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Brieven van Emile Zola aan J. van Santen Kolff
Médan, 12 septembre '90.
Mon cher confrère,
Je réponds d'abord à vos questions, au sujet de ‘l'Argent’.
L'idée de ce roman n'est pas du tout récente. Si elle ne se trouvait pas dans le plan primitif, elle date des premiers volumes publiés de la série. Depuis lors, j'ai toujours réservé une case pour ce que j'appelais mon roman sur la Bourse. Je voulais y reprendre Saccard et Rougon, y opposer l'empire libéral à l'empire autoritaire enfin y étudier la crise politique qui a précédé l'effondrement du règne. Vous voyez que la conception du roman est chez moi très ancienne. Je la place après la publication de ‘Son Excellence Eugène Rougon, vers 1877. Le titre ‘l'Argent’ ne m'a donné aucune peine à trouver. Il s'est en quelque sorte imposé à moi, car j'ai élargi le cadre, je ne suis pas enfermé dans le milieu restreint de la Bourse. C'est le 10 juin que j'ai commencé a écrire ce roman et je l'aurais certainement terminé vers la fin de décembre. Vous savez que la publication doit en commencer vers le 20 novembre dans le Gil Bias. Quand aux études, aux recherches que j'ai faites, elles ont été comme toujours d'après le plan logique: lecture des livres techniques, visites aux hommes compétents, notes prises sur les lieux à décrire. Cette fois, j'ai eu seulement un peu plus de mal que des autres, parce que j'entrais dans un monde qui m'était totalement inconnu, et que rien, selon moi, n'est plus réfractaire à l'art que les questions s'argent, que cette matière financière, dans laquelle je suis plongé jusqu'au cou. Vous me demandez si je suis content: jamais je ne le suis au milieu d'un livre, et cette fois le tour de force avec lequel je me bats est vraiment si dur, que j'en ai, certains jours, les reins cassées. Enfin, nous verrons bien.
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Je vous remercie des articles que vous m'envoyez. Le malheur est que je ne puis les lire; mais je suis tout de même le sens général, grâce aux citations. Notre livre sera très intéressant. Je vous promets de prendre bonne note de votre recommandation en faveur de l'éditeur Fisoher. Je vais prochainement m'occuper de cette question des traduction. Le malheur est que j'ai déjà un demi-engagement.
A propos. J'ignorais absolument qu'une traduction de ‘la Bête humaine’ avait paru en Hollande. La France n'a donc pas de traité avec la Hollande? Je n'ai pas été consulté et je n'ai pas reçu un sou. Et cela pour tous les romans que vous me citez.
Bien cordialement à vous.
ÉMILE ZOLA.
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Paris, 22 octobre '90.
Mon cher confrère,
Si vous faites un article sur ‘le Rêve’, opéra, adressez-vous au musicien, Alfred Bruneau (11 bis rue Viète) qui pourra vous donner sans doute détails fort intéressants. Il s'agit d'un drame lyrique à cinq personnages, d'une forme toute nouvelle en France, sans choeurs, sans duos, logique et très simple, dont l'effet sera, je l'espère, très grand. Vous me demandez si j'ai réellement collaboré au livret que Louis Gallet a tiré de mon roman. Je n'aime guère répondre à ces questions-là. Mettez que le plan m'a été soumis et que j'ai donné quelque conseils. Les études ne sont pas commencées et je n'ai donc pas pu m'occuper de la mise en scène comme le racontent certains journaux. Le vérité est que je m'intéresse beaucoup à l'oeuvre et que j'assisterai certainement à quelques répétitions, tout disposé à donner mon avis, si je le crois utile au succès. Nous n'avons malheureusement pas pu encore trouver une Angelique, une chanteuse de talent, réalisant le type. Cela nous contrarie et nous inquiète un peu.
Me voici réinstallé à Paris depuis une semaine. J'ai écrit les deux tiers de ‘l'Argent’, en je ne peux rien vous en dire de net, tellement ce roman est spécial. Je n'ai pas d'avis, en toute franchise. Il faut que le public y passe, pour que je me fasse moi-même une opinion. J'ai beaucoup travaillé, je n'y vois plus clair.
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J'ai reçu vos articles et je vous remercie bien vivement. Je crois en effet que votre livre sera d'un intérêt très grand et très original.
Bien à vous.
ÉMILE ZOLA.
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Paris, 16 janvier '91.
Cher monsieur,
Si je n'ai pas encore répondu à votre lettre c'est que justement ‘l'Argent’ n'est point terminé. Je ne l'aurai guère fini que dans huit à dix jours; et, quand je me suis mis de la sorte en retard plus rien n'existe, je ne réponds plus à personne. Ce roman m'aura donné une peine effroyable.
Cordialement à vous.
ÉMILE ZOLA.
Mon cher confrère, j'ai écrit le dernier mot de ‘l'Argent’ le vendredi 30 janvier '91.
Merci pour les articles que vous continuez à m'envoyer.
Cordialement,
ÉMILE ZOLA.
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Paris, 6 mars '91.
Mon cher confrère,
Enfin me voici un peu libre, et j'en profite pour vous remercier des bonnes nouvelles que vous m'avez envoyées. Je suis toujours très heureux de tout ce que vous écrivez sur moi, de cet amas de documents intéressants qui s'augmentent sans cesse. Et cette fois l'article du journal socialiste En avant m'a également fait grand plaisir. Je me suis en effet servi de la ‘Quintessence du socialisme’. Mais je ne connaissais en aucune façon l'existence de Charles Hoeberg et il n'y a là qu'une rencontre, avec ‘Mon Sigismond’. Les faits de cette nature se renouvellent à chacun de mes romans et me stupéfiaient toujours. Enfin vous m'avez causé la plus grande joie, en traduisant les deux pages d'Hamerling. Ce sont là des choses qui n'ont pas encore été écrites sur moi en France. Il faut
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tout un recul et tout un désintéressement pour juger ainsi les contemporains. Merci mille fois.
Je commence à reunir les documents pour mon prochain roman ‘La Débâcle’ et j'irai en avril passer huit jours à Sédan, car je veux surtout peindre cette terrible bataille de Sédan, une presque immense, la pire de les fatalités qui se soient abattues sur un peuple. Ne me questionez pas trop tôt. Vous aurez ‘l'Argent’ dans une dizaine de jours.
Merci encore et cordialement.
ÉMILE ZOLA.
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Médan, 4 septembre '91.
Enfin, mon cher confrère, je me décide à vous ècrire. Il faut me pardonner mon long silence. J'ai eu toutes sortes d'ennuis et de travaux, et mon roman est terriblement en retard.
Vous me demandez des détails sur ‘la Débâcle’. Il m'est bien difficile de vous donner quelque chose de nouveau, car tous les journaux ont raconté mon voyage à Sédan, mes idées sur la guèrre, le plan du livre, etc. Et puis, j'ai suivi mon étemelle méthode: des promenades sur les lieux que j'aurai à décrire; la lecture de tous les documents écrits, qui sont extraordinairement nombreux; enfin, de longues conversations avec les acteurs du drame, que j'ai pu approcher.
Je préfère vous indiquer, à grands traits, ce que je désire faire. D'abord dire la vérité sur l'effroyable catastrophe dont la France a failli mourir. Et je vous assure qu'au premier moment, cela ne m'a paru facile, car il y a eu des faits lamentables pour notre orgueil. Mais à mesure que je me suis enfoncé dans cette abomination, je me suis aperçu qu'il était grand de tout dire, et que nous pouvons tout dire maintenant, dans la satisfaction légitime de l'énorme effort que nous avons dû faire pour nous relever. Je crois que mon livre sera vrai, sera juste, et qu'il sera sain pour la France, par la franchise même.
Comme toujours, j'ai désiré avoir toute la guerre, bien que mon épisode central soit Sédan. J'entends par toute la guerre: l'attente à la frontière, les marches, les batailles, les paniques, les retraites, les espions, les paysans vis à vis des Français et des Prussiens, les
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francs-tireurs, les bourgeois des villes, l'occupation avec les requisitions en vivres, et en argent, enfin toute la série des épisodes importants qui se sont produits en 1870. Et vous vous doutez bien que cela n'a pas été commode d'introduire tout cela dans mon plan. J'ai toujours, comme nous disons, les yeux plus grands que le ventre. Quand je m'attaque à un sujet, je voudrais y faire entrer le monde entier. De là, mes tourments, dans ce désir de l'énorme et de la totalité, qui ne se contente jamais.
J'ai divisé l'oeuvre en trois parties de huit chapitres chacune: donc en tout vingt-quatre chapitres. Je crains que le volume ne soit encore plus long que ‘la Terre’. La première partie comprend les premières défaits sur le Rhin, la retraite, jusqu'au Châlons, puis le marche de Reims à Sédan. La seconde partie est entièrement consacrée à Sédan, une bataille qui aura près de deux cents pages. La troisième partie donnera l'occupation, les ambulances tout un drame particulier au milieu d'un épisode de franc-tireurs, enfin le siège de Paris et surtout les incendies de la Commune par lesquels je finirai, dans un ciel sanglant.
Mais je suis bien en retard. Je n'ai commencé que le 18 juillet, je n'ai encore que quatre chapitres et demi d'écrits, et je n'aurai certainement pas fini avant la première quinzaine d'avril. Peut-être pourra-t-on commencer la publication en mars dans le Petit Parisien.
Ne m'en voulez pas trop, mon cher confrère, si je suis si bref de détails. Je pars pour un petit voyage dans les Pyrenées, d'où je reviendrai dès les premiers jours d'octobre pour me remettre à la besogne et ne la plus quitter. Si vous avez besoin d'autres renseignements, ne m'écrivez donc qu'en octobre. Je tâcherai de vous répondre tout de suite, en dix lignes. Merci de tous envois, et bien cordialement à vous.
ÉMILE ZOLA.
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Paris, 16 janvier '92.
Mon cher confrère,
Excusez-moi si je n'ai pas répondu à vos questions. Je suis débordé. Mais je le ferai prochainement.
J'aurais besoin d'un renseignement tout de suite, courrier par
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courrier. Pouvez me dire quel était le costume exact d'un capitaine de la garde prussiene, en 1870 appartenant à un des régiments qui se sont battus à Sédan? Une description de l'uniforme, en dix lignes, n'est ce pas?
Merci mille fois et bien cordialement à vous.
ÉMILE ZOLA.
Veuillez me dire aussi quel était l'uniforme des simples soldats de la garde.
21 bis rue de Bruxelles.
Je n'ai pas quitté Médan de la saison. Au moment de partir pour la Bretagne, ma femme c'est trouvée très souffrante, et nous avons préferé rester chez nous. Les six semaines que je viens de passer ici, m'ont permis d'établir complêtement le plan de Lourdes. J'en suis très content je tiens le sujet le plus admirable qu'on puisse voir. Dès les premiers jours d'octobre, lorsque je serai rentré à Lourdes, je me mettrai à écrire. Le nom de la jeune esclave sunamite dans la Bible est Abisaig et non Abigait, et j'ai dû me conformer à cette forme.
Bien cordialement à vous.
ÉMILE ZOLA.
(Wordt vervolgd.)
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