dite: soit Belgique (cet adjectif de Gaule Belgique) soit Hollandaise (nom de Province).
En bref, nos très anciens ‘Pays-Bas’ qui tracèrent, de la polyphonie à la peinture à huile, de l'Humanisme au monachisme, les importantes et élémentaires voies dioscurales de l'Homme.
L'Humanisme... j'en reviens donc au vif de mon sujet: parler avec dévotion, amitié et respect de René Huyghe, dont le sang est esprit, aurait dit Nietzche.
‘Cet homme, ajoute Brion, qui écoute en toute chose d'Art, battre le pouls du monde’.
Huyghe isseoit tout vif et armé, de notre terroir prodigieux de Flandre. Notre regretté ami Pierard me soulignait combien hélas des peintres de chez nous (Fiamminghi e Italia) s'affublaient, par mode, de noms italiens: Otto Venius (Van Veen) qui forma Rubens, Stradamus pour Jan Straet, etc, etc.
Oui, tous ces génies de l'Ecole Flamande, primordiale dans le monde, ont été grâce au Ciel, (et aussi à Léo Van Puyvelde de notre Académie Septentrionale) mis à leur place retrouvée. Et je soulignerai surtout ceux fidèles au pur génie Flamand. La dynastie des Breughel, terrifique-