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Brieven van Emile Zola aan J. van Santen Kolff
Paris, 25 janvier '93.
C'est pourtant vrai, mon cher confrère, je ne vous ni pas écrit depuis sept mois. Mais si vous saviez quel remords est le mien! J'ai voyagé, je me suis réposé un peu, j'ai travaillé beaucoup. Enfin, il faut me pardonner.
Je réponds tout de suite à vos questions sur le ‘Docteur Pascal’. Je crois bien que l'idée de ce roman date de la conception même de la série. J'ai toujours voulu finir par une sorte de résumé où l'idée scientifique et l'idée philosophique de l'ensemble seraient nettement indiqués. C'est un homme, une conclusion générale et toujours également, Pascal a été dans ma pensée, le héros de ce dernier roman. Cela on le trouve déjà annoncé dans ‘la Fortune des Rougon’ et surtout dans ‘la Faute de l'abbé Mouret’. Il est question, dans celle-ci, des notes, des documents que le docteur réunit sur sa familie; et ces documents jouent un rôle important, sont comme le pivot même de l'oeuvre que j'écris. Quant au titre: ‘le Docteur Pascal’, je n'ai pas eu besoin de le chercher, il m'a été imposé par mes amis, par les journaux, par tout ceux qui, en parlant de ce dernier volume de la série, ne l'ont jamais désigné autrement.
Vous me demandez si j'ai eu beaucoup de recherches à faire, avant me mettre à écrire. Le travail le plus pénible pour moi a été de relire presque tous les romans de la série. Je ne puis me relire, cela me comble de tristesse. Et il a fallu pourtant m'y décider, car j'avais oublié bien des pages, et la série toute entière revient dans ce dernier volume. Il m'a fallu reviser aussi l'abre généalogique que j'avais publié dans ‘Une page d'amour’. Comme cet
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arbre doit être l'oeuvre du docteur Pascal, je l'ai revu et complété, ce qui m'a donné un mal infini. Il paraîtra en tête du roman, où il sera définitivement à sa place. Ajoutez que j'ai dû me remettre au courant des idées de la science actuelle sur l'héridité. J'ai donc consulté un assez grand nombre de livres de médecine. Enfin, mon récent voyage à Aix m'a beaucoup servi pour le milieu, car il y avait plus de douze ans que je n'avais revu le midi, et j'en ai rapporté une impression vivante et toute fraîche.
C'est le 7 décembre dernier que j'ai commencé à écrire ‘le Docteur Pascal’, et je le terminerai surement vers le milieu de mai. Le premier chapitre paraîtra, dans la Revue hebdomadaire le samedi 18 mars; et, comme il y aura quatorze chapitres et qu'un chapitre paraîtra dans chaque numéro, la publication s'achèvera le samedi 17 juin. C'est le 15 que le volume sera publié chez Charpentier.
J'ai actuellement écrit quatre chapitres dont je suis content. Vous savez que je me satisfais bien difficilement. Mais ce qui me soutient, cette fois, c'est que je crois tenir une bonne conclusion à la série entière. Il me semble que, dans le plan, j'ai réussi à mettre le nécessaire, sans tricher avec les multiples questions, qui se posaient. C'est bien la fin des Rougon-Macquart que j'écris historiquement, scientifiquement et philosophiquement. Voilà trois vilains adverbes, mais il disent avec netteté ce que je veux dire. Je n'espère point un gros succès, tumultueux comme celui de ‘la Débâcle’; mais je serai ravi, si l'on trouve que j'ai été jusqu'au bout de mon oeuvre sans défaillance, et si l'on juge que se dernier roman est bien le noeud qui arrête la chaine des dix-neuf autres. J'ai essayé de finir simplement et grandement.
Je réponds maintenant à vos autres questions. Je ne connais aucun interview intéressant sur le ‘Docteur Pascal’. La préface de moi, dont Flaubert parle dans une de ses lettres, est celle de ‘Mes haines’. Les notes qui j'ai données, à propos des recherches du Docteur Laccasagne, ont paru dans le supplément du Figaro du 10 décembre '92. Après Londres, après Aix, j'ai passé Marseille, Toulon, Cannes, Nice, Monaco et j'ai même poussé jusqu'à Gênes, où l'ont m'a fait un accueil charmant qui m'a beaucoup touché. Vous savez que mon père était italien. J'ai la grande hâte de terminer ‘le Docteur Pascal’, pour en finir avec ma série. Elle
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m'aura pris environ vingt-cinq ans de mon existence. Et je n'ai plus que le désir de me mettre à ‘Lourdes’, dont tous les documents attendent.
J'irai ensuite à Rome, sur laquelle je veux faire un livre. Puis, j'en ferai ma troisième intitulé ‘Paris’. Et sans doute alors je me reposerai.
Tous vos envois me sont arrivés. Merci mille fois, en bloc. Et bien affectueusement à vous.
ÉMILE ZOLA.
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Paris, 22 février '93.
Mon cher confrère,
Votre lettre est d'une supplication si ardente, que je ne résiste pas à votre prière. Seulement permettez-moi de répondre brièvement à vos questions.
Je ne sais où vous avez pris les renseignements dont vous me parlez sur ‘le Docteur Pascal’. Ils sont exacts, bien qu'un peu déformes. Ainsi, est très vrai que le fils de Maxime, Charles, se trouve en présence de Tante Dide, sa trisaieule, la mère, le souche de toute la famille. Voici vingt ans que je le réserve pour cette rencontre dernière. Il est très vrai aussi que j'avais songé à utiliser certains détails qu'on m'avait fournis sur les tourments intimes, endurés par Claude Bernard; mais les nécessitudes de mon récit, le cadre dans lequel il faut que je m'enforme, n'en ont pas permis de la employer comme j'aurais voulu; on n'en retrouvera que des miettes dans mon oeuvre. Enfin il est encore très vrai que le livre finira par une mère allaitant son enfant. Il n'y a seulement rien là d'idealiste. C'est au contraire, selon moi, tout à fait réaliste. La vérité est que je concluerai par le recommencement éternel de la vie, par l'espoir en l'avenir, en l'effort constant de l'humanité laborieuse. Il m'a semblé brave, en terminant cette histoire de la terrible famille des Rougon Macquart, de faire naitre d'elle un dernier enfant, l'enfant inconnu, le Messie de demain peut-être. Et une mère allaitant un enfant, n'est ce pas l'image du monde continué et sauvé?
Voici que j'ai écrit à peu près la moitié du ‘Docteur Pascal’ et je suis content, autant que je puis l'être. Ce que m'amuse c'est
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que j'y mets l'explication et la défense de toute la série des dix-neuf romans qui ont précédé ce vingtième. Enfin ma passion littéraire s'y satisfait.
Je n'ai pas eu les volumes de la correspondance de Flaubert et je ne puis répondre à votre question. En 73, il ne peut s'agir que de la ‘Curée’.
Je vous conseille, pour la publication dont vous me parlez La Revue bleue ou le supplément du Figaro. Je préfère La Revue bleue, comme moins tapageuse.
‘Bagatelle’, le volume de nouvelles du comité de société des gens de letters, a paru depuis plusieurs mois à la librairie Dantes.
Voilà en hâte mes réponses. Il me reste à vous remercier de votre vieille fidélité littéraire et à vous serrer bien cordialement la main.
ÉMILE ZOLA.
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Paris, 3 mai '93.
Mon cher confrère,
En hâte je vous réponds. A partir du 15 mai vous arrivez à Paris et je m'arrangerai pour vous donner les quelques entretiens que vous me demandez. Venez le premier jour à six heures du soir, et nous règlerons les autres rendez-vous.
Mais ne comptez pas sur moi pour vous donner des documents. Il n'y a rien à Médan. Il faudra que vous fassiez vos feuilles ailleurs dans les bibliothèques et dans les journaux. Je ne pourrai que causer avec vous.
Apprenez-moi tout de même votre arrivée, bien que je sois toujours chez moi à 6 heures.
Cordialement à vous,
ÉMILE ZOLA.
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Médan, 12 juin '93.
Mon cher confrère,
J'ai retrouvé le titre exact du livre que mon père a publié en 1818, à l'âge de vingt-et-un ans. Et je vous envoie ce titre.
Erattato di Livellazione topografia del dottore in matematica
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Francesco Zola, luoytenente nell' I.R. Regg. d'infanteria R. Gulielmo dè Paesi Bassi N. XXVI di S.M.I.R.A.
Ladova coi tipi di Valentino Crescini. MDCCCXVIII.
Peut-être cela vous sera-t-il utile.
Cordialement à vous,
E\'MILE ZOLA.
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Médan, 20 juillet '93.
Cher monsieur,
Je vous réponds tout de suite, mais en hâte et brièvement.
Non, je n'ai jamais lu, je n'avais pas même connaissance du pays de Dickens sur la combustion spontanée. Votre trouvaille me stupéfie. Mais je savais que des livres de médicine relataient plusieurs de ces cas si curieux et pour moi peu scientifique; car je vous dirai que, pour mon compte, je ne crois pas du tout à la combustion spontanée, je veux dire la combustion totale.
Je pars en voyage à la fin du mois, et je ne rentrai à Paris que les premiers jours d'octobre. Je vais en Brétagne. Le plan de ‘Lourdes’ est à peu près arrêté. Il ne reste plus qu'à l'écrire. Ce qui m'a retardé un peu, c'est que je n'ai pas voulu un risque sans savoir ce que seront ‘Rome’ et ‘Paris’; et il m'a fallu trouver les lignes principales du trois volumes, avant de me mettre sérieusement au premier. Sans cela est élucidé, je ne suis pas content. J'ai là, sur la planche, quatre années d'un nouveau grand travail qui m'intéressera.
Merci de vos nouveaux articles, et cordialement à vous.
ÉMILE ZOLA.
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Médan, 9 septembre '93.
Mon cher confrère,
Je réponds en hâte à vos questions.
Vous pouvez prendre, dans l'Ebauche du ‘Docteur Pascal’ les passages qui vous plairont, et les intercaler dans votre étude.
Je n'ai pas quitté Médan de la saison, au moment de partir pour la Bretagne, ma femme s'est trouvée très souffrante, et nous avons préféré rester chez nous. Le 20 de ce mois, nous irons à Londres et nous y passerons une dizaine de jours. Je suis invité au congrès
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de l'association des journalistes anglais; ce n'est pas une conférence que je compte faire, mais je lirai un petit travail sur l'anonymiat dans la presse, dont le Figaro d'ailleurs publiera le texte.
Les six semaines que je viens de passer ici, m'ont permis d'établir complètement le plan de ‘Lourdes’. J'en suis très content, je tiens le sujet le plus admirable qu'on puisse voir. Dès les premiers jours d'octobre, lors que je serai rentré à Paris, je me mettrai à écrire.
‘Abigait’ est une erreur. La jeune sunamite de la Bible est ‘Abisaig’. J'ai dû me conformer à cette forme.
Et voilà brièvement mille amitiés, et bien cordialement à vous.
ÉMILE ZOLA.
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Paris, 30 octobre '93.
Mon cher confrère,
J'ai dit votre impatience à Charpentier, qui m'a bien promis de vous satisfaire dans un bref élai. Mais je ne serai surpris s'il vous faisait attendre encore, car il est parfois très négligent. Je vous promets d'ailleurs de revenir à la charge.
J'ai commencé ‘Lourdes’ le 5 octobre, et j'ai actuellement trois chapitres écrits sur ving-cinq. Si aucun article ne se présente je compte écrire le roman en sept mois environs. Il m'est impossible de dire encore si je suis content, car le roman est trop ample, les personnages sont trop nombreux pour que je me prononce avant d'avoir derrière moi un certain chemin parcouru. Mais je travaille de grand coeur, et en somme j'ai bon espoir. Je ne connais aucun interview de quelque importance ayant paru sur ‘Lourdes’.
Il est très vrai que je donnerai à mes trois romans le titre général: ‘Les trois villes’. Mais il n'est pas vrai que j'irai en Hollande faire une conférence. J'ai bien reçu une proposition dans ce sens, que j'ai du refuser.
Merci des articles que vous m'avez envoyés, et croyez-moi votre bien dévoué et bien cordial
ÉMILE ZOLA.
Merci, mon bon ami, et je vous retourne vos souhaits de santé vaillante et de travail valeureux. C'est le vrai.
Vives amitiés de nous deux.
ÉMILE ZOLA.
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Merci, cher monsieur, de votre dernier envoi. Je vous écris en hâte, au moment de partir pour Royat, où je vais passer six semaines, ce qui me privera, à mon grand regret, du plaisir de vous voir à Paris, en septembre. J'en suis désolé; mais le Rêve que je viens d'achever, m'a tenu beaucoup plus longtemps que je ne croyais, et j'ai soif de repos.
Bien cordialement,
ÉMILE ZOLA.
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Paris, 9 mars '94.
Mon cher confrère,
Vous avez bien tort de vous émotionner et de vous décourager ainsi. Je vous dis souvent qu'il est des mois où il m'est impossible de répondre. Je viens de traverser une longue crise de souffrances physique et morale, pendant laquelle j'ai rompu toute correspondance.
Puis, vos lettres s'entassent, vos questions s'accumulent à un tel point, qu'elles m'épouvantent et que je suis trop fatigué, chaque soir, pour me risquer à y répondre.
Aujourd'hui je consens bien à vous parler un peu de ‘Lourdes’. Mais ce sera tout. D'abord, je suis très en retard; mon état de santé a été si mauvais, que le Gil Blas commencera seulement la publication dans son numéro du 15 avril. Cela fait que le volume ne pourra paraître chez Charpentier que vers le milieu de juillet. J'ai écrit actuellement quatorze chapitres sur vingt-cinq; et vous voyez que j'ai encore de la besogne. Le livre est divisé en cinq journées, comprenant chacune cinq chapitres. Ces cinq journées sont celles que, chaque année, le Pélerinage national consacre à son voyage à Lourdes. C'est vous dire que le roman est tout simplement le récit de ce Pélerinage, cadre dans lequel j'ai fait entrer Lourdes tout entier, avec sa vie, ses moeurs, son histoire, ses pratiques, ses cérémonies, enfin, une monographie extrèmement complète. Il y a beaucoup de personnages. J'ai incarné dans des types différents les pélerins, les malades, les hospitaliers, les hospitalières, les prêtres, les médecins, les réligieux qui exploitent la grotte et qui amènent les pélerinages, toute la foule en un mot, qui s'écrase là-bas. Quant à l'intrigue romanesque, elle est aussi
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faible que dans la ‘Débâcle’, plus faible encore. Vous devez savoir que déjà mon point de départ est l'examen de cette tentative de foi aveugle, dans la lassitude de notre fin de siècle. Il y a réaction contre la science, et l'on essaie un retour à la croyance du dixième siècle, à cette croyance des petits enfants qui s'agenouillent et qui prient, sans examen.
Imaginez les misérables malades que les médecins ont abandonnés; ils ne se résignent pas, ils appellent à une puissance divine, ils l'implorent pour qu'elle les guérisse, contre les lois mêmes de la nature. Tel est l'appel au miracle. Et, en élargissant la chose, mon symbole est que l'humanité est une malade, aujourd'hui, que la science semble condamner et qui ce jette dans la foi au miracle, par besoin de consolation. Tout ceci vous paraîtra bien trouble. C'est qu'en vérité il m'est bien difficile de vous donner une idée nette de ‘Lourdes’ en quelques phrases. L'oeuvre est une des plus complexes et des plus touffues que j'ai écrites. Je suis assez content des quatorze chapitres qui sont faits; mais vous savez que je travaille dans la fièvre et qu'un roman, pour moi n'existe que lors'qu'il est terminé.
Vous serez bien gentil en me laissant à mes nerfs et en ne vous froissant pas, si je garde un silence un peu long. Jusqu'à ce que j'ai écrit la dernière ligne, je ne serai à personne.
Charpentier va faire copier les lettres de moi qu'il vous a promises et vous les enverrai. Je veillera à ce que vous soyez satisfait le plus tôt possible.
Bien cordialement à vous.
ÉMILE ZOLA.
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Médan, 12 août '95.
Ah! mon cher confrère, il faut que je vous aime bien pour que je vous écrive, car je suis dans une de ces périodes de travail, de lutte avec moi-même, pendant lesquelles toute lettre me coûte un effort d'esespéré.
Aussi vais-je répondre très brièvement à vos questions. J'ai préparé ‘Rome’ pendant une année, mon voyage compris, d'avril '94 et d'avril '95. J'ai écrit la première ligne le 2 avril 95, le jour de l'anniversaire de ma naissance, espérant que cela porterait
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bonheur à l'oeuvre. Depuis cette date, depuis six grands mois, je n'ai écrit que neuf chapitres sur seize, dont l'oeuvre se composera, et j'espère les sept autres en cinq mois, de façon à terminer dans les derniers jours de février. Pourtant il est à croire que le roman commencera à paraître dans Le Journal du 25 ou 30 décembre. Il y sera environ cent-vingt feuilletons, c'est à dire qu'il y durera quatre mois et ne paraîtra donc en librairie que dans les premiers jours de mai. Ce sera le plus long de tous mes livres, car je crains qu'il ne dépasse ‘le Débâcle’.
Maintenant, je ne puis absolument pas vous donner une idée de cet énorme travail, qui me coûte un effort considérable. J'ai voulu tout mettre, comme d'abitude, le passé, le présent, l'avenir, et avec ‘Rome’ vous devinez où cela me conduit. Jamais je n'ai été débordé par tant de documents, tant de notes, tant d'impressions, personnelles. Ajouter que dans le cadre de l'histoire, de l'art, de la réligion et de la politique, j'ai mis tout un drame humain, en m'efforcant selon ma méthode habituelle, de dramatiser la ‘Rome’ actuelle dans de personnages vivants. C'est l'océan, cette fois, et bien que je suis satisfait jusqu'ici, je resterai dans une grande angoisse tant que je ne serai pas arrivé aux dernières pages.
Bien cordialemten à vous,
ÉMILE ZOLA.
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