Trois mois de saison lilloise.
Patient découvreur de talents et de toiles oubliées, Raphaël Mischkind a rassemblé en décembre, dans sa galerie lilloise de la rue Jean-Sans-Peur, un Salon - devenu annuel - du petit format. La formule prend du succès. Les dimensions restreintes des logements modernes, même bourgeois, y sont vraisemblablement pour quelque chose.
Ainsi, guidé par sa fantaisie et par un goût très sûr, dont il n'est plus besoin de faire l'éloge, le maître de céans a rassemblé une centaine d'oeuvres de tous poils: litographies, bronzes et toiles.
Pièce maîtresse de l'exposition: ‘le Chemin de fer de ceinture à Paris sous la neige’, de Rousseau. Un tableau délicieux et rare. Le douanier n'a pas mis souvent de la neige sur ses toiles. Quelques portraits du XVIIIe siècle et de l'époqua romantique, des compositions récentes de Laporte, Lesourt ou autres, et surtout des lithographies, signeés de grands noms, tels Cocteau, Dufy, Buffet, Miro, Poliakoff, Lurçat, l'ensemble, bien que totalement dépourvu d'homogénéité, si ce n'était le format réduit des productions, ne manquait pas d'attrait.
Le ‘Novotel’ d'Englos, près de l'autoroute de l'Ouest, s'est ouvert, lui aussi après celui de Lesquin à la peinture. Deronne y exposait pour la fin de l'année 1969. Un paysagiste convaincu, et très personne, ce Deronne, qui s'est fait un nom. Il montrait un cortège bien fourni de paysages du Pas-de-Calais, dans ces teintes vertes et brunes, un peu sourdes, qu'il affectionne.
Peut-être le trouve-t-on froid. Et pourtant, il est sincère, exigeant. Les bosquets et les terrils dévorent l'espace de la toile, dans une construction presque sévère, solidement architecturée en tous cas. Quand Deronne quitte la campagne ou la mine et qu'il dirige son regard vers le port et l'usine, son oeuvre gagne, semble-t-il en personnalité, car ce sont là des thèmes qui s'accomodent mieux d'un dépouillement qui réduit l'‘anecdote’ à ses traits essentiels.
Jousselin (Galerie Nord) ne cultive certes pas les horizons larges, ouverts sur un au-delà dont la toile serait une référence. Bien au contraire, chacune de ses oeuvres est fermée sur elle-même, inexorablement. Dans ces univers clos de quelques centimètres carrés, des êtres indéterminés évoluent sans chaleur. Brun, brun rouge, noir, la palette est sombre. Le blanc luimême est jaunâtre. C'est triste, triste comme un couloir de métro ou un garage d'immeuble collectif. C'est certainement là un témoignage désolé d'une vie qui se déshumanise. Mais le couvercle est-il vraiment scellé déjà? D'autres artistes gardent confiance et c'efforcent de briser le cercle. Tout se passe comme si Jousselin, une fois pour toutes, en avait pris son parti. Dommage.
La galerie Tharin, poursuivant sa première saison, a accueilli, rue Nationale, quatre jeunes, quatre chercheurs qui ont paru bien déroutants: Braun, Bygodt, Iscan et Saint-Cricq. Seul point commun: cet état de recherche. Un autre aussi, au fait: le refus de l'abstraction. Mais les assemblages de signes connus peuvent se révéler moins compréhensibles encore que l'absence de toute donnée prélevée dans la réalité extérieure, lorsqu'on ne trouve pas la clé du rébus. Mais y a-t-il seulement une clé? Sans doute faut-il retenir de cette exposition l'idée persistante que ces quatre peintres ne sont pas encore parvenus, dans leur itinéraire actuel, au carrefour où un contact avec le public est possible.
Il est vrai que le comportement de l'amateur devant la nouveauté est souvent ambigu, mal défini. Bien en peine de se dégager de schémas mentaux habituels, il a tôt fait de reprocher à l'artiste la gratuité d'une démarche accomplie sans le consentement de l'autre. Mais l'art est un phénomène social. L'accord des deux parties doit être réalisé, sinon instantanément, du moins à la faveur d'une fréquentation assidue. Le malheur, c'est que le jeune peintre attend souvent bien des années avant d'obtenir ce début d'intérêt. Et tant mieux s'il ne se décourage pas à jamais.
Roger Frezin, lui, descend maintenant dans la rue. Le hall lillois de la maison Citroën, rue de Béthune, a servi de cadre, début décembre, à une expérience d'‘environnement’. Pionnier de ‘l'Atelier de la Monnaie’, si vivace à Lille autour des années 60, mais aujourd'hui dispersé, l'homme ne vieillit point. Et pourtant, il s'est fixé depuis une demi-décade au moins dans un genre qui traduit l'obsession du monde mécanisé de la civilisation industrielle.
Il serait peut-être temps, malgré tout l'intérêt de cette formule, que l'ami Frezin aille promener ses moustaches et ses yeux perçants de timide malicieux du côté des ordinateurs et des microscopes électroniques. Je sais bien que le ventre des voitures n'a pas beaucoup changé encore depuis que l'homme en fabrique, mais les compositions de Frezin, à base de roues dentées, de culasses et de vilebrequins, commencent à prendre un coup de vieux. Cela sent la première période de l'ère industrielle. C'est déjà le passé.
Retenons pourtant, des carrosseries à la manière de Frezin, l'ambition raisonnable d'amener la peinture dans la rue, puisque les musées sont ennuyeux et que beaucoup de nos contemporains n'y mettent pas les pieds.
Mais est-il bien vrai que les musées ne recevront jamais plus du quart - en mettant les choses au mieux - de la population? Le nouveau conservateur du Palais des beaux-arts de Lille, M. Oursel, arrivé récemment d'Arras, ne croit pas qu'une telle coupure soit irrémédiablement